Alors que l’Alsace a été choisie pour tester la nouvelle réforme des collectivités territoriales, il est intéressant de s’interroger sur les raisons de ce choix. Certes, l’Alsace est la plus petite des régions françaises et dès lors le test peut être plus facile à réaliser. Elle est aussi la seule région à appartenir à la majorité présidentielle précédente et dès lors plus docile à l’expérimentation au moment où l’idée a été lancée.Ce sont sans doute des arguments recevables. Mais, ne faudrait-il pas aussi chercher plus en amont cette volonté de construire une entité unique ? Un bref rappel historique, forcément incomplet, mais centré sur les origines de cette démarche, singulière par rapport au reste de la France, permettra de mieux comprendre.
Un premier épisode : la suite très prochainement.
Une tradition régionaliste ancienne :
L’Alsace, ballottée pendant des siècles entre des autorités tutélaires différentes, issues des royaumes de France ou du St Empire romain - germanique, a connu des frontières fluctuantes. Les villes, principautés, seigneuries alsaciennes de Haute ou de Basse Alsace se sont organisées pour faire face aux incursions de part et d’autre du Rhin. La plus célèbre de ces organisations étant la Décapole, créée en 1354, union de dix villes libres, fédérées non seulement militairement, mais aussi autour d’une entraide financière. La Décapole, qui comprend des villes de Haute et Basse Alsace, est sans doute la première forme d’unité de l ‘Alsace, ou, dit autrement, elle marque la naissance de l’Alsace!. Ainsi constituée l’Alsace, en tant qu’entité, a su se développer économiquement et résister aux nombreux assauts des souverains voisins. Si Strasbourg ne fait pas partie de la Décapole stricto sensu, parce que « ville libre », elle n’en reste pas moins proche et résiste elle aussi aux assauts. Pour exemple, au XV°s, la réponse des autorités strasbourgeoises à la demande du Roi de France Louis XI de devenir français : « niemals ! », c’est- à dire « jamais ! » On est encore loin, à cette date, de l’adhésion à la France.
Le choc de la guerre de Trente ans :
L’Alsace va être un des enjeux, indirect, de la guerre de Trente ans, guerre aux causes et enjeux complexes, qui oppose plusieurs pays, les uns autour de l’Empereur du St Empire, les autres contre, dont la France. Aux traités de Westphalie, en 1648, qui mettent, officiellement, fin à la guerre, l’essentiel de l’Alsace revient au royaume de France, mais Mulhouse et Strasbourg conservent leur statut de « ville libre »et d’autres villes regardent encore vers l’Empire. Les combats, violents et destructeurs, se poursuivent encore pendant de longues années. La « paix de Nimègue », en 1678, met enfin un terme à cette guerre ; elle marque aussi la fin de la Décapole. Mais elle ne se traduit pas par une adhésion franche des populations à la France. C’est plutôt le soulagement de voir terminé un conflit qui a vu la population décimée-on estime à plus de 50% la perte de population – les villes détruites- hors Strasbourg et Mulhouse, villes libres, peu impliquées dans le conflit- et l’économie réduite quasi à néant. Il va falloir reconstruire. Dès lors, le Roi Louis XIV et ses représentants devront faire preuve d‘habileté sinon de tolérance, pour être plus facilement acceptés ; « ne touchez pas aux usages de l’Alsace »dira l’Intendant en 1701. Ainsi, la reconquête catholique s’opère lentement, mais elle sait préserver aux protestants leur place originale. De plus, en 1681, Strasbourg se donne au royaume de France. Si le loyalisme de la population n’est pas contesté, néanmoins il est difficile de parler d’une véritable adhésion d’autant que, majoritairement, les populations, ne parlent pas le français mais un dialecte germanique, l’alsacien, qui rend plus difficile une intégration dans la communauté française.
