Le jeudi 10 novembre 2011, lors des Assises du journalisme qui se tenaient à Poitiers, l'Upic tenait sa première réunion publique. En voici le compte-rendu.
Compte-rendu du débat : « Information citoyenne », de quoi parle-t-on ?
(Vous pouvez aussi réécouter ce débat)
• Animateur du débat, François Longérinas, directeur de l'École des métiers de l'information (Emi), commence par en introduire la problématique et les enjeux. « Sait-on exactement de quoi on parle lorsqu'on évoque l'idée d'une information citoyenne ? Journalistes, acteurs sociaux et citoyens peuvent-ils co-produire une information de qualité ? Comment définir le rôle de chacun ? Chacun dans sa tête sait-il lui-même à quel moment il est journaliste et à quel moment il est blogueur ? » Il rappelle que l'objectif de l'Université populaire pour une information citoyenne, dont c'est là le premier débat public, entend analyser, expertiser, mais aussi « agir dans l'espoir de tisser de nouveaux liens entre le public et les journalistes professionnels ».
• Premier intervenant, Marc Mentré, responsable de la filière journalisme à l'Emi, provoque aussitôt les réactions en lançant : « Chaque citoyen est journaliste ». Un exemple : les événements de la place Tahrir, en Égypte, ont été répercutés par les médias traditionnels, mais aussi par les centaines de téléphones portables qui se trouvaient là. « Tout le monde peut aujourd'hui capter un témoignage, publier sur un site, et même sur une plate-forme hébergée sur un média classique. Et tout cela va ensuite se propager, se nourrir sur les réseaux sociaux. » Et puis, il existe aujourd'hui de purs médias citoyens, comme le site Agoravox. Dans ce paysage où les anciennes frontières entre professionnels de l'information et amateurs volent en éclats, qu'est-ce qui différencie encore un journaliste d'un citoyen, ou un média d'un blog non médiatique ? « Le journaliste se distingue par son expertise – valider et recouper une information, notamment – mais, pour cela, il faut du temps, donc de l'argent. » Il se différencie aussi par sa capacité à « raconter des histoires ». Mais Marc Mentré pronostique que le média, demain, sera surtout « le lieu où se mène le débat public ». Ce qui représente une évolution spectaculaire dans le rôle imparti aux médias. « Et là-dessus, en France, nous sommes encore un peu en retard ».
• Géraldine Delacroix, responsable du Club de Mediapart, raconte ensuite l'expérience de ce site en tant que média créé par des professionnels – et très journalistique – mais adossé sur un large espace ouvert au public (70 à 100 contributions publiées chaque jour, contre une dizaine d'articles journalistiques seulement). Elle rappelle que tous les abonnés à Mediapart peuvent y ouvrir un blog. « Le plus petit dénominateur commun entre journalistes et citoyens, c'est qu'ils participent tous au débat public. » Les participants extérieurs peuvent être de plusieurs types : « Des ONG qui nous choisissent pour diffuser une campagne, une citoyenne qui envoie ses dessins de presse, des invités qui envoient des tribunes, des journalistes amateurs qui assurent des chroniques spécialisées, des universitaires ou des pigistes qui tiennent un blog… » Cette présence extérieure, ainsi que le fil continu des commentaires et les recommandations de tel ou tel article, permettent un dialogue permanent avec la rédaction : « On répond à longueur de journée à nos lecteurs, et c'est un temps aussi important que celui consacré à l'investigation. »
• Philippe Merlant, coordinateur de Reporter citoyen, dispositif de formation des jeunes de quartiers populaires au reportage multimédia, tente de clarifier les enjeux de l'information citoyenne. « Ce même terme recoupe trois dimensions différentes, explique-t-il : la prise en compte par les journalistes d'une dimension citoyenne dans l'exercice de leur métier ; la capacité des citoyens à devenir producteurs d'informations ; et la coproduction entre citoyens et journalistes. » La première dimension repose sur l'idée que le journaliste doit s'adresser à son public non comme de simples consommateurs, mais comme des citoyens susceptibles de participer à la décision publique, ce qui suppose d'« actionner trois leviers : penser, agir, débattre… ». La deuxième est concrétisée par l'émergence d'Internet et des réseaux sociaux, qui « permet au citoyen lambda, hier cantonné dans le rôle de récepteur, de devenir également producteur et diffuseur d'informations »… La troisième, prometteuse mais délicate, mise sur la capacité des professionnels et des amateurs à coproduire ensemble de l'information : conférences de rédaction ouvertes aux citoyens, témoignages participatifs et enquêtes participatives en sont trois des outils majeurs.
