Le 20 mars, dans notre édition, Nicolas Offenstadt signalait déjà la publication dans le journal l’Humanité d’un dossier concernant « la mode iconique actuelle » autour de Marie-Antoinette. En effet, la mode Marie-Antoinette bat son plein. Après le film de Sophia Coppola ou la réouverture du Petit Trianon à Versailles, la reine de France fait l’objet en ce moment d’une exposition au Grand Palais à Paris.
Dans une scénographie très spectaculaire, sont présentés des objets ayant appartenu à la reine : des vases, des sculptures, des porcelaines ou des meubles anciens. On trouve aussi un très grand nombre de portraits la représentant. Le but recherché par cette exposition d’objets (le plus souvent magnifiques) semble être avant tout celui de reconstituer la vie que Marie-Antoinette mena à l’écart du monde dans son Petit Trianon.
Marie-Antoinette, une reine hors du monde ? C’est bien l’impression que peut avoir le visiteur, surtout lorsqu’il entre dans les salles consacrées à la Révolution française. Le personnage y est, en effet, totalement dépolitisé : l’image qui est ainsi construite est celle d’une reine hédoniste, gentiment capricieuse, dépassée par les événements de son époque, pour lesquels elle n’a finalement que peu d’intérêt ; en un mot une victime. Victime de la folie révolutionnaire et de sa violence, victime surtout parce qu’elle n’aurait joué aucun rôle politique et qu’elle se serait toujours tenue à l’écart des sphères du pouvoir. De quoi, finalement, entretenir la pensée contre-révolutionnaire qui n’a jamais disparu en France depuis la Révolution.
Si l’on tente d’être un peu historien, et qu’on choisit dès lors de ne juger ni les uns ni les autres, on peut rappeler avec François Furet et Denis Richet[1] - et on peut difficilement les accuser de gauchisme - que Marie-Antoinette a eu une action politique avant même la Révolution. Elle s’est par exemple toujours impliquée pour aider les intérêts de l’Autriche, même lorsqu’ils étaient en contradiction avec ceux de la France ; autre exemple en 1787, lorsqu’elle fait pression sur le roi pour congédier Calonne, qui tentait de s’attaquer à certains privilèges de la noblesse et du clergé. Lors de la Révolution aussi, la Reine agit. Au cours de l’été 1789, alors que l’Assemblée nationale est née, le comte d’Artois, Polignac, les Princes de Condé et de Conti songent à la revanche, la reine aussi. Lorsque après 1790, les événements semblent échapper de plus en plus à Louis XVI, elle se sert des liens qu’elle a gardés avec son pays de naissance pour demander une intervention militaire étrangère contre les Révolutionnaires et elle conseille au roi la fuite à l’étranger. On pourrait multiplier les exemples…
Si l’image d’un roi faible influencé par une reine qui le pousserait au retour à l’absolutisme a été abandonnée par les historiens, il faut toutefois souligner que Marie-Antoinette a eu une action politique, qu’elle est intervenue à maintes reprises, auprès du roi notamment, avant et pendant les événements révolutionnaires. Or, cette dimension politique du personnage n’est plus jamais mise en évidence, et, ainsi, on fait d’une pierre deux coups : la reine glamour devenue personnage consensuel se vend bien, et une certaine vision de la révolution se trouve alors défendue. Présentation finalement très politique d’une « reine apolitique ».
[1] François Furet, Denis Richet, La Révolution française, Paris, Hachette, 1963.