Le réveil de la Révolution française et de l’Empire :
C’est au moment de la Révolution française que l’Alsace va prouver son adhésion à la patrie française. En 1787, l’Alsace, comme les autres provinces, se dote d’une Assemblée provinciale. Celle-ci fait un rapport sur la situation – plutôt bonne- de la province, mais aussi sur la nécessité de réformes, dont celle des impôts. Au printemps 1789, comme ailleurs en France, les Alsaciens rédigent des « cahiers de doléances », aidés par les élites. L’Alsace envoie 24 députés aux Etats Généraux, dont 10 bourgeois -mais aucun cultivateur- Le 20 juillet, le sac de l’hôtel de ville de Strasbourg confirme, par la violence, l’adhésion à la Révolution. Dans l’été 1789, la grande Peur parcourt les campagnes de France et se traduit ici aussi par de nombreuses violences et destructions -par exemple l’ abbaye de Murbach, près de Guebwiller, ou celle de Marmoutier. La nuit du 4 août, qui marque la fin de l’ordre ancien, est fêté en Alsace. En 1790, l’Assemblée constituante décrète la départementalisation, pour mettre un terme au pouvoir des provinces, mais aussi pour simplifier l’écheveau administratif complexe. En Alsace, on crée 2 départements, Haut et Bas-Rhin, avec comme siège respectif Colmar et Strasbourg. Si, dès cette date, Mulhouse est plus importante que Colmar, elle est cependant encore une « République libre », ce qui explique le choix de Colmar. Cette réforme est sans doute la plus importante et la plus durable. Ce n’est en quelque sorte qu’ aujourd’hui, plus de 2 siècles après, seulement qu’elle est remise en question. Cette réforme met fin à la mosaïque administrative alsacienne qui, aux limites administratives complexes et enchevêtrées du royaume, superposait parfois des limites de l’époque pré-française. Elle permet, avantage le plus grand, de rapprocher le citoyen de l’administration. A la même époque, les barrières douanières sont repoussées au Rhin. Ces premières réformes sont acceptées par les populations, la fête de la Fédération, en juillet 1790, est un succès populaire et prouve l’adhésion à la Révolution, de nombreuses sociétés populaires sont créées. Le nouveau maire de Strasbourg, le Baron de Dietrich, demande en avril 1792, au début des guerres révolutionnaires, au capitaine du génie Rouget de l’Isle, d’écrire un chant patriotique pour les armées du Rhin ; chant qui est aujourd’hui encore l’hymne national- cf doc illustré joint-. Les années suivantes -entre 1793 et 1802- sont plus contrastées. L’Alsace, de forte tradition chrétienne, accepte mal la politique anti-religieuse des Révolutionnaires, la Terreur fait de nombreuses victimes. Pourtant, il n’y a pas en Alsace de mouvement semblable à celui des Vendéens. En 1798, Mulhouse si longtemps réticente, demande la « réunion » à la France. La période napoléonienne termine ce chapitre et, vers 1815, on peut faire un bilan plutôt positif de ces années ; L’Alsace a prouvé son adhésion et son patriotisme en donnant à la Grande Armée napoléonienne 70 généraux – dont Kléber et Rapp-, la conscription, à partir de 1810, est acceptée et permet un brassage social, tout en contribuant à faire progresser l’usage de la langue française. Un gros effort est fait au niveau des écoles et le problème linguistique est posé et discuté pour la 1° fois. La langue française gagne du terrain grâce à ces efforts, même si il ne faut pas exagérer les résultats. Le concordat et les articles organiques ont permis aux populations, très pratiquantes, contrairement sans doute au reste de la France, de retourner dans les églises. Les préfets, surtout Lesay-Marnésia, ont fait un remarquable travail pour faire régner l’ordre, cher aux Alsaciens, dans la province. Ainsi, en 1815, les Alsaciens se sentent majoritairement français, mais avec leurs traditions.
Entre 1815 et 1871 : le calme avant la tempête ?
Les années qui suivent la période napoléonienne, sont, en Alsace, assez semblables au cheminement du reste du pays : les régimes se succèdent et n’apportent , à quelques exceptions près, pas de changements en ce qui concerne l’adhésion à la France, tout en gardant un particularisme: l’administration, consciente du problème linguistique, insiste sur la nécessité d’apprendre le français . On peut noter aussi une crainte, chez certains Français, de voir l’Alsace tentée par l’Allemagne, alors que des Allemands regrettent la perte de cette province féconde.
A suivre, dans une prochaine édition, épisode 2 Geneviève Baas, pour une édition de Médiaprt.