Nicolas Sarkozy ne souhaite par que la France devienne une réserve à touristes privée de toute industrie. L’intention est louable, la réalité plus complexe. L’automobile comme l’aéronautique, deux industries particulièrement structurantes pour l‘économie nationale, déménagent doucement de l’hexagone au motif de faire des économies. Et Sarko se paie de mots puisqu'il ne prévoit rien pour contrecarrer cette tendance. Pourtant dans l'automobile comme dans l'aéronautique, l'Etat est encore détenteur d'une partie du capital des entreprises Renault et Airbus.
Dans ce domaine, l’automobile a une antériorité sur l’aéronautique. Elle a commencé dans les années 60-70 par s’expatrier en Région, notamment en Bretagne, puis rapidement dans les pays à bas coûts, d’abord pour y fabriquer certaines pièces, puis finalement pour y fabriquer en totalité des voitures comme la Logan. Selon l’insee, pour la première fois en 2006, l’industrie automobile a construit plus de voitures à l’étranger qu’en France. Quand à la perte d’emplois, elle a été plus importante que dans l’ensemble de l’industrie manufacturière. Mais l’industrie aéronautique qui lui a emprunté nombre de ses techniques d‘organisation de la production et de relations avec ses sous-traitants, lui emprunte désormais aussi ses modalités de traitements face à la crise. Elle pratique à son tour, la suspension de production, la filialisation et la délocalisation. C’est le cas notamment pour l’A 380, l’A 350, l’A320 et l’avion cargo A 330.Ainsi, en Décembre prochain, la production de stabilisateurs horizontaux et de ventres d’avions, pour le gros porteur du constructeur européen sera provisoirement interrompue en Espagne. Les salariés des sites de Getafe, Illesca et Puerta Real seront en effet invités à rester chez eux durant 13 Jours. « Cette mesure est destinée à optimiser l’inventaire, c'est-à-dire à réduire les stocks de pièces » explique l’avionneur qui réfute la crainte d’un quelconque nouveau retard. L’idée avait pourtant été évoquée par le PDG d’Eads en personne. Le 14 novembre dernier, Louis Gallois expliquait qu’il n’excluait pas cette hypothèse alors qu’Airbus doit livrer cette année 12 gros porteurs – 8 ont déjà été livrés - et 21 l’an prochain. Mais « parmi ces 21, quelques un pourraient être livrés en 2010 » précisait-il. « Nous sommes en retard dans la préparation de la vague 2 de production, soit la phase d’industrialisation de la production ». Par exemple, Air France KLM sait déjà qu’il n’entrera en possession de son premier A 380 qu’en Octobre 2009 au lieu d’Aout-Septembre.
Airbus ne fait pas que réduire la voilure. Ils incitent aussi ses sous traitants à délocaliser quand il ne le fait pas lui-même. Airbus a par exemple prévu de construire une usine en Tunisie d’environ mille salariés qui pourraient produire des éléments d’aérostructures, autrement dit des fuselages d’avions. Annoncée par la direction d’Airbus en Septembre dernier, la décision relève d’une stratégie économique plus ancienne que l’actuelle crise. C’est en effet en Février 2002, lors d’un voyage à Tunis où il avait rencontré le Président Ben Ali, que Noël Forgeard, patron d’Airbus de l’époque, expliquait son choix.
« Nous pensons que l’extraordinaire stabilité, la cohérence sociale, le niveau de formation et les conditions excellentes offertes aux investisseurs dans ce pays, font de la Tunisie un lieu idéal d’accueil pour les investisseurs d’Airbus ». Idéal est le mot puisque toute usine créée avant fin 2010 en Tunisie bénéficie, selon les lois économiques du pays, de 10 ans de déduction sur leurs exportations. En Juillet dernier, Eads signait avec le fond souverain d’Abou Dhabi, présent dans son capital, un accord de transfert de travail vers cet Emirat qui construira dés 2010 des pièces en matériaux composites. La Chine assemblera, de son coté, ses achats d’A 320 sur une chaîne inaugurée récemment à Tianjin. Officiellement, elle ne devrait assembler que 4 appareils par mois mais les syndicats ont noté que son hall d’assemblage est aussi important que le hall d’assemblage Jean Luc Lagardère à Blagnac, ce qui laisse augurer une production bien plus importante. Si Airbus décroche enfin le fabuleux contrats de 179 avions ravitailleurs dont a besoin l’armée américain, c’est à Mobile en Alabama que les appareils, des A 330 cargo, seront fabriqués. Airbus y prévoit une usine de 1.000 salariés environ.
A chaque fois, l’explication d’Airbus est double. Il s’agit encore et toujours de contrecarrer l’effet négatif de la parité Euro-Dollar et de pénétrer de nouveaux marchés. L’implantation Mexicaine doit ainsi favoriser l’accès au marché américain; celle de Tianjin, de concurrencer Boeing en Chine; la collaboration avec la Russie, de se positionner dans ce pays dont la moitié de la flotte est vieillissante et la moitié seulement en état de voler. La filialisation en deux entités - Aérotech et Aérolia - des 3 sites allemands et 2 sites français de Méaulte et St Nazaire, participent de cette logique car d’ici 2011, Airbus compte bien réussir à les vendre.
La délocalisation ne concerne cependant pas uniquement la production mais aussi la conception. Dans un récent tract, La CFTC s’inquiète ainsi de voir que « 30 à 40% de tout nouveau projet ou contrat bureau d’études par exemple » pourrait être délocalisés. « D’autres sociétés ont décidé de délocaliser (…) mais pas en aveugle comme chez nous. Le résultat financier court terme, si valorisant soit il, se moque de notre capacité à construire des avions, faut il rappeler nos difficultés actuelles » explique le syndicat. Louis Gallois plaidait, en Septembre dernier, pour « un renforcement de la présence d’Airbus en Inde, en raison du nombre et de la qualité de ses ingénieurs ». Il aurait pu aussi ajouter en raison de son prix. A ce jour, « 53% des charges d’ingénierie et 45% des charges de production sont déjà sous traités » constate, depuis un bon moment, Jean François Knepper, porte parole de FO. La tendance n’est donc pas nouvelle, mais elle se confirme, au point que les salariés s’inquiètent de toutes ces charges de travail qui s’évaporent au risque de faire d’Airbus un puzzle compliqué ou une coquille vide recentrée sur trois domaines d‘activités: la conception d’avions, l’assemblage, et la vente livraison.