• Puis Agnès Rousseaux, journaliste à Basta Mag, qui se présente comme une « agence d'informations sur les luttes sociales et environnementales » et dont le site (en accès gratuit) revendique plus de 150 000 visiteurs mensuels, nous explique comment ce site essaie de concilier travail journalistique et liens privilégiés avec des forces militantes. « Nous appuyer sur les mouvements sociaux, qui sont des lieux de production de sens et d'analyse collective, nous permet d'avoir un regard décalé par rapport aux médias traditionnels, mais aussi d'avoir un temps d'avance sur des problèmes en émergence car nous sommes souvent le relais des lanceurs d'alerte », affirme-t-elle. Pour bastamag.net, il ne s'agit pas seulement de dénoncer, s'indigner, il faut aussi « offrir des débouchés concrets » et « montrer que des alternatives sont possibles » : c'est « ce qui alimente la volonté d'engagement », explique encore Agnès. Le site a fait le choix d'être sous licence creative commons, qui fait que « les acteurs sociaux peuvent s'en saisir et diffuser des contenus ». Elle énonce enfin quelques conditions pour ne pas être « instrumentalisés » : « Avoir une multitude de sources et de décryptages différents, assumer un rôle critique à l'égard des mouvements sociaux, veiller à garantir notre indépendance financière et politique. »
• Christine Menzaghi, cofondatrice d'Information et citoyenneté, explique que la création de cette association, en janvier 2009, par trois mouvements d'éducation populaire (Cémea, Francas et Ligue de l'enseignement) avait pour objectif de « faire entendre la voix du public dans les débats sur la qualité de l'information ». Elle rappelle que les États généraux de la presse écrite se sont tenus sans représentants du public, « donc des États généraux sans tiers-état ! » « Nous refusons d'être réduits à des signes marketing et à des chiffres d'audience, poursuit Christine Menzaghi. Nous sommes des citoyens qui croient à la place de l'information dans une démocratie et sont prêts à militer pour l'information de qualité à laquelle nous avons droit ». Information et citoyenneté pratique depuis trois ans l'éducation aux médias, dans le cadre de l'université populaire de Bondy notamment. « Nous avons été stupéfaits de constater le niveau de défiance envers les médias. Les gens n'y croient plus, n'ouvrent plus les journaux, la radio ou la télé… Résultat : nous passons beaucoup de temps à re-crédibiliser le système médiatique ! » Elle alerte aussi sur les risques de confusion, dans l'esprit des gens, entre journalisme, expression libre, communication et même publicité. « Alors, l'information citoyenne, oui… Mais en faisant attention à ne pas accroître cette confusion : il faut expliquer aux gens la spécificité d'une information journalistique. »
• Enfin Clémentine Autain, directrice de Regards et ancienne maire-adjointe à la Jeunesse de la Ville de Paris, souligne le paradoxe de la période actuelle : « Nous disposons de plus d'infos que nous n'en avons jamais eues en même temps que grandit un fort sentiment de désinformation. »
L'information de plus en plus homogène et uniformisée vient sans doute largement, selon elle, de « la baisse de la conflictualité politique ». Mais Clémentine Autain voit dans l'émergence des nouveaux médias le signe « d'un réveil de la pensée critique et de l'exigence de démocratie ». Cela dit, pour démocratiser en profondeur l'information, « les conditions matérielles jouent beaucoup », car le fait que des journaux soient propriété de Dassault, de Rothschild ou de Pigasse influe sur leur contenu. De plus, produire une information de qualité demande des moyens, surtout si l'on veut garder du « temps non immédiatement productif », indispensable dans ce métier. Elle estime qu'« un gouvernement progressiste devrait casser la concentration et mettre en place un fonds de soutien aux médias indépendants ». Il faudrait aussi s'attaquer à la concentration dans la diffusion. Enfin, deux autres critères apparaissent essentiels à ses yeux : la « diversification des profils de journalistes » (issus de milieux sociaux variés) et la nécessité d'apporter aux récepteurs de l'information une véritable « éducation à l'image ».
• Après ces interventions liminaires, le débat a porté sur quelques points cruciaux :
- la rétribution éventuelle des blogueurs (y compris de manière non marchande) ;
- la nécessité pour une société de rémunérer le travail intellectuel ;
- le risque de contribuer, avec une information citoyenne gratuite, à faire fondre encore davantage les effectifs des rédactions ;
- les conditions de l'indépendance financière alors que le modèle économique d'Internet n'est toujours pas trouvé ;
- les nouvelles sources de financement du travail journalistique ;
- la spécificité du travail journalistique à l'heure où les citoyens deviennent eux aussi producteurs d'informations ;
- la nécessité d'installer des cadres collectifs autres que l'habituelle conférence de rédaction ;
- les causes de la défiance du public envers les médias classiques.
• En conclusion, François Longérinas a annoncé que l'Université citoyenne pour une information citoyenne tiendrait une nouvelle session au printemps, dans le cadre de l'Université populaire et citoyenne animée par Jean-Louis Laville et hébergée par le Cnam (Conservatoire national des Arts et Métiers).