« Ce procès ne sera pas un simulacre, à coté des exécutants, il y aura désormais des donneurs d’ordre. » Ainsi réagit Jean François Grelier. Avec 5 autres personnes, il a porté devant le tribunal de Toulouse, la demande de citation directe contre Total. Demande que le juge le Monnyer a estimé justifier avec cependant un bémol. La demande sera examinée au fond, à la fin du procès. Autrement dit, pendant 4 mois, Thierry Desmaret sera sur le banc des accusés, un « prévenu virtuel ». En effet, si l’examen au fond est finalement jugé irrecevable, il aura théoriquement été présent pour rien.
Cette victoire sur la forme est cependant appréciée, par les victimes de l’explosion, comme une vraie victoire. Tout d’abord, parce que cette demande de Total au banc des accusés est ancienne. Tout au long de l’enquête qui a duré 6 ans, les associations de victimes la jugeaient indispensable au bon déroulement du procès qui pour eux, doit aussi parler du fonctionnement de l’usine AZF avant l’explosion. Ensuite, parce que désormais, Thierry Desmaret et le groupe Total sont considérés au même titre que le directeur d’AZF Serge Biechlin comme co responsable du drame. Certes, « ça ne préjuge pas de la tournure du procès » estime Jean François Grelier, mais ça en change un peu la nature.
En effet, la citation directe était accompagnée d’éléments minorés par l’instruction du juge Perriquet. Les parties civiles trouvait que pour lui, seul le mécanisme de l’explosion importait, occultant du même coup, tous les autres aspects en amont. « Pour qu’il y ait une explosion, c’est vrai il faut une étincelle. Mais si la méche est longue, il faut regarder plus loin que le moment où la mèche allumée entre en contact avec le produit explosif » raconte Sophie Wuittecoq, de l’association Plus jamais ça ni ici ni ailleurs. Ce raisonnement l’a aujourd’hui emporté. « On va pouvoir interroger l’organisation et le fonctionnement de l’usine AZF, notamment la gestion des produits qui y circulait » explique Frédéric Arrou, de l’association des victimes du 21 Septembre. Avec un éclairage nouveau.
Il y a en effet un an, les parties civiles ont pu accéder physiquement aux pièces du dossier entassées, loin du tribunal, dans un box de rangement loué pour l‘occasion. Beaucoup de pièces étaient en vrac et c’est un peu par hasard qu’en fouillant, elles ont trouvé des choses intéressantes qui ont nourri la décision de placer Total et Thierry Desmaret sur le banc des accusés. « on a trouvé par exemple un cahier de consignes, c’est une sorte de journal au jour le jour tenu par un responsable sécurité de l’usine. Il y notait tous les incidents, les manquements aux règles de sécurité. Tout était écrit de manière rapide, justes des notes, mais elles sont parlantes. On peut ainsi savoir précisément ce qui se passait, de ce point de vue, la veille de l’explosion. « on a aussi trouvé » complète Jean François Grelier « un échange de courriers entre le directeur d’AZF et un directeur de Total. On y lit très clairement le lien de subordination qui existait entre ce que décidait Serge Biechlin à Toulouse et ce que lui demandait Total à Paris. Le directeur s’y fait remonter les bretelles. Total ne pouvait donc pas ignorait ce qui se passait ici » insiste t-il.
Jusqu’à ce jour, Total plaidait l’ignorance parce qu’AZF était une filiale parmi d’autres, menant sa vie, loin du siège social. Thierry desmaret devra donc s’expliquer sur tous ses aspects. Maitre Jean Veil, l'avocat de Total, qui a plaidé l'irrecevabilité de la citation direct. estime que la situation est "atypique, embarassante" parce que son client qui sera entendu le 10 juin, "ne sait pas s'il sera entendu comme témoin ou comme prévenu. Pour éviter toute nullité par la suite, le tribunal lui dira surément de venir accompagner d'un avocat mais c'est quand même tout a fait inhabituelle de dire plus tard son statut dans ce procès". L'ex pdg de Total n'est pas tenu d'être quotidiennement présent puisqu'il peut se faire représenter par son avocat.
Il avait d'ailleurs prévu de venir de son propre chef à Toulouse comme témoin par respect pour les toulousains. « On est passé de l’honneur de sa visite à l’obligation de sa présence » conclut Frédéric Arrou.