Billet de blog 17 mai 2009

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Samuel KUHN

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Transsexualité : une décision historique

  Une « décision historique ». C’est ainsi que le comité IDAHO (International Day Against Homophobia and transphobia) et les associations de lutte contre l’homophobie et la transphobie ont salué, à juste titre, la décision prise par Roselyne Bachelot de saisir la Haute Autorité de santé afin de déclassifier la transsexualité des affections psychiatriques.

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16/05/09 Témoignage de Louis, transexuel montpelliérain © gazettedemontpellier

Une « décision historique ». C’est ainsi que le comité IDAHO (International Day Against Homophobia and transphobia) et les associations de lutte contre l’homophobie et la transphobie ont salué, à juste titre, la décision prise par Roselyne Bachelot de saisir la Haute Autorité de santé afin de déclassifier la transsexualité des affections psychiatriques.

La France serait ainsi le premier pays à prendre une telle décision, répondant à Louis-Georges Tin, organisateur de la Journée mondiale contre l’homophobie (et par ailleurs auteur d’un Dictionnaire de l’homophobie, PUF, 2003), qui appelait vendredi dans Libération à cette déclassification (« Les trans sont des cibles aisées », interview, vendredi 15 mai 2009, http://www.liberation.fr/societe/0101567380-les-trans-sont-des-cibles-aisees).

C’est en effet une véritable avancée, tant la question de la transsexualité reste dans l’ombre des questions LGBT (lesbienne, bi, gay et trans). Une part d’ombre bien résumée par la solitude de cette militante transsexuelle devant le centre Pompidou, l’an dernier à l’occasion de la journée mondiale contre l’homophobie.

http://www.dailymotion.com/video/x5gq8h_la-solitude-de-la-militante-transse_news

La question trans (transsexuelle ou transgenre) bouscule et réinterroge en effet non seulement l’ordre établi (à commencer par l’état civil) mais aussi la problématique du genre et de l’identité sexuelle, qu’il s’agisse d’une démarche s’inscrivant dans un processus officiel de réassignation d’une nouvelle identité ou de résistance à la normalisation de la masculinité et de la féminité.

L’occasion de (re)découvrir l’ouvrage de la philosophe des Queer Theories, Judith Butler, Gender Trouble paru aux Etats-Unis en 1990 (Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, La Découverte, 2005, préface de Eric Fassin). L’ouvrage fut un événement, jetant justement le trouble dans le champ des études féministes et queer, en cherchant à penser ensemble genre et sexualité, féminisme et subversion de l’identité pour définir un féminisme qui ne soit pas fondé sur l’identité féminine. Le genre, comme étude des rapports de pouvoir constitue en cela une « catégorie utile d’analyse historique » pour reprendre l’expression de l’historienne Joan W. Scott (article publié en français dans Les cahiers du GRIF, 37-38, printemps 1988). Butler montre par exemple que si la sexualité, lesbienne dans son cas, peut-être entreprise de libération des assignations de genre, c’est d’abord l’exception qui donne la clé de compréhension. Ainsi le drag (travesti) révèlerait la vérité de chacun : hommes, femmes, hétéros ou homos, nous ne ferions que nous travestir afin de nous conformer aux normes du genre et de la sexualité ; ceux qui se croient les plus « normaux » risquant d’être les plus aveugles à leur condition.

Les identités, les normes et la naturalisation de ces normes sont alors bousculées dans leur fixité par les problématiques LGBT (qu’on songe à Thomas Beattie, premier transsexuel enceint médiatisé). Butler l’expliquait ainsi au magazine Têtu (novembre 2008, interview croisée avec Beatriz Preciado, « Les transgressives ») : « Ce qui est dangereux, c’est de penser que la masculinité est une chose bien précise et la féminité une autre et qu’elles ne peuvent être que ça. Aussi, la mélancolie dont je parle apparaît surtout dans la formation d’identités rigides (…). Dans le monde gay et lesbien aussi, il peut y avoir une certaine « police de l’identité ». Comme si, en tant que lesbienne, je ne serais que lesbienne, je ne ferais que des rêves lesbiens, je n’aurais que des phantasmes avec des femmes. La vie, ce n’est pas l’identité ! La vie résiste cette idée de l’identité, il faut admettre l’ambiguïté ».

Car précisément la « valence différentielle des sexes », pour reprendre l’expression de François Héritier, semble s’inscrire dans les structures élémentaires de parenté par le partage des sphères publiques et privées du côté, respectivement, du « masculin » et du « féminin » (idée à l’origine de l’exclusion des femmes de la sphère publique ; on trouve un argumentaire en ce sens chez Xénophon), ces identités sexuées sont d’abord des normes et résultent d’une construction historique, à la fois sociale et politique.

Sur ces processus de construction on pourra lire, parmi de récents essais, celui de Louis-Georges Tin, L’invention de la culture hétérosexuelle (éditions Autrement, 2008) invitant son lecteur à « sortir l’hétérosexualité de “l’ordre de la nature”, et la faire entrer dans “l’ordre du temps”, c’est-à-dire dans l’Histoire » (p.11), l’hétérosexualité relevant d’un processus culturel initié, selon l’auteur, à partir du XIIe siècle. Mais dans la coupure entre une sphère « féminine » et « masculine », c’est le XIXe siècle qui édicte de nouvelles normes, contribuant à la fois à la naturalisation et à la codification de la place de « la femme » et, en réaction, à la naissance du féminisme. Ainsi voit-on s’ériger dans la littérature et la presse des identifications sociales et politiques codifiées par les rapports de genre. On connaît par exemple le rôle des manuels de savoir-vivre, du mariage et du trousseau (étape qui marque l’accession de la jeune fille à l’âge des responsabilités adultes) dans la construction de la figure de la femme bourgeoise comme épouse, mère et maîtresse de maison.

Mais à côté de la « féminité », le XIXe siècle donne également naissance à la « masculinité » (notamment étudiée dans une perspective sociologique par Daniel Welzer-Lang). Dans ce champ récent et moins connu de l’histoire des masculinités, Anne-Marie Sohn vient de publier un livre important : “Sois un homme !”. La construction de la masculinité au XIXe siècle (éditions du Seuil, 2009). Au plus près des archives, elle s’attelle à l’historicisation de la masculinité en détaillant l’évolution de son identité dans le temps, les lieux (au cabaret comme à l’usine) et les classes sociales. Elle nous entraîne dans le parcours initiatique des jeunes garçons appelés à devenir des hommes en suivant les traces de leurs pères et s’appropriant avec les rites, les mots et les schèmes de pensée masculins (notamment marqués par la figure du militaire). Mais l’auteure montre également le déclin de la violence comme figure positive du masculin, laissant ainsi place à une masculinité plus apaisée et raisonnée. Evolution qu’Anne-Marie Sohn relie à la mise en place de la démocratie et d’une nouvelle civilité. Ce processus de démocratisation fait ainsi écho à l’actualité la plus récente. La déclassification psychiatrique de la transsexualité ouvre-t-elle une nouvelle étape, comme a pu l’être le PACS, dans l’avènement d’une véritable démocratisation sexuelle ?

Une démocratisation qui passera d’abord, comme l’explique Eric Fassin, par la dénaturalisation des normes. Des normes qui ne sont plus pensées comme des essences, des données de toute éternité, mais « comme le produit d’une construction, et donc potentiellement d’une délibération politique » (entretien avec J.Lindgaard et S.Bourmeau, Les Inrockuptibles, n°452-454, juillet-août 2004).

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