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Billet de blog 14 juin 2009

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Grève aux urgences, il y a urgence!

Dans les classements des journaux, le centre hospitalier de Purpan est toujours classé parmi les premiers. Pourtant, l'hôpital craque de tout côté. Et ce n'est pas la loi Bachelot qui risque d'améliorer la situation. Une journée aux urgences, qui sont en grève depuis vendredi, pour obtenir plus de moyens humains, techniques et des lits, suffit à le constater.

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Dans les classements des journaux, le centre hospitalier de Purpan est toujours classé parmi les premiers. Pourtant, l'hôpital craque de tout côté. Et ce n'est pas la loi Bachelot qui risque d'améliorer la situation. Une journée aux urgences, qui sont en grève depuis vendredi, pour obtenir plus de moyens humains, techniques et des lits, suffit à le constater.

Il est 7 H 30. Marie, qui est ASH dans un foyer maternel, est victime d'un malaise cardiaque sur son lieu de travail. Aussitôt, ses collégues appellent le samu qui l'a transporte aux services de urgences de Purpan. Vers 9 H, elle voit enfin un médecin. Ou plutôt une étudiante en médecine, en 5 ième année. C'est elle qui dans le box des consultations fait les premiers constats cliniques du malaise. Elle le fait sous la conduite d'un médecin urgentiste qui entre deux conseils vaque à d'autres occupation. Comme elle n'est pas encore trés professionnelle, elle a oublié certains éléments nécessaires au diagnostique. Il faut donc refaire, par exemple, le cardiogramme pour confirmer l'arithmie cardiaque. Il faut refaire la prise de tension aux deux bras, revenir sur les antécédents médicaux de Marie, vérifier une seconde fois son niveau de sucre dans le sang. Jusque là, rien d'anormal en soi. Il faut bien que le futur médecin apprenne sur de vrais patients à établir un diagnostique juste, afin d'orienter le malade dans le bon service avec les bonnes recommandations. La consultation enseignement dure presque deux heures.

Vers 11 H, Marie est admise au service des urgences cardiologiques. IL n'y a déjà plus aucune chambre de libre. L'infirmière pousse donc son chariot lit contre le mur dans le couloir. Marie n'a pas de chance, elle est devant la porte qui donne accés au local poubelle de l'étage. Non seulement, on va la soigner devant tout le monde, mais en plus, de temps en temps, on ouvre la porte pour porter les poubelles dans le conteneur. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à patienter dans le couloir. Au fil des heures, le nombre de chariots lits en attente varie de 9 à 15. L'une des revendications des personnesl grévistes - mais présents - c'est justement des chambres pour ne plus soigner les patients dans le couloir comme si nous étions dans un hopital du tiers monde. En médecine, la confidentialité et la pudeur sont deux éléments fondateurs de la relation médecin patient. Là, tout se passe au vu et au su de tout le monde.

Vers 13 heures, l'ambiance est celle d'une fourmilière qu'un coup de pied vient de troubler. Les infirmières, les infirmiers, dont beaucoup d'étudiants en 3 ième et 4 ième année, vont et viennent dans le couloir qui est embouteillé. On se croirait sur l'autouroute A 7 un jour de retour de départ en vacances. En plus des patients sur leurs chariots lits, il y a aussi des patients qui circulent dans les couloirs en trainant derrière eux leur perfusion. Les patients n'ont pour tout pyjama que des blouses dont le dos est ouvert, ce qui permet de voir les corps. Marie qui a, malgré tout le sourire, plaisante: "ici, c'est sexy folies" dit elle. Le problème, c'est que certains patients tiennent à peine debout, et que pas une infirmière surchargée ne fait attention à eux. Elle filent sans les voir. Elles sont bien sûr blindées devant ce spectacle, mais si un patient décide de se sauver, rien ne l'en empéchera et le problème, c'est que deux d'entre eux, au pas chancelant, finissent allongés sur le carrelage. Là, branle le bas de combat pour le ramasser.

"Pourquoi êtes vous là" ? C'est la troisième fois qu'une infirmière vient demander à Marie les raisons de sa présence. Et à chaque fois, il faut recommencer de raconter son histoire, ses antécédents. Vue de l'extérieur, on dirait que les notes prises précédemment ne servent à rien, qu'il n'y aucune transmission d'informations. le pire serait qu'il y ait déperdition et que l'information importante échappe aux soignants. Dans le couloir, il n'y a bien sur aucune intimité, aucune confidentialité. Sans tendre l'oreille, on entend tout. Ainsi, quand vient le tour du viel homme dans son chariot lit, je sais tout de ses problèmes de diabéte, de cardiologie, de médications. Il est là, parce que dit il , "j'ai eu un malaise à cause du soleil. J'avais pas mis la casquette, soudain, j'ai eu la tête qui tourne et j'ai failli tomber du banc ou j'étais. C'est un passant qui a appelé le samu, c'est pour ça que je suis là".

Plus le temps passe, plus l'ambiance se déteriore. Dans le couloir du premier étage, il fait chaud, comme dehors. Personne ne pense à distribuer le moindre verre d'eau aux patients. Cela dit, tous sont perfusés avec du Chlorate de sodium, donc ils n'ont théoriquement pas soif. Dans la chambre 112, depuis des heures, un homme crie par intermittence. C'est un alcoolique en pleine crise de délirium tremens. Il est attaché sur son lit et personne n'entre dans sa chambre pour le calmer. Ces cris aiguisent les nerfs de tout le monde. A commencer par ceux d'un monsieur, hospitalisé pour une crise d'épilepsie dans le train Toulouse Pau. Lui aussi se met à hurler comme un fou qu'il va aller lui caser la gueule, s'il ne la ferme pas. Les personnels font comme si de rien n'était. Dans la chambre 114, un détenu accompagné par deux "matons" n'a toujours pas vu de médecin. Quand nous partiront Marie et moi vers 19 H 20, il n'en aura toujours pas vu. Il est là parce qu'il a tenté de se suicider en absorbant dans sa cellule tous les médicaments qu'il a trouvés. "on y peut rien" explique une infirmière intercepté par un "maton", "tout dépend du psychiatre des urgences". Mais apparemment, il est lui aussi surbookée.

L'homme qui hurle fait hurler celui qui ne supporte plus ses cris. Au bout d'un moment, parce que je sens que tout va finir par une bagarre générale, je vais voir les infirmières. Le ton monte. On fait notre possible me dit une infirmière. Ce n'est pas leur professionnalisme que je mets en cause, c'est leur indifférence. Elles sont passées dix fois devant le hurleur du couloir sans rien faire pour le calmer. La solution, je leur la donne. "déplacer ce monsieur au fond du couloir, vous voyez bien qu'il est au bord de l'épuisement psychique". je ne suis pas médecin mais la chose est perceptible. il va finir par craquer si elles ne font rien. Finalement, elles le déplacent et de toute la journée, on n'entendra plus parler de lui. A chaque problème, il y a donc une solution.

Parmi les patients qui circulent, il y a non seulement des chancelants qui s'effondrent, mais il y a aussi une "dérangée". Elle est là parce qu'elle a tenté de se suicider. "j'ai découvert que mon mari était un méchant" dit elle. la preuve " il n'est pas là avec moi, il est parti faire son golf, et j'ai confié mes enfants à mes beaux parents". Problème, la dérangée, dont la cardiologie n'est pas le bon service, dérange les autres patients allongés sur les chariots lits dans le couloir. Elle vient vers eux et leur explique: "je suis psychologue, alors pourquoi êtes vous là, je vais vous aider". Heureusement qu'elle ne porte pas de blouse blanche car on pourrait la croire. Comme ca fait trois fois qu'elle importune Marie qui est fatiguée, je la menace d'appeler les infirmières. Peu importe, la "dérangée" dérange un autre patient qui, la croyant sans doute vraiment psychologue, commence à lui raconter son histoire. Heureusement, un infirmier qui en assez de la voir circuler lui intime l'ordre de regagne sa chambre puisqu'elle a la chance d'en avoir une.

17 heures. une infirmière revient enfin voir Marie. C'est pour une seconde prise de sang. il s'agit de confirmer ou d'infirmer par la présence ou l'absence de certains enzymes s'il s'agit ou non d'un début d'accident cardiaque ou d'un simple malaise vagal. On aura les résultats finaux dans deux heures. Dans le couloir, c'est toujours la folie des chariots lits que l'on pousse d'un bout à l'autre. Il y aussi toujours des cris. Celui de l'alcoolique enchainé à son lit mais aussi celui d'un italien à l'autre bout du couloir. Personne ne le comprend, les infirmières attendent en vain un interprête qui ne vient pas. Dans ce malestrom, on se dit qu'il n'y a que dans les séries télévisées comme "Urgences" qu'on vous prend vraiment en urgence. Et une journée d'attente vous fait mieux comprendre pourquoi on appelle les malades, des patients. C'est justement parce qu'il faut être particulièrement patient. Enfin, vers 19 H, Marie recoit un plateau repas. Elle est à jeûn depuis la veille. Elle est épuisée par le bruit, le tournis des va et vients, les hurlements. les infirmières infirmiers aussi. Marie peut sortir, son urgence ne l'était pas. Heureusement car hormis le premier médecin, elle n' en a pas vu d'autre.

Celui qui est au bout du couloir et qu'elle voit enfin pour la première fois lui confirme que dés demain elle peut reprendre le travail. Pas question donc de lui faire un arrêt de travail pour ce week end. Marie est pourtant debout depuis 5 H 30. Une journée de repos aurait été un mimimum mais il n'en est pas question, peut être parce qu'il faut faire faire des économies à la sécurité sociale.

A 20 H, on est enfin chez nous. Au calme. Soigner les urgences devient urgent. Mais la saignée programmée par la ministre Bachelot n'indique rien de bon pour les hopitaux. Et encore, dans celui de Purpan, nous sommes dans l'un des meilleurs. Qu'est ce que cela doit être dans les hopitaux plus mal notés ?

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