Au commencement était… l’Alsace ! épisode 2.
La trahison : l’Alsace dans le Reichsland :1871-1918 :
En juillet 1870 l’Empereur Napoléon III lance le pays dans une guerre contre la Prusse, elle se déroule essentiellement en territoire alsacien, est destructrice et meurtrière et s’avère rapidement perdue. Alors que l’Alsace a prouvé son attachement et son patriotisme à la France, elle se sent trahie, lorsque, en 1871, au Traité de Frankfort, la nouvelle République française cède l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand, après une guerre hasardeuse et malgré les protestations des députés alsaciens à Bordeaux. Seul le « territoire de Belfort » reste français, en partie grâce à la défense héroïque de Denfert-Rochereau. L’Alsace devient « Reichsland », terre d’Empire, dont Strasbourg est la capitale. Commence alors une longue période au cours de laquelle la francisation acquise précédemment va peu à peu s’estomper. Si près de 500 000 Alsaciens ou Mosellans ont « opté », comme le leur permettait la loi, pour la France, la majorité de la population subit l’annexion et se soumet aux lois allemandes. Les opposants sont surtout des politiques, au demeurant très actifs, comme Lauth ou Kablé, qui poursuivent la « protestation », ou des familles bourgeoises qui cultivent avec fierté l’appartenance à la France et l’usage, en privé, de la langue française. Parallèlement, l’Alsace se repeuple d’immigrés allemands, venus, en quelque sorte, « coloniser » la province. Les années passent, les premiers protestataires disparaissent, le paysage politique évolue. Parallèlement, des réformes sont proposées, notamment dans le domaine social, qui améliorent la vie des populations. Une nouvelle génération arrive, qui n’a pas connu la France, le souvenir français semble s’éloigner, du moins de la majorité de la population. A partir de 1902, le régime s’assouplit, les députés alsaciens se font plus actifs – Ricklin, par exemple- et en 1911 le Reichstag autorise une certaine autonomie avec une constitution et un Landtag, élu au suffrage universel. Rapidement cette assemblée est très politisée et les députés alsaciens, majoritairement du Zentrum catholique, manifestent d’une part leur attachement au « particularisme alsacien -lorrain », à la défense du catholicisme, à un moment où la France vote les lois laïques, mais aussi leur francophilie, notamment avec la création du « souvenir français ». Le Landtag est une instance régionale avec un pouvoir de décision, même si celui-ci reste limité. Le déclenchement de la grande guerre en 1914 ne permet pas de voir si le jeu de l’autonomie qui commençait aurait pu réellement fonctionner. Il n’en reste pas moins que c’est une nouvelle expérience d’instance régionale pour l’Alsace.
De la grande Guerre au retour dans la mère –patrie : le "malaise alsacien" :
Dès les premiers combats, dans la région de Thann dans l’été 1914, la France semble se souvenir de l’Alsace : le général Foch apporte aux habitants du Sundgau le « baiser de la France.. le respect de vos libertés alsaciennes, de vos traditions… » La guerre terminée, l’Alsace fête avec enthousiasme son retour dans le giron de la mère-patrie. Le Traité de Versailles en 1919,officialise ce retour et les autorités françaises s’attendent à une ré-intégration facile dans le cadre de la loi française ; en peu de temps, les noms de rues passent de l’allemand au français, l’administration française supplante les anciens cadres et voudrait imposer rapidement le cadre législatif français. Mais c’est oublier que, après les longues pages de son histoire particulière et près de 50 ans de régime allemand, les Alsaciens ne sont pas disposés à céder sur tous les points. Les points les plus litigieux concernent le problème linguistique et l’école -qui du jour au lendemain passe de la langue allemande à la langue française, et surtout le problème religieux : l’Alsace est attachée à ses religions, très pratiquées et veut garder le régime antérieur à 1905. Le « malaise » est à son comble. Alors que le gouvernement Herriot, en 1924, tente de faire passer les lois en force, une très grande manifestation est organisée à Strasbourg, et fait reculer le gouvernement. Mais quelque chose s’est brisé, dans les relations entre l’Alsace et la France, les Alsaciens sentent leur particularisme, leur double culture, leur double appartenance : ils sont Français ET Alsaciens. A cette date, aucune région ne manifeste un tel sentiment. En 1926, le « manifeste du Heimatbund », violent plaidoyer pour le respect du particularisme alsacien, mais teinté d’autonomisme, paraît et est signé par de nombreuses personnalités. Tel que, il est désapprouvé par le pouvoir central. Des députés alsaciens tentent, une première fois, de déposer un projet de loi pour une « région Alsace » en 1926, qui transcendrait l’organisation départementale. Ce projet est repris en 1934 par 9 députés- dont Michel Walter, Thomas Seltz, Henri Meck, de l’UPR, mais aussi Rossé, autonomiste. Le projet prévoit que « la région alsacienne est administrée par une assemblée régionale qui élit en son sein une commission régionale ». Mais la France n’est pas prête pour la décentralisation, elle est encore exclusivement jacobine et ne voit dans ce projet, une nouvelle fois, que risque d’ autonomie, voire de scission. Toutes les organisations jugées autonomisantes sont poursuivies, voire interdites. Mais le malaise demeure, l’Alsace semble sous surveillance, son patriotisme est remis en question .
De 1940 à nos jours….
L’annexion de fait en 1940 trouble à nouveau les cartes : pour la deuxième fois en un siècle, l’Alsace redevient – hors toute convention légale- allemande, dans un régime dictatorial qui n’a rien à voir avec celui de 1871-1918. La période laisse des blessures, encore perceptibles aujourd’hui, notamment autour des « malgré-nous », mais c’est une autre histoire. Revenons à notre sujet principal, la personnalité alsacienne. Les générations du XX°s, surtout celles nées au début du siècle, sont les plus marquées par cette histoire singulière : elles ont changé 4 ou 5 fois de nationalité, sont passées du français à l’allemand et vice versa, sont devenues alliées puis ennemies puis alliées de la France ; n’est-ce pas là une raison suffisante de s’interroger sur son identité et de comprendre le particularisme ? Des hommes de lettres, comme Emile Baas ou Frédéric Hoffet l’ont expliqué longuement dans leurs ouvrages -« Situation de l’Alsace » et «Psychanalyse de l’Alsace ». Ils ont revendiqué ce particularisme, cette double culture, double appartenance, comme un trait de leur personnalité, de la personnalité alsacienne. C’est au nom de ce particularisme qu’avec eux des personnalités politiques, comme Pierre Pflimlin, se positionnent très tôt en faveur de la décentralisation au profit d’un pouvoir régional. Mais il faudra attendre le bouillonnement des idées issues de mai 1968, pour voir cette revendication aboutir. Au début des années 1970, enfin, l’Etat français songe à la décentralisation : la loi de juillet 1972 crée 21 régions françaises, mais ne leur donnent pas encore de réels pouvoirs et les membres du conseil régional ne sont pas élus au suffrage universel. Tel que, ce n’est qu’une couche supplémentaire au millefeuille administratif, sans pouvoir décisionnel. L’alsace, avec ses 2 départements, est la plus petite de ces régions. En 1982, Gaston Defferre donne enfin un vrai sens aux régions : cette fois elles sont dotées d’un conseil régional élu au suffrage universel et sont dotées de certaines compétences décisionnelles, c’est l’acte I de la décentralisation, complété par le gouvernement Raffarin en 2003 -acte II. Mais le maintien des départements et d’autres échelons intermédiaires semblent alourdir la machine administrative et la rendre exagérément coûteuse . C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le projet qui nous est aujourd’hui soumis.
Conclusion :
Depuis ses origines, l’Alsace peut être considérée comme une région particulière : son histoire l’a ballottée entre des autorités différentes dont elle a souvent tenté de s’échapper, en exprimant vivement ses choix « régionaux » . Son adhésion à la France, au moment de la Révolution, a été totale, elle ne l’a jamais reniée ; mais en même temps, elle a tenu à garder sa personnalité, son désir ancien de se constituer en entité régionale autour de ses valeurs, sa langue, ses religions, son esprit de tolérance et aussi peut-être son sens de l’ordre et de la discipline. Trahie à maintes reprises par ceux qui devaient la protéger, l’Alsace reste une région fière. Aujourd’hui, elle doit être capable de surmonter les plaies du passé, de ne pas se positionner en « victime », ce qu’elle a parfois eu trop tendance à faire le siècle dernier et de prouver aux autres régions sa capacité d’innover et d’aller de l’avant. Le projet proposé et qui nous occupe aujourd’hui, est-il bon ? à chacun de l’apprécier selon ses critères, au moins a-t-il le mérite de prouver cette capacité d’innover.
Geneviève Baas- mars 2013- Pour une édition de Médiapart