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Billet de blog 29 avril 2013

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Le brasier chinois au Tibet-occupé

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les auto-immolations par le feu, destructions par le feu, geste de protestation ultime de la population tibétaine contre la présence et l'oppression du régime de Pékin au Tibet-occupé et l'interdiction faite au Dalaï-lama de retourner dans son pays, les actes d'auto-immolations par le feu se multiplient, donc, ici et là,  à l'intérieur des frontières fermées par l'occupant Han, comme à l'extérieur du pays des neiges.

Les moines Lobsang Dawa, 20 ans et Konchog Woeser, 23 ans, du monastère de Tagtsang Lhamo Kirti dans le comté de Dzoege se sont immolés par le feu, le 23 avril dernier, et  " sont décédés vers 18h30  - heure locale -  près de la grande salle de prières du monastère ".


              Ils ont manifesté contre la politique chinoise au Tibet-occupé 

L'article qui suit est paru sous la plume de Jeffrey Bartholet dans le National Geographic News, et publié le 30 Novembre 2012. This is one man’s story.  C'est l'histoire d'un homme. D'un homme jeune, d'un jeune homme, donc, Tibétain, qui, parvenu à fuir son village, sa  région natale et son pays au terme d'un long périple au travers de l'Himalaya et de ses rigueurs ventées,  glacées et désolées, s'est installé en Inde, dans la banlieue de Delhi.

C'est l'histoire de cet homme, qui, un jour, sans crier gare, se fout le feu, se transforme en torche humaine, et son image d'homme, de jeune-homme,  qui court tout-debout-enflammé avant de s'effondrer de tout son long, dans la rue, calciné, son image, fait, elle le tour du monde, n'en finit pas, elle, de courir le monde, de tracer son chemin et d'y laisser partout où elle passe, d'y laisser son empreinte indélébile, et,  provoque, en chacun de nous, un rapport inédit, inouï, de la forme et du fond, une appréhension immédiate de ce qu'une dialectique radicale engendre, chez tout un chacun,  au point de faire déclic,  encore une fois,  ici, et là, mais dans un ici-et-là, tout d'un coup, à la vitesse du vent ou d'un tsunami psychique,  monstrueusement étendu,  étendu cette fois, à l’entièreté de la surface de la planète ..

Ici et là,  avant la grande propagation généralisée aux prémisses de laquelle nous assistons, des révoltés se foutent, de par le monde,  le feu ...  Et, par là, démultiplient, à chaque fois un peu plus,  les effets et les chocs de l'onde irradiante qui les porte et leur inspire d'agir de la sorte, parce qu'à l'origine de leurs actes.

Ces rapports, encore il y a peu,  impensables entre le fond et la forme, ne sont pas ceux du contenant et du contenu, de la bouteille à la liqueur, mais bien plutôt du coquillage à sa coquille.  " Celle-ci n’est point une forme superflue et interchangeable, mais une architecture spécifique sécrétée par une chair informe dont la mort ne laisserait nulle trace. "

L'image de l'homme qui court  debout-et-tout-en-feu,  qui harangue, encore,  autant qu'il peut,  la foule, et,  dont l'image harangue, maintenant,  le monde, secrète, bel et bien, chez celui qui l'a vu, cette image là,  une fois logée dans le cerveau, secrète cette architecture spécifique, cette architecture de coquille vide produite par la chair informe de  l'émotion,  réceptacle destiné à désormais accueillir  la longue plainte d'un peuple d'exception sous le boisseau, la botte et la férule, en voie programmée d'extermination, lui fournir un abris où se revivifier, où perdurer, se démultiplier et essaimer, depuis chacun de ces réceptacles de la résistance à travers le monde, comme depuis autant de pouponnières bien plus nombreuses que celle de la somme des alvéoles d'une ruche, qui, à l'image de la reine des abeilles,  produit des armées  innombrables à venir d'inflexibles soldats de la liberté à reconquérir.

Dans le spectacle de la mort par le corps-en-feu-qui-court, et, auquel spectacle, nous assistons, s'insinue insidieusement et irrévocablement la condamnation définitive de ce qui en est la cause, de ce qui est la cause de ça, de ce qui pousse, jusque là, des gens, n'en pouvant, à ce point,  plus, à faire ça, le coupable de tout ça, et qui, apparait comme à l'origine de l’obscénité ontologique des choses, de toutes choses. Comme le  grand obscène ontologique de toutes les choses mauvaises. Présentes et avenirs.

