Billet de blog 23 octobre 2008

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Historiens, circulez, vous n’avez rien à dire là-dessus... Réponse à Henri Guaino.

Que les historiens étudient l’histoire ou la manière dont on la met en scène, voilà bien une idée saugrenue. Henri Guaino, le 22 octobre s’est exprimé en ce sens dans le 19/20 de France 3 au cours d’un sujet

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Que les historiens étudient l’histoire ou la manière dont on la met en scène, voilà bien une idée saugrenue. Henri Guaino, le 22 octobre s’est exprimé en ce sens dans le 19/20 de France 3 au cours d’un sujet

sur les usages de l’histoire par le président de la République. Ce 22 octobre avait donné lieu, comme l’année dernière, mais en mineur, à une journée « Guy Môquet » où les enseignants avaient à lire ou faire lire les lettres de jeunes résistants. Citons texto le conseiller spécial du Président :
« J’ai le droit imprescriptible de chercher les références que je veux dans le passé de mon pays ou dans l’histoire du monde. L’historien n’a strictement rien à dire là-dessus, c’est aussi un choix politique, la manière dont on lit le passé de son pays, et dont on en parle. C’est pas une appropriation. Qui peut dire que Jaurès ou Blum appartient à tel ou tel parti, que Jeanne d’Arc appartient à tel autre parti. [...] Dans ce passé on va effectivement chercher à fonder un certain nombre de valeurs communes, de principes communs, c’est quelque chose de tout à fait naturel pour souder une communauté à fortiori dans une période où la crise identitaire est assez profonde ».
Le « droit imprescriptible » de choisir ses références est assurément celui de tout individu, tout comme le président de la République a pour tâche de tenir un discours sur les mémoires du pays qu’il dirige. Mais ces « droits » semblent, chez Nicolas Sarkozy, en flagrante contradiction avec un devoir de toute parole publique responsable : celui d’intelligibilité, c’est-à-dire de rendre l’histoire compréhensible au mieux pour les citoyens, de donner à ceux-ci les outils intellectuels pour se situer dans le temps. Celui de ne pas tout mélanger comme dans un shaker. Or, les discours historiques du Président, comme ses mises en scènes, sont une somme de confusion et de compression des époques, de jeux hors-contexte et de pipolisation des figures de l’histoire qui lui conviennent.
Oui, Jaurès ou Blum étaient membres du Parti socialiste, SFIO (section française de l’Internationale Ouvrière), oui ils en furent des figures phares qui promurent des valeurs sans rapport aucun avec celles du gouvernement en place. Rappelons seulement que Jaurès défendit la baisse du temps de travail, l’impôt comme outil de justice sociale ou les grévistes. Oui Jeanne d’Arc a été particulièrement utilisée par le Front national depuis des années, bien plus que dans les autres formations politiques. La brandir et vouloir la « reprendre », c’est un choix mais un choix en effet politique.
Le passé mis si directement au service du présent, si contraint, n’est pas forcément la meilleure histoire que l’on puisse faire ni livrer aux citoyens. Faut-il rappeler sans fin la fameuse formule de Lucien Febvre « une histoire qui sert est une histoire serve » ? Pardon, sur tout cela, l’historien n’a « strictement rien à dire ». Pas plus qu’à s’inquiéter des références les plus nationalistes, les plus exclusives qui parsèment les propos présidentiels, dans une France qui préside le Conseil de l’Union européenne et gère des populations plurielles. Sans compter la protection du drapeau et de la Marseillaise, des pratiques d’adhésion digne des régimes les plus volontaristes...Mais, là dessus, l’historien n’a « strictement rien à dire », non plus. A quand la fermeture des départements d’histoire et le parti unique de la mémoire. Pourquoi pas le nommer, M. Guaino, Union pour la Mémoire Partisