Les représentants de l'administration Bush peuvent-ils être poursuivis pour «crimes de guerre»? C'est à cette question, ouvertement débattue aux Etats Unis depuis quelques mois, que tente de répondre «Torture made in USA».
Ce documentaire d'investigation, qui s'appuie sur des interviews exclusives de grands témoins, comme le général Ricardo Sanchez, l'ancien chef des forces de la coalition en Irak (qui parle pour la première fois devant une caméra), Larry Wilkerson, l'ancien chef de cabinet de Colin Powell, Matthew Waxman, l'ancien conseiller de Condoleeza Rice à la Maison Blanche, Alberto Mora, l'ancien consul de la marine, ou Michael Scheuer, concepteur du programme des « extraordinary renditions » à la CIA, mais aussi sur des archives filmées inédites des auditions parlementaires conduites entre 2004 et 2008, notamment par la commission des forces
armées du sénat, décortique la machine qui a conduit la « plus grande démocratie du monde » à utiliser massivement et systématiquement la torture en Afghanistan, à Guantanamo et en Irak.
On découvre que, dès le lendemain des attentats du 11 septembre, le vice-président Dick Cheney a piloté un programme secret, destiné à « légaliser » la torture, en totale violation des Conventions de Genève (dont on fête en 2009 le soixantième anniversaire), mais aussi de la Convention contre la torture (signée par les Etats Unis) et des lois américaines comme le War Crimes Act de 1996 qui prévoit la peine de mort ou la prison à vie pour ceux qui utilisent la torture.
On découvre aussi que, dès le début, l'administration Bush était parfaitement consciente que le fait de ne pas respecter les lois internationales et américaines pouvait la conduire devant les tribunaux, et que pour se protéger d'éventuelles poursuites, elle a eu recours à des juristes, proches de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld, pour « justifier » par des arguments juridiques l'usage de la torture, dont la technique du « waterboarding » (simulacre de la noyade).
On découvre encore que pour couvrir ses troupes, le Pentagone a décidé de détourner un « programme d'entraînement » alors éminemment secret, baptisé Survival Evasion Resistance and Escape (SERE) et dirigé par des psychologues principalement à Fort Bragg, l'école militaire des « forces spéciales ». Destiné à la fine fleur des officiers, ce programme vise à les entraîner à résister à la... torture, dans le cas où ils tomberaient dans les mains d'ennemis peu respectueux des... Conventions de Genève.
On découvre, enfin, que le programme de torture a généré beaucoup de résistances au département d'Etat, mais aussi chez les chefs militaires, très attachés aux Conventions de Genève, et opposés à cette « conspiration criminelle », pour reprendre les termes de Michael Ratner, le président du Centre pour les droits constitutionnels...
Bouclé depuis janvier 2009, « Torture made in USA » devait être diffusé, le 20 mars 2009, sur Canal +. Il
a été déprogrammé, malgré sa pertinence éditoriale portée par l'actualité américaine, en raison de dysfonctionnements qui révèlent la difficulté de faire des documentaires de qualité : fragilité des maisons de production, face à la toute puissance des diffuseurs et à la complexité du marché du documentaire, coût exorbitant des archives audiovisuelles, et mépris du travail des auteurs, considérés comme de simples façonniers ou exécutants...
Marie-Monique Robin