Cette  image de la femme, de la nonne en flamme, dont les flammes lui sortent de la tête, presque des orifices, des yeux et des oreilles, et filent au ciel, toutes ces images de la chair informe, soudain, qui s'enlumine par la stridence écarlate du souffle d'une volonté à la densité d'exigence comme faite du minéral le plus dur,  le plus pur,  sont ces pierres de touche, ces comètes empanachées qui viennent éclairer le ciel de ce millénaire qui balbutie,  devenues d’autant plus nécessaires, aujourd’hui,  que le tout-venant du visible, la multiplication à l’infini  des supports et des formats de diffusion, toutes les productions d'image de toutes les productions, et,  cinématographiques, et,  télévisuelles,  ont engendré une véritable anesthésie,  une réelle cécité du regard,  un alanguissement extrême du nerf-optique complétement vassalisé,  un abrutissement du discernement et de la liberté de pensée, au point où l’idée de revendiquer un temps, un temps pour se laisser absorber avant de voir, un temps pour voir, un temps pour comprendre, pour se demander, un temps pour rien, voire pour penser librement et  par soi-même, pour s'interroger sur ce qu'on voit et ce que ça nous fait de voir ça,  de ce que ça entraine, eût apparu comme un luxe, un snobisme exacerbé, une rareté,  pourquoi pas une bizarrerie,  forcement pathologique,  incompréhensible,  voir même et très vite, suspecte, suspecte et déviante, et aux raisons à probablement rechercher dans des dysfonctionnements psychiques ou mentaux et, à traiter en conséquence, cette impossibilité, donc,  faite à nos contemporains  - les plus jeunes, souvent -  de sertir et d’appréhender  le temps, la notion de temps, le temps qui passe, celui qui résiste, le temps qui s'embourbe, le temps du temps jadis comme celui du temps à venir qui ira se perdre, à son tour,  dans le désert du temps jadis, et qui constituent  la pensée, son socle,  ses fondations qui, au fur et à mesure, gagnent en profondeur et, donc, en consistance, et en accroissent les infinies capacités   -  l'expérience du temps comme l'un des fondamentaux de la possibilité de penser -  le choc, la saisie, la sidération la plus extrême,  provoquée,  dans le plus tendre, le plus inapproprié, le plus   inexploré et le plus ombragé et lointain  du cerveau de celui qui voit ça, dégage, d'un coup, un espace béant de possible, provoque une dépressurisation tellement soudaine que le vide consécutif, quand le temps sera venu de lui donner corps et vie, voix et action,  se peuplera  à son tour, comme un poing rageur qui broie, malaxe et condense, se peuplera  de toutes les ardeurs retrouvées des flammes de la révolte entendue et répercutée du courroux généralisé.

 La chair informe en feu de ces émotions qui se transmettent,  creusent le granit de l'être,  et le transmuent à son image, et, à son tour,  lui confèrent  cette architecture de la détermination radicale de l'âme gagnée, irrévocablement gagnée, à la cause qui en sous-tend  l'acte originel.

                                 Tibet's Man on Fire ...  Jashi, protestation ultime ...

Au moment où il a décidé de s'immoler par le feu, Jamphel Yeshi vivait dans la colonie de réfugiés tibétains de Majnu ka Tilla, dans la banlieue nord de Delhi. La colonie s’y installait en 1963, quatre ans après la fuite du dalaï-lama en Inde provoquée par  l'avancée des troupes chinoises. Les premiers habitants ont construit des huttes de chaume, monté et  fabriqué une brasserie, et fait commerce de chang,  un alcool Tibétain traditionnel à base d'orge et de blé.  Réfugiés venus des hauteurs du  toit du monde, ils n'étaient pas habitués à la chaleur et à l'humidité de la plaine basse. Ils n'avaient aucune idée du temps qu’il leur faudrait rester,  mais imaginaient qu'ils allaient bientôt rentrer chez eux.

Aujourd'hui, environ 4.000 personnes vivent dans cette colonie, maintenant longée,  par  une artère très fréquentée et jouxtant les nouveaux  quartiers indiens qui ont vu le jour partout dans cette ville qui a connu un très fort développement.  Installer de nouvelles constructions dans la colonie est illégal, mais les travailleurs très paupérisés continuent à creuser des fondations, transportant gravats et poussière dans des paniers tissés à la main, posés  en équilibre sur leurs têtes, et vendant à bas-prix  leurs contenus sur les berges à proximité de la rivière Yamuna. Ils circulent dans  un dédale de bâtiments à plusieurs étages, un pêle-mêle chaotique de plusieurs centaines de maisons avec des drapeaux de prière colorées qui flottent sur les toits. Les innombrables ruelles, juste assez large pour permettre à deux piétons de passer, sont peuplées par des moines en robe carmin et les nonnes, des chiens galeux et faméliques, et des enfants aux pieds-nus, les militants et dériveurs, petits commerçants, et tout un monde de mendiants aux membres manquants ou mutilés qui vous gratifient d’un grand et large sourire et d’un identique et chaleureux merci, en l’espoir de recevoir l’équivalent de 20cts.  

Jamphel Yeshi Jashi pour  ses amis, vécut avec quatre autres hommes tibétains dans  une seule pièce, sans fenêtre.  «  Appartement  »  qu'ils ont loué pour l'équivalent de 90 $ par mois.  L'entrée de la chambre se fait en traversant  une minuscule cuisine, qui est séparée de la chambre à coucher par un rideau complètement avec un motif Mickey Mouse et Donald Duck.  Le matelas de Jashi se trouve encore sur le sol dans un coin, au-dessous de posters du dalaï-lama et de ceux d'autres hauts lamas. Son matelas ainsi que les quatre autres forment un U autour du périmètre de la pièce, qui est éclairée par trois tubes néons-fluorescents. Une armoire mince contient encore de nombreux  livres de Jashi, dont plusieurs collections bien écornées sur le bouddhisme tibétain, la politique et l'histoire. Pendant la journée, les hommes stockent  leurs effets personnels dans deux alcôves minuscules. La petite valise en nylon de Jashi reste où elle était quand il était vivant, contenant la plupart de ses effets et de tout  ce qu'il possédait, y compris les trois cartes d'identité, deux stylos en plastique, deux chapelets, quatre chandails de coton, quatre paires de pantalons, une veste, un foulard, un vert et un fil rouge et un petit drapeau tibétain.


