Billet de blog 13 octobre 2009

Marie-Monique Robin

Abonné·e de Mediapart

Des «Escadrons de la mort: l'école française» à «Torture made in USA»

Le documentaire mis en ligne le 19 octobre par Mediapart s'inscrit dans une longue enquête que Marie Monique Robin a commencé il y a des années en partant de la «bataille d'Alger».

Marie-Monique Robin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le documentaire mis en ligne le 19 octobre par Mediapart s'inscrit dans une longue enquête que Marie Monique Robin a commencé il y a des années en partant de la «bataille d'Alger».

-----------------

« Celui qui combat le monstre doit veiller à ne pas le devenir lui-même.»

Nietzsche

Le 1er septembre 2003, Canal + a diffusé mon documentaire « Escadrons de la mort : l'école française » , au moment où je finissais la rédaction de mon livre éponyme, publié aux Editions La Découverte. Dans cette enquête au long cours, je racontais comment le gouvernement français avait exporté les techniques dites de la « guerre anti-subversive », utilisées pendant la « Bataille d'Alger », vers les académies militaires d'Amérique du Nord et du Sud. Ces révélations sur la « doctrine française », où la recherche du renseignement, et donc la torture, ont été érigées en arme principale de la lutte contre le terrorisme, avaient provoqué une « commotion nationale » en Argentine, au point de précipiter la réouverture des procès contre les généraux de la dictature: aujourd'hui, les trois généraux argentins (anciens « élèves » des Français) qui m'avaient accordé une interview sont aux arrêts domiciliaires, et mon film et livre (traduits en espagnol) servent de pièces à conviction dans les tribunaux, où je suis régulièrement citée comme témoin par les juges et parties civiles.

Aux Etats Unis, la diffusion de mon enquête a coïncidé avec le « scandale d'Abou Ghraib » (avril 2004). Peu après, j'ai été contactée par Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch (et ancien procureur de New York) qui m'a demandé de participer à la rédaction d'un livre collectif, avec quinze autres auteurs internationaux, dont John McCain. Intitulé Torture, cet ouvrage retrace l'histoire de la « question », depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, et dresse un premier bilan des cas de torture pratiqués par l'armée américaine et la CIA, en Afghanistan, à Guantanamo et en Irak, recueillis par l'organisation humanitaire. «Tout indique qu'il y a des directives secrètes de l'Administration Bush qui encouragent l'usage de la torture, mais, pour l'heure, nous n'en avons pas la preuve », m'avait alors dit Minky Worden, la coordinatrice du livre à Human Rights Watch.


Voilà comment j'ai proposé une nouvelle enquête, intitulée « Torture made in USA » qui confirme qu'effectivement l'administration sortante américaine a délibérément piétiné les lois internationales et nationales, en instituant un véritable « régime de torture », pour reprendre les mots de Kenneth Roth, le président de Human Rights Watch. Celui-ci déplore aujourd'hui « l'effet boomerang de l'exemple américain » : depuis trois ans, son organisation a enregistré une « explosion de l'usage de la torture dans de nombreux pays du monde ». Et d'ajouter : « Si les responsables de cette lamentable affaire ne sont jamais jugés pour leurs crimes, les Etats Unis pourront se targuer d'avoir fait reculer l'humanité d'au moins cent ans en arrière ».

En attendant, une chose est sûre : les arguments développés par l'administration Bush pour justifier la torture sont les mêmes que ceux développés par les théoriciens de « l'école française », et tout indique qu'ils sont aussi... fallacieux. Indéfendable d'un point de vue éthique et moral, la torture s'est avérée aussi inefficace dans « la guerre contre la terreur » lancée après les attentats du 11 septembre, qu'en Algérie, Argentine, ou au Vietnam, en d'autres temps.
Après « Escadrons de la mort : l'école française », « Torture made in USA » boucle la boucle ...

Marie-Monique Robin

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.