«Nous, les enfants, nous entrons dans l’eau en riant. Nous nous éclaboussons, nous nous faisons tomber. Entrer dans l’eau n’est pas un geste décisif pour nous. L’eau n’a pas de seuil. Les grandes personnes prennent la chose tout autrement. Il suffit d’observer leurs hésitations, leurs temps d’arrêt, leurs manies : se passer de l’eau sur la nuque, faire des ronds avec leurs mains, comme si elles cherchaient à cerner leur degré de frilosité, ou bien à s’interdire par ces cercles répétés de retourner sur la rive. »
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Aller à la mer d’été en été, c’est bien confronter son corps d’adulte au souvenir de son corps d’enfant. C’est contempler le mouvement des autres corps, qu’il s’agisse de "crevettes" jouant avec pelles et seau dans un trou d’eau, jeunes partageant un jeu de raquettes, vieilles gens parcourant la plage, jambes vivifiées par l’écume des vagues mourantes.
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Pour ma part, Souvenirs de la marée basse m’évoque la plage du Petit Bec, tout au bout de Ré, dont le ressac est hypnotique, le soleil, total. Les bourses de sirène, au caoutchouc éventré, des mystères marins. Le moindre débris de verre, plus ou moins érodé, variant du blanc opalin au jade naïf, jusqu’au bête vert bouteille est ramassé, mis de côté dans la poche du short qui en a vu d’autres. Geste d’enfance que cette collection de trésors de rien, capsule temporelle contemplée plus tard, quand dehors, sous le ciel de ciment, goutte la pluie insidieuse, coule dans le col du manteau.
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« Sur la plage, le trajet de l’eau ne se répète jamais pareil. Je zigzague entre les parasols, les flaques, les barques. Je m’extasie devant les couleurs mauves d’une coquille ramassée dans l’eau. Le temps qu’elle sèche, elle a perdu toute brillance et changé de couleur ».
« Le trajet de l’eau varie selon les marées, mais aussi selon les humeurs, les curiosités, les points de fascination, choses et gens. Certains restent constants. Par exemple, les os de seiche, leur blancheur, leur légèreté, leur forme entre ovale et ogive. Ils font penser à une sorte de meringue plate et salée. Car tout ce qui se ramasse sur la plage est salé et il est toujours bon de le vérifier d’un petit coup de langue ».
Grandes marées, les os de seiche plantés dans le sable frais au crépuscule ont tout l’air de balises. Je les ramasse, choisissant les plus bombés. Leur forme oblongue, si bien décrite par Chantal Thomas, m’inspire des masques. Avec les moyens du bord (une fourchette à escargots, un crochet et un couteau), au soir, sous la lampe jaune, je grave dans la matière tendre, humide et poudreuse des lignes et détermine quelques figures ancestrales fantasmées – masques africains – des naufragés de l’histoire. La Rochelle, port esclavagiste, comme bien d’autres…
« Par le jeu de la marée montante, c’est la mer aussi qui vient à ma rencontre ».
« Les personnes, au fond, ont un rôle secondaire. Ce sont les éléments qui nous dictent nos conduites. Le soleil ou la pluie, le vent, le sable, les marées. »
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Ré, ma belle réifiée, qu’as-tu vu de ce négoce ? L’esprit vagabonde, dans la tranquille vacance de mes tracas ordinaires.
Chantal Thomas
Souvenirs de la marée basse
Le Seuil, collection Fictions et cie