Dans la nuit d’avant  son auto-immolation par le feu, Jashi était d’humeur absolument joyeuse. Deux amis de la ville de Dharamsala, siège du Dalaï-lama et du siège du gouvernement tibétain en exil, située à environ 300 miles de Majnu ka Tilla étaient en visite.  C’était au tour de  Lobsang Jinpa  de cuisiner ce soir-là, mais il l’avait oublié, distrait par un écran dans  un cybercafé. Jashi appelé Jinpa sur son téléphone portable et l’avait taquiné : « Avez-vous oublié que vous avez à faire le dîner, vous êtes devenu très populaire à Dharamsala, peut-être que vous êtes trop important  pour cuisiner pour nous maintenant ?  " Jinpa se précipita, au moment où il est arrivé Jashi avait déjà lavé et coupé les légumes.



Jinpa a préparé et cuit thenthuk, un plat traditionnel tibétain de nouilles, de légumes et de mouton.   «  Personne n'a dit que c'était bon, mais tout le monde a mangé  », se souvient Jinpa,  un ancien prisonnier politique qui s'est échappé du Tibet en 2011.  «  Jashi mangeait très bien."  Les sept jeunes hommes qui se sont réunis ce soir-là ont parlé de la visite prochaine du  Premier ministre chinois Hu Jintao et d’ une manifestation qui devait avoir lieu le lendemain dans le centre de Delhi pour protester contre la domination chinoise. À un moment donné, Jashi ôta sa chemise et durcit ses muscles, exhibant des tatouages de dragon sur son bras,  et de plaisanter sur son physique.

Comme il le faisait souvent, Jashi s’était réveillé tôt le lendemain matin, et bien avant un seul de ses colocataires. Il alla d'abord au temple bouddhiste de  Majnu ka Tilla pour aider et participer au service du thé  servi aux gens qui prient. Puis il revint à la chambre, où il a ramassé un petit sac à dos et un grand drapeau tibétain. Il a soigneusement plié sa couverture et calé un livre écrit par le Dalaï-Lama et un autre sur l'histoire du Tibet sur le dessus, de sorte que le dispositif ressemblait à un autel. Il réveilla son cousin, Tsering Lobgyal, pour lui dire qu'il laissait son téléphone portable à la maison pour le recharger. Si quelqu'un appellait, Lobgyal avait consigne de répondre. Puis il se rendit, à bord de l'un des cinq bus qui prennent les manifestants,  au rassemblement.

Comme Jashi repassait par le  temple, un ami lui a demandé pourquoi il était habillé en manches longues et portait un paquet,  « qu’il faisait trop chaud pour ça ». Un autre a plaisanté au sujet du grand drapeau qui l’enveloppait et flottait sur son dos.  " Superman ! " lui a, alors, crié dans son dos,  son ami après son passage.  Une fois à bord du bus, Jashi a rencontré un autre ami et voisin, Kelsang Dolma, qui rejoignait le rassemblement avec son fils de deux ans.  Tout le monde a évoqué la  série sans précédent d’auto-immolations par le feu au Tibet,  depuis Mars 2011,  et se demandait si des Tibétains pourraient se mettre le feu à eux-mêmes lors de la manifestation de Delhi. Dolma tapota le pack sur le dos de Jashi et lui dit, en plaisantant : « Est-ce votre essence?  Ne vas pas te mettre le feu! ".

Jashi sourit.

Rétrospectivement, les amis de Jashi perçoivent maintenant  des signes de ce qui allait venir. En 2008, il avait juré de s'immoler par le feu et avait même acheté une bouteille de carburant. Ses cousins et amis l'ont, alors, convaincu d'annuler son plan, insistant sur le fait qu'il pourrait faire beaucoup plus pour la cause tibétaine, s'il continuait à vivre.

Dolma  se rappelle maintenant des signes du jour où Jashi s’est immolé. Dans le bus bondé, il tenait une bouteille de cola presque vide qu’il a donné à finir  au fils de Dolma.  Puis Dolma a essayé de jeter la bouteille en plastique sur la fenêtre comme cela se pratique couramment en Inde, mais Jashi l'arrêta. Elle pensait qu'il était consciencieux. Ce qu’il était : sérieux, se consacrant à ne faire que des bonnes choses, toujours volontaire, et toujours prêt et disposé à  conseiller les autres sur ce qui devrait ou ne devrait pas être fait. A la réflexion, et rétrospectivement, elle se demande s'il n’avait pas utilisé la bouteille pour la remplir avec de l'essence.  Jashi  s’est aperçu pendant le trajet en bus qu'il n'avait pas son portefeuille et a demandé à emprunter 200 roupies à Dolma, qu'il appelle affectueusement « sœur ». Elle n'avait pas de monnaie, aussi lui a-t-elle donné 500 roupies, qu'il a acceptées à contrecœur.

A-t-il utilisé l'argent pour acheter de l'essence pour remplir la bouteille ?  À l'époque, Dolma n’a nourrit aucun soupçon: Jashi était optimiste, souriant, et jouait  avec son jeune fils.  «  À un autre moment pendant le trajet, j'ai ouvert une fenêtre de bus pour prendre l'air »,  se souvient Dolma.   " Il a dit,  'Wow' , et il a souri, et,  a ouvert ses bras à la fraîcheur de l'air ... Je pense maintenant qu'il savait qu'il sentait ça  pour la dernière fois. Mais à ce moment, j’ai juste pensé que c'était un peu étrange. "

Le bus s'est arrêté à quelques miles du site de la manifestation afin que les manifestants puissent attirer l'attention sur la cause tibétaine en marchant à travers la ville. Les organisateurs ont distribué des bouteilles d'eau aux marcheurs, dont beaucoup portaient des dossards jaunes et des badges avec une main sanglante superposée à côté de la face de Hu Jintao. Jashi dit à  Dolma qu’il avait besoin d'acheter quelque chose pour un ami, et ils se séparèrent. La vidéo  prise un peu plus tard contient un bref aperçu de Jashi, seul près de l'arrière du cortège, en souriant et en scandant des slogans.

Au moment où le défilé a atteint Jantar Mantar  -  une rue où les manifestations indiennes ont lieu quotidiennement -  jusqu'à 3.000 Tibétains s’étaient massés. Ils étaient dirigés  par trois cavaliers vêtus de costumes traditionnels des trois régions du Tibet. Manifestations indiennes se déroulaient à droite et à gauche, dans une une clameur de bruit et de sueur, de drapeaux qui claquent, et de banderoles brandies.  La chaleur était intense, plus de 90 º F.  Dolma et d'autres ont cherché des endroits protégés à l'ombre des Neems tout proches.

Jashi s'est éclipsé par un portail  et a descendu  une courte allée jusqu’à un vieux grès bâtiment de grès abritant l'organisation « All India Freedom Fighters »  ainsi que d'autres bureaux.  Sous une pancarte  " Mehta et Padamsey Surveyors Private Limited, International Loss Adjusters  » -  régleurs de perte internationales -  il a versé de l'essence sur lui-même. Qui a coulé et  a couru le long de ses épaules, sur ses vêtements, et dans ses chaussures. Puis il a mis une flamme dessus.

Jashi  a couru environ 20 foulées, trébucha et tomba sous un banian géant. Il était encore dans l'enceinte fermée et voulait se rendre auprès de la foule de manifestants à l'extérieur. Il se redressa et courut encore, cette fois de 50 à 60 foulées, franchit à nouveau le portail, et fit irruption dans le corps de la manifestation et dans la masse des gens, qui fit  place à la boule de feu humaine. Il a découvert ses dents dans ce qui pourrait avoir été un large sourire ou une expression de douleur atroce.

 
Après s’est être mis le feu, Yeshi se précipite dans une rue où une protestation contre la politique chinoise au Tibet se déroulait.


Jinpa comptait parmi les nombreux amis de Jashi qui étaient là, présents, ce jour-là.  Il a vu l'homme en feu, et puis a  reconnu le visage de Jashi.  Il a crié son nom.

Pandémonium ... Cris de misères, détresse, des gens jetant  frénétiquement l'eau de leurs bouteilles en plastique sur les flammes. Un policier âgé a  essayé de battre le feu avec son chapeau.  Un ami de Jashi, Sonam Tseten, a commencé à fouetter sur le feu avec son sac à dos.  Mais alors Tséten s'est rendu compte que son téléphone portable y était encore et que le poids de celui-ci pourrait faire mal à son ami. Alors il jeta le paquet de côté et arraché sa chemise.  " Quand j'ai frappé la partie supérieure de son corps avec ma chemise, la partie inférieure a brûlé plus  », se souvient Tséten.  " Quand j'ai frappé la partie inférieure, la partie supérieure a brûlé plus. "

Par-dessus les pleurs et les cris, plusieurs témoins se sont, surtout, rappelés plus tard et  plus distinctement le bruit du souffle du feu.

Le premier Tibétain à s'immoler dans l'ère moderne l’a fait,  au même endroit, et au cours d’ une grève de la faim en 1998.  Tout comme Jashi serait, Thupten Ngodup a initialement survécu à l'enfer. Le Dalaï-lama  lui a rendu visite à Ram Manohar Lohia hôpital, le lendemain. Ngodup essaya de s'asseoir pour  recevoir Sa Sainteté,  mais il fut gentiment  encouragé à ne pas le faire.  Le  Dalaï-lama achuchoté au  travers la gaze enroulée autour de la tête de Ngodup.  Selon un compte rendu que l’érudit Robert Thurman donna à l'Université de Columbia, il lui a dit : "  N’éprouvez  pas plus de haine contre les Chinois dans votre cœur. Vous êtes courageux et vous avez contesté, mais laissez pas votre motivation devenir de la haine. "   Le patient auto-immolé par le feu  a indiqué qu'il comprenait.

« C'est de  la violence, même si elle est auto-infligée » a déclaré  le Dalaï-lama, selon  Thurman.  " La même énergie qui peut amener quelqu'un à faire cela à lui-même est très proche de l'énergie qui permet à quelqu'un de tuer d'autres personnes dans la fureur et l'indignation. "

La protestation  «  enflammée » de Ngodup  était un incident isolé. Plus d'une décennie plus tard, en février 2009, un autre tibétain s’auto-immolé par le feu, puis un autre a suivi deux ans plus tard, en mars 2011.  Depuis, les chiffres ont grimpé en flèche, la courbe connait une hausse vertigineuse qui continue inexorablement de s’amplifier : plus de 100 Tibétains se sont eux-mêmes auto-immolés par le feu.  C’est l'une des plus grandes vagues d’auto-immolation par le feu de l'histoire moderne. L'écrasante majorité des auto-immolations par le feu ont été faites  par des moines, des nonnes, et de plus en plus par des laïcs, ont eu lieu à l'intérieur du Tibet.

Au cours de cette vague d'immolations, le Dalaï-lama est resté plutôt silencieux, sauf pour dire qu'il doit rester " neutre " sur les manifestations.  " Si je dis quelque chose de négatif, alors les membres de la famille de ces personnes se sentiront très triste " a-t-il déclaré, en Juillet,  à un journaliste du journal, The Hindu. " Ils ont sacrifié leur propre vie. Ce n'est pas facile.  Donc, je ne veux pas créer une sorte d'impression que c'est faux. "

Le dalaï-lama est largement vénéré par les Tibétains, qui le considèrent comme la réincarnation du Bouddha de la Compassion.  Mais sa  " Voie du Milieu ",  appelant à l'autonomie du Tibet, et non pas l'indépendance,  se trouve souvent opposée  aux actions de protestation même les plus bénignes qui s’élèvent contre la règle  Chinoise, et,  n’a produit aucun résultat.  La Chine refuse maintenant même de rencontrer des émissaires tibétains. Deux négociateurs tibétains de longue date ont démissionné dans la frustration, et la situation ne semble que s'aggraver. Les Hans Chinois continuent à migrer en masse dans les régions tibétaines traditionnelles, et de la répression des  institutions religieuses Tibétaines s’amplifie, se généralise et se durcit. Des caméras de sécurité sont installées dans les monastères. Les portraits du Dalaï-lama sont crevés. Les nomades sont installés, sédentarisés  par la force et dans la violence, et la langue tibétaine est marginalisée.

 «  Toute autre chef s'occupe de protéger de son propre pays correctement,  même si cela signifie aller à la guerre », vitupère un érudit tibétain à Dharamsala qui n'a pas voulu que son nom soit cité. « Ici, nous parlons de la paix dans le monde, de prendre soin de tout le monde. Qu'en est-il du soin de notre propre pays ?  Nos dirigeants sont plus préoccupés par la façon de se présenter au reste du monde épris de paix et de nature. Si vous avez à cœur de prendre  soin de votre propre pays, vous devez tout faire pour cela : tuer, tricher, mentir, voler ».



C'est une vision très extrême parmi les Tibétains.  Mais il donne la parole à une frustration beaucoup plus large. Les jeunes Tibétains, en particulier, veulent agir. Parmi la majorité qui chérissent toujours la non-violence, mais n'ont pas la patience d'un autre monde de Sa Sainteté, les options sont limitées.  Ainsi, une nonne, restant clouée sur place encore sur une route au Tibet, en  novembre dernier, s’est transformée en  une torche humaine, les flammes lui sortant de la tête qui s’élevaient vers le ciel.   «  Nous avons besoin de la liberté » crie un passant, enregistré dans une vidéo amateur qui filme, aussi,  une femme jetant doucement un khata - une écharpe de soie blanche, offerte en bénédiction -  vers les flammes. Dans une autre vidéo qui circule erratique sécrétée hors du Tibet, un moine nommé Tsewang Norbu  s’auto-immole par le feu,  en face d'un magasin,  sur une route très fréquentée.  Certaines personnes se rassemblent autour du corps calciné et enfumé, si effrayées et  pressées par les  chinois qu’elles passent ensuite sans s'arrêter.  Vélos et voitures passent, klaxonnent pour passer plus rapidement encore, inquiets à l’idée de pouvoir être mêlé à un scandale de type trouble à la sécurité.

La nonne et le moine étaient tous les deux de la région d'origine de Jashi, Tawu. Il s'était lui-même échappé du Tibet en 2006.  Il avait enregistré une photo du moine à la porte de sa petite bibliothèque. Il avait vu les vidéos. Il avait vu les plus récentes  quelques jours avant sa propre auto-immolation par le feu. Ils ont été projetés sur un écran installé  place du temple Majnu ka Tilla   - pour motiver et inspirer les résidents locaux à participer à la prochaine manifestation.  Un ami de Jashi,  Sangyé Dorji,  le gardien d'un petit monastère qui surplombe la place à l'étroit, était avec lui.  « J'étais très ému et déprimé »  se souvient Dorji. »  A déclaré Jamphel Yashi avait seulement déclaré  qu'ils étaient des gens, un peuple, très patriotiques.  " Il a également donné  quelques conseils à son ami : « Si un Tibétain en vient à s’auto-immoler par le feu, nous devrions le laisser brûler ", a déclaré Jashi.  « Cette personne a pris la décision de mourir. » .

Dorji ne s'est jamais rendu à la protestation, mais d'autres amis s’y sont rendus.  Chacun  agit instinctivement. Jinpa, l'ancien prisonnier politique qui a travaillé  26 mois au tournage et à la   diffusion d'images de manifestations contre le régime oppressif de la Chine, a tenté de repousser la foule.  Jinpa rappelle qu'à un moment donné, comme tout le monde jetait de l'eau sur l’homme en feu,  Jashi a crié " Agh! ".  Comme pour se plaindre de l'effort fait  pour éteindre les flammes.  « Que les journalistes prennent des  photos ! » a hurlé Jinpa.

«  Je n'avais pas du tout d’espoir qu’il s’en sorte vivant avec l’embrasement qui l’avait englouti »  dit, quelques mois plus tard, Jinpa.  " La police voulait juste prendre le corps et le mettre à l’écart le plus rapidement possible ».  Deux policiers ont saisi ma taille pour me tirer en arrière. J'ai résisté,  et suis revenu vers le corps enflammé ".

D'autres amis ont pensé Jashi pourrait survivre. L'odeur de brûlé était intense - comme un rôti, s’est souvenu un ami -  mais le visage de Jashi était encore reconnaissable. Et puis les flammes furent partout, ses vêtements avaient brûlé, sauf pour le col de sa chemise autour de son cou et les bandes élastiques de son pantalon et le caleçon.  Sa peau était dure et crépus, «  comme toucher un ballon de basket, mais très chaud », dit Tséten.  " Il n'y avait plus aucune douceur du tout.  " Étrangement, les tatouages de dragon de Jashi semblaient plus vivante que jamais. ».

Tséten et plusieurs autres amis ont finalement porté  Jashi à l'arrière d'une jeep blanche de la police. Ils l'ont placé sur un banc, et quatre des hommes assis, dans une rangée sur le banc en face, le maintenaient en place pour ne pas qu’il tombe, alors qu’elle filait toute sirène hurlante.  Un des hommes avait peint son visage aux couleurs du Tibet, et maintenant, la sueur, les larmes, et les éclaboussures d'eau, jetée frénétiquement sur le corps en flamme, dégoulinaient avec la peinture le long de ses joues.


Jashi arrivé à l’hôpital Ram Manohar Lohia,  à 12h45,  et, y a été officiellement admis à 01:19.  Comme ses amis qui le portaient passaient le seuil de la porte,  Jashi proféra la dernière parole qui ne leur fut donnée d’entendre de sa part : « Pourquoi m'avez-vous amené à l’hôpital ».


Dire ces quelques mots dut lui  avoir demandé  d'énormes efforts. Les  médecins allaient bientôt découvrir que ses entrailles étaient brûlées, probablement parce qu'il avait inhalé des fumées toxiques et des flammes. Brulé à plus de 98 %. Lui furent  administrés des antibiotiques, des analgésiques, et de l'oxygène, et les médecins ont, finalement, pratiqué  une trachéotomie.  À un moment donné,  la sœur de l'un des plus grands réincarné du Tibet  - Le Karmapa,  chef de l'école Karma-Kagyu du Bouddhisme Tantrique Tibétain, est arrivé à livrer une  « pilule précieuse  »,  bénie par le grand lama lui-même, afin d’offrir un confort spirituel et même la guérison pour l'âme d'un homme.  Un moine murmura une prière dans l'oreille de Jashi.

Jinpa ne pensait pas à des questions spirituelles. Il avait versé des larmes comme tout le monde, mais il n'était pas particulièrement sentimental. Il savait que son ami avait lui-même mis le feu pour poser un acte destiné  à réveiller le monde et à le sensibiliser à la situation du Tibet. Il ne voulait pas le sacrifice soit gaspillé.

Il avait passé une nuit pratiquement  blanche. Alors que son ami s’était préparé pour son acte final et ultime, Jinpa  - qui arbore une boucle d'oreille en or, et,  une barbiche -  avait été à une fête jusqu'à l'aube.  Maintenant son esprit s'emballait.  « Qui a une clé de la chambre ? » a-t-il demandé à  Lobgyal, le cousin de Jashi.  " Ne donner la clé à personne. Il peut avoir  laissé quelque chose."  Puis le téléphone de Jinpa  asonné : des détectives indiens faisaient le tour du voisinage, au dire d’un ami, et ont voulu pénétrer dans la chambre. Quelques minutes plus tard, Jinpa reçoit  un appel d'un officier de la police judiciaire qui voulait savoir qui avait la clé de la chambre. Jinpa dit son ignorance de la chose,  et éteint son téléphone.

Alors que le soleil se couchait, Jinpa et d'autres prirent le chemin du retour vers l’appartement.  Les détectives étaient partis . Deux hommes firent  le guet dans la ruelle tandis que Jinpa et Lobgyal inventorièrent  les  maigres biens de Jashi. A l'intérieur d'un sac en tissu rouge à ses initiales,  entre autres  documents, ils trouvèrent  une lettre manuscrite en tibétain. Laquelle débutait  par un appel pour le retour du Dalaï-lama au Tibet, et,  a ensuite évoqué la  nécessité de la  loyauté, «   la vie de l’âme d'un peuple », et de la liberté: « Liberté, sans laquelle six millions de Tibétains sont comme une lampe à beurre dans le vent, sans direction ".

" A un moment où nous abordons notre engagement  définitif vers notre but, si vous avez de l'argent, c'est le temps de le dépenser, si vous êtes instruits c'est le temps pour produire des résultats, si vous avez le contrôle sur votre vie, je pense que le temps est venu de sacrifier votre vie ".

C’est ainsi que la lettre se terminait,  par  une incitation aux   « gens du monde » de  « se lever pour le Tibet. »  Jashi en avait écrit deux exemplaires sur un papier ligné scolaire et blanc.

Lorsque l'un des anciens professeurs de Jashi à Dharamsala fit la première lecture de la lettre,  qui avait alors été tapée, imprimée et  largement diffusée,   il fut  sceptique et douta que ce fut Jashi qui l’eut écrite. Jashi était arrivé en provenance du Tibet, jeune homme avec peu d'éducation, et sa maitrise de l’écrit tibétain était médiocre. Ses parents étaient de classe moyenne rurale, et Jashi lui-même a été classé comme un « agriculteur / nomade » dans la base de données du gouvernement tibétain en exil.  Il avait vécu au Tibet oriental, dans une grande maison dans le style tibétain traditionnel, avec une antenne parabolique sur le toit et la prière battant pavillon de la cheminée. Les vaches, les yaks et des moutons étaient  logés au premier étage, et la famille au niveau supérieur. Ils possédaient des  vergers de pommiers,  des pommes de terre, de  l'orge, du blé et autres cultures.

Jashi  a suivi une éducation informelle, dispensée à raison d’ une ou deux heures par jour, par des moines dans un monastère voisin.  Ils lui apprirent à lire des textes religieux, mais pas beaucoup plus. Il a travaillé pour un vieux moine dans le village à  la gravure de  mantras bouddhistes sur des pierres destinées à être  placées au sommet des collines. Il était un bon nageur, et,  en hiver, lui et ses amis, fabriquaient des petits traineaux à la mode  avec des planches en bois et des tiges métalliques.  Ils recourbaient  les tiges dans le bois afin de ne servir que des lames, et puis ils se pousser à travers les étangs glacés jusqu'à ce que leurs doigts se sont crus.

Devenu un jeune adulte, Jashi s’éveilla à la conscience  politique.  Il avoue à ses amis s’être rendu à Tawu, ville située à six milles de là, en vélo, au plus tard de la nuit, poster des flyers politiques sur les murs dans l’obscurité, et être rentré avant l’aube. En 2003, il a été surpris en train de fuir le Tibet, et plus tard il a apparemment fait quelques connexions ou obtenu quelques conseils sur la façon d'exploiter le sous-sol tibétain, alors qu'il a servi plusieurs mois dans plusieurs prisons chinoises.

En 2006, Jashi a réussi à s'échapper, avec l’un des ses jeunes voisin.  Ils se prirent le chemin d’une maison sûre à Lhassa, puis  un guide les accompagna jusqu’au début d’un Trek. Ainsi de suite, de guide en guide, à travers les vents et les neiges de l’Himalaya, le long de la jupe de l’Everest et au Népal. Cachés le jour et, en route,  la nuit, survivant avec  un régime de viande de yak séchées et tsampa, une pâte de farine d'orge grillée mélangée avec de l'eau. Cécité des neiges, et autres maux de tête terribles, ampoules purulentes … . Ralentissement, nécessité  de récupérer et attentes multiples rythment  le trajet de l’impensable exode …. pour  Jashi qui suintait du pus. Mais ils l'ont fait.  Au Népal et, éventuellement, à Dharamsala, où chaque nouvel arrivant obtient une audience avec le Dalaï-lama, et,  tout le monde obtient la gratuité scolaire. Jashi a pleuré quand le Dalaï-lama l’a béni, touchant sa tête. Il ne pouvait pas sortir un mot.



Il est entré dans une école spéciale à Dharamsala pour les nouveaux arrivants tibétains âgés de 18 à 34ans.  Anciens enseignants et personnel le décrivent comme responsable et solidaire, le genre de jeune homme qui reste tard dans la cafétéria pour aider le cuisinier à nettoyer. Il aimait la lecture et était obsédé par l'histoire et la culture tibétaine, mais il était un étudiant sans imagination. Dans ses essais et même son journal, il se faisait l’écho de points de discussions lus ailleurs.  « Je l'ai grondé : Vous n'êtes pas le Dalaï-lama, plein de sagesse et de conseils », se souvient Chogo Dorjee, qui a enseigné Jashi la langue tibétaine. Il était également un correcteur orthographique pauvre.

C'est pourquoi un autre enseignant, Dhondup, soupçonne que Jashi  n'ait  pas écrit sa dernière lettre :  L'orthographe dans la version dactylographiée était correcte.  Plus tard, cependant, Dhondup a eu entre les mains et, donc, vu la copie manuscrite originale. Il y avait six fautes d'orthographe et un mot manquant dans les quatre premières phrases. " J'ai été rassuré, et assuré que c’était bien  Jashi qui l'avait écrite. "



Jashi a également laisséaussi laissé deux autres écrits très courts en prose, et  non divulguées à ce jour. L'une est un hymne sentimental à sa mère. Il y exprime son affection indéfectible pour elle : « Même dans mes rêves, je la vois souvent ... Personne ne peut séparer notre amour. »

La deuxième pièce est intitulée : « Un garçon sans direction »

«  Au moment où je suis né du ventre de ma bien-aimée mère, j'étais sans droits humains fondamentaux, sans liberté de penser, et  sous la domination étrangère.  Pour cette raison, je devais me séparer de mon pays et entrer  en exil en Inde.  L’endroit où  je vis maintenant est une petite pièce à Delhi, où je passe mes jours et mes nuits. Quand je me lève le matin et regarde vers l'est, les larmes coulent, incontrôlables  ... Ce ne sont pas des mots vides comme la vapeur d'eau » .


Jashi est mort à l’hôpital Ram Manotar Lohia,  43 heures après y  avoir été admis. Personne n'a jamais survécu, brulé à 98%. Même ses amis, qui ont nourri beaucoup  d'espoir, tout au moins  au début parce que son visage leur demeurait familier, ont, finalement,  perdu tout espoir quand sa tête a gonflé au-delà de toute possibilité de le reconnaitre.  


Dans les mois qui ont suivi sa mort  - et  une vague d’émotion générale et  des témoignages de soutien massif et de chagrin, d’effusion, de soutien et de chagrin à son service commémoratif à Dharamsala - un moine, récemment échappé de la contrée d’origine  de Jashi, a relayé l'information sur la façon dont la mort fut reçu. The Voice of America et Radio Free Asia ont diffusé les nouvelles de la mort de Jashi, qui fut connu tout de suite.  Cette nuit-là, de nombreux voisins ont rendu hommage à la famille de Jashi. Interdiction fut faite aux moines du monastère de le faire,  mais ont, néanmoins, mené leur propre service de prière privée le soir suivant. Lorsque les autorités chinoises ont entendu parler du service, ils ont convoqué  l'abbé pour y subir un interrogatoire.

Un voisin a raconté  plus tard au moine qu'il était avec la mère de Jashi quelques jours après l'immolation de son fils.  Elle faisait la cuisine sur un poêle traditionnel, alimenté avec du bois de chauffage, et a, accidentellement,  touché la surface chaude, se brulant le doigt. Elle se serait mise à sangloter, et à travers ses larmes,  murmura: « Imaginez la douleur qu’a ressenti mon fils! »



Dans le quartier de Majnu ka Tilla, il y a encore de l'espoir que le sacrifice de Jashi signifie quelque chose et, dans le même temps,  redoute son contraire.  Un vendeur de fruits en Tunisie auto-immolé par le feu,  en 2010, et que ce seul évènement ait pu déclencher une cascade de changements dans tout le Moyen-Orient. Rien de semblable ne s’est passé  au Tibet.  Rien à voir avec ce qui s'est passé au Tibet. Le monde remarque à peine quand un autre jeune homme ou une femme part s’enflamme. Certains jeunes militants activistes évoquent la possibilité d'une autre phase très sombre possible,  étant donné le peu d’écart entre vous tuer et tuer vos ennemis. de la façon dont la ligne est mince entre vous tuer et de tuer vos ennemis.  " L'ancienne génération est à  90 pour cent religieuse et, 10 pour cent sont des  religieux nationalistes,  ils veulent répandre le bonheur et faire du monde un meilleur endroit », explique Tenzin Wangchuk, âgé de 38 ans,  de la section Delhi du Congrès de la jeunesse tibétaine. »  Mais la jeune génération n'est pas un tas de bouddhas. Nous sommes bouddhistes, mais pas Bouddhas. Si vous tuez le mal, nous ne pensons pas que c'est mauvais. Nous avons besoin d'actions ... Un jour, qui sait ?  Nous pouvons nous saisir et généraliser   notre problème en nous faisant sauter nous même, et si vous allez mourir, et, tant qu’à mourir, c'est peut-être mieux d’entrainer  quelques ennemis avec vous. "



C'est la peur des Tibétains plus âgés qui ont œuvré  pendant des décennies pour trouver une solution négociée.  «  La seule raison pour laquelle les Tibétains sont donc engagés à la non-violence est purement à cause de l'influence du Dalaï-lama »  dit Lodi Gyari, qui a servi en tant que négociateur en chef avec la Chine jusqu'à sa démission au début de cette année parce qu'il n'y avait pas d'espoir pour un retour aux négociations de  sitôt.  " J'ai dit cela  aussi aux  Chinois.  C'est une ligne très mince. Un pas franchissable …  Un jour, quelqu'un peut dire : «  J'en ai assez, c'est dénué de sens pour moi, mais je ne vais pas y aller seul ... Je vais de prendre une couple de gars chinois avec moi ». Cela peut arriver n'importe quel jour. "

Les colocataires de Jashi dans Majnu ka Tilla vivent comme ils le faisaient auparavant. Deux petites affiches de leur ami décédé  " le héros Jamphel Yeshi  "  sont collés aux murs blancs. Mais la montée d'adrénaline est terminée. Les hommes essaient de trouver  des petits boulots quand ils le peuvent, mais, en tant que réfugiés tibétains,  ils ne sont pas autorisés à briguer un emploi salarié. Dans la chaleur de midi, plusieurs d’entre eux affalés  sur leurs matelas  attendent que le soleil se couche.

À une occasion, quand Jinpa en visite de retour de  Dharamsala, des mois après le décès de Jashi, a fait la même blague sinistre, à l’identique de celle qu’il avait faite quand son ami était encore en vie: « Ici, je suis à nouveau avec ces gars qui ne courent pas les filles, qui n’ont pas d’emploi…  Des  hommes inutiles qui attendent de mourir !  " Cette fois, un de ses amis s’est senti tout ragaillardi.  " Êtes-vous en train de nous encourager chacun d’entre nous, et tout autant que nous sommes, à nous auto-immoler ? » dit-il.

 «  Maintenant, c'est mon tour ... Mais ne vous inquiétez pas, je vais tout préparer correctement avant de partir ! »   Il était censé être drôle, mais cela  eût  un effet différent.  Parmi les Tibétains, personne ne sait jamais vraiment qui pourrait être le prochain à brûler.

trad. Pierre Guerrini

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