Billet de blog 28 avril 2014

catherine Tarbé

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Le développement de la filière bois énergie, rentable et durable?

Les opposants au projet de la centrale de cogénération ERSCIA de Sardy-lès-Epiry dans la Nièvre sont toujours en attente du jugement du tribunal administratif de Dijon qui examine depuis le mois de février les arrêtés préfectoraux liés à ce projet.

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Les opposants au projet de la centrale de cogénération ERSCIA de Sardy-lès-Epiry dans la Nièvre sont toujours en attente du jugement du tribunal administratif de Dijon qui examine depuis le mois de février les arrêtés préfectoraux liés à ce projet. En octobre dernier, le Conseil d’Etat avait rejeté les pourvois des porteurs de projet. Ces divers recours juridique entre les partis, sans issue depuis plus de 2 ans, révèlent les difficultés à développer une filière bois énergie qui soit à la fois rentable et durable. 

ERSCIA, l’entreprise belge porteuse du projet, souhaite produire des granulés bois utilisés comme combustible biomasse pour des chaufferies ainsi que de l’électricité verte grâce à la cogénération issue de l’incinération de déchets de bois. Elle compte pour cela sur l’exploitation des plantations de résineux des alentours réalisées dans les années 70 et arrivant à maturité. Dans cette région où le revenu moyen par habitant est très faible, ce projet est vu comme une véritable opportunité par les élus locaux. Il serait à terme le point central d’un projet plus large de « Wood Valley » qui irait jusqu’en Auvergne.

Mais cet enthousiasme ne fait pas l’unanimité. Depuis 2011, les habitants de la commune concernée se sont mobilisés contre cette unité industrielle. Jérôme Bognard, vice-président d’Adret Morvan, l’Association pour le Développement dans le Respect de l’Environnement en Territoire Morvan s’est penché précisément sur le dossier. Outre la présence d’une zone humide et d’espèces protégées dans le bois où doit s’installer le projet, il y a des risques non évalués relatifs aux ressources en eau ainsi qu’aux nuisances en raison du va et vient des camions (170 par jour) et de l’entretien du réseau routier. Plusieurs questions se posent également quant à la rentabilité du projet et sa capacité à dynamiser l’emploi local: dépendance du projet aux subventions liées aux tarifs d’achat de la cogénération biomasse, absence d’étude d’impact sur les scieries locales, ressources en résineux insuffisantes pour couvrir les besoins de ce projet d’ici à 10 ans. Grâce au combat des diverses associations et collectifs mobilisés, trois arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations nécessaires pour la mise en œuvre du projet ont été suspendus depuis 2011 par le tribunal administratif de Dijon.

Les tensions liées à ERSCIA font échos à celles qui se cristallisent autour de la filière bois, à l’heure où l’on cherche à la structurer et à mobiliser davantage la ressource. Alors que 70% du territoire est recouvert de forêt et que cette dernière continue de croître, que les enjeux environnementaux plébiscitent le bois énergie et le bois construction, la balance commerciale reste déficitaire. C’est pourquoi le développement et la modernisation de la filière bois apparaissent comme des opportunités économiques locales pour les territoires.

Au niveau de l’Etat, la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité pour la période 2009-2020 a prévu de multiplier par six la production d'énergie électrique issue de la biomasse entre 2006 et 2020. Depuis, des appels d’offre portant sur des installations de production d’électricité à partir de biomasse ont régulièrement été lancés par la commission de régulation de l’énergie.

Ainsi, des projets de taille importante tels qu’E.ON à Gardanne ou Innova dans le Var voient le jour. Alors que ces installations devraient contribuer au développement et à la modernisation de filières locales ainsi qu’à une exploitation plus importante de forêts privées, ils génèrent des tensions sur les territoires.

Certaines collectivités qui s’attachent depuis une dizaine d’année à déployer des filières d’exploitation du bois courtes et locales, basées sur une exploitation raisonnée des ressources, craignent de voir ce travail déstabilisé par l’implantions de centrales biomasse de tailles conséquentes. La satisfaction des besoins en combustible de ces dernières nécessite des rayons d’approvisionnement en bois qui s’étendent jusque 400km ainsi que de l’importation de bois à bas prix permettant de rentabiliser les tarifs de rachats d’énergie dont ces centrales bénéficient. Le développement d’une filière bois locale, jusqu’ici sous-exploitée, qui nécessite temps et investissement, s’en trouve alors bloquée. Le risque de transformation de ces « incinérateurs biomasse » en incinérateur de déchets est également à prendre en considération lorsqu’une problématique relative à leur gestion existe sur un territoire.

La question des bois résineux concentre également les inquiétudes. Ces arbres à croissance rapide sont demandés autant pour le bois construction que pour le bois énergie. Comme le souligne le centre régional de la propriété forestière de Bourgogne, la plantation de résineux est un investissement qui peut s’avérer très rentable. La tendance est nette, tout particulièrement au moment de la transmission des domaines forestiers privés, à remplacer une forêt existantes, composée d’essences diverses, par des plantations de résineux rentabilisant rapidement l’exploitation. Or tous les terrains ne sont pas adaptés à ce type de plantation et une trop grande présence de résineux acidifie les sols. Ce processus de dégradation des sols est aggravé par le retrait des déchets de sylviculture des forêts servant également à alimenter les fours de certaines centrales biomasses. Il est désormais avéré que la diversité des essences et la richesse des sols sont indispensables au maintien de la biodiversité, à une meilleure adaptation aux changements climatiques, à la limitation du risque d’incendie des forêts et d’érosion des sols, au stockage du carbone.

En juin 2013, Jean-Yves Caullet, député de l’Yonne, a remis  un rapport au gouvernement, intitulé « Bois et forêt de France, un nouveau défi ». Le Plan national d'action pour les industries de transformation du bois, présenté en octobre 2013 affirme la volonté de faire de la filière bois un des leviers du « redressement productif ». Parallèlement, les dispositions du projet de loi d’avenir sur l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt, en cours de discussion au Parlement, donnent de nouveaux leviers pour mobiliser la ressource tout en reconnaissant les fonctions environnementales des forêts et en encourageant leur exploitation durable. Cela suffira-t-il à pallier aux dérives qui pourraient résulter d’une pression croissante sur la ressource bois ?

Le conflit de Sardy-les-Epiry révèle que la population sait s’emparer d’un projet qui semble incohérent, même en l’absence de consultation préalable. Si les problématiques susmentionnées n’étaient pas prises en compte, d’autres conflits pourraient émerger, retardant encore le développement de cette filière. 

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