Le frêt, c'est le maillon faible de la SNCF. C'est en tout cas, ce que dit la direction. Selon elle, l'activité perd de l'argent, ce qui plombe ses comptes d'environ 600 millions d'euros cette année. Ses solutions sont contenues dans le plan fret qu'elle présente aujourd'hui aux organisations syndicales. Pour l'essentiel, il consiste à restructurer l'activité pour donner la priorité aux trains complets sur les "wagons isolés", à densifier ceux qui circulent sur les "autoroutes" comme l'axe Luxembourg Perpignan, et à créer des filiales pour segmenter les problèmes et les solutions. Trois arguments que les cheminots récusent. Quand on veut faire dérailler le train, on lui met des batons dans les roues disent-ils en substance. Et les bâtons ne manquent pas.
"Il y a deux ans, on a totalement abandonné un important trafic de frêt de plusieurs millions de tonnes par an, entre le port de Séte et l'usine Péchiney de Sarran Colin dans les Hautes Pyrénées. La direction a augmenté de 140% le prix du transport et malgré que le chargeur a accepté cette augmentation, elle a trouvé des raisons spécifiques pour que finalement, il mette sa marchandise dans des camions sur la route" explique Patrick. "On avait aussi pas mal de transport de bois pour des scieries, on les a incitées à changer de mode de transport. Ensuite,on explique que le frêt n'est pas rentable, mais on ne dit rien de la sécurité du transport, des bouchons, de la pollution". A ses cotés, devant la gare Matabiau, d'autres cheminots ont aussi en tête des exemples de même nature. "En Ariège, on fait tout pour que l'usine de Talc de Luzenac transporte ses produits par la route" raconte Michel, tandis que Gérard parle d'une attitude similaire avec des entreprises du coté de Rodez. "Un service public" dit il, "ce n'est pas que la rentabilité économique, c'est aussi de l'aménagement du territoire" .
Christophe, qui n'est pas cheminot, mais usager du train acquiesce."Moi j'habite a Gourdon dans le Lot et on est impactés par la disparition du frêt avec l'usine Andros qui met 30 camions sur nos routes. Qui plus est, si on sépare le frêt du reste de la sncf, on va avoir des conducteurs pas assez utilisés puisque le frêt baisse tandis qu'il manque des conducteurs pour les TER. Nous (les voyageurs), on tient à garder une entreprise nationale public parce que, moi lotois, je veux les mêmes droits que si j'étais lyonnais.Lui, il a un TGV et des prix, pas chers, prem's pour monter à paris, moi, je paie 130 euros pour faire l'aller retour Gourdon Paris."
La création de filiales par activité fait, en effet, redouter une privatisation rampante. "La filialisation, ce n'est pas la privatisation, mais c'est un premier pas. Je me souviens que pour France Télécom ou EDF GDF, Sarkozy disait aussi qu'il garderait 70% du capital. On a vu la suite, donc y'a pas de raison qu'on ait confiance quand l'Etat assure qu'il va garder 100% du capital de la sncf" analyse Eric Ferrères, cheminot CGT. En fait, tous les incite à croire que l'Etat travaille de fait pour les concurrents, Véolia, Deutsch Ban, Colas Rail ( Bouygues) "le but du jeu, pour eux, c'est pas de s'attaquer fondamementalement au frêt, C'est d'être présents pour s'attaquer au marché des voyageurs parce que là , par contre, il y a énormément d'argent à se faire. Comme ils ont besoin de licences, ils se sont placés là dessus, sur le frêt ouvert à la concurrence, mais dés que la concurrence sera ouverte sur le transport voyageur, on va montrer les dents, ca va être féroce" précise Philippe Verdeuil, cheminot.
Une analyse qui, au regard des déclarations de Dominique Bussereau, Secrétaire d'Etat aux transports, prends tout son sens. En effet, dans les Echos de ce Mardi 22 Septembre, le Ministre se déclare " à titre personnel" pour une concurrence privé public dans les trains régionaux. "Nous attendons un rapport ( sur cette question) au premier trimestre de l'an prochain" dit-il. Il faut "procéder par expérimentation comme cela a été fait avec beaucoup de succès pour le transfert aux régions des mêmes services régionaux de voyageurs." Même dominées par la gauche, il y a force à parier que les régions, qui paient déjà l'achat des trains régionaux et même l'entretien des voies comme en Midi Pyrénées, seront candidates à plus de pouvoir. Ce qui devrait permettre à l'Etat, non seulement de sous traiter ce secteur, mais aussi de trouver des alliés idéologiques dans sa démarche de privatisation.
Faire dérailler le frêt n'est donc pas qu'une question technique. Elle aura d'ailleurs aussi des conséquences sur l'emploi. "La direction parle de 5 à 6.000 d'emplois en moins, et depuis 7 ans, on a déjà perdu 20 mille emplois. Alors, c'est pas des licenciements, ca se voit pas médiatiquement, mais ca fait 20 mille jeunes qui n'ont pas trouvé d'emplois à la sncf" conclut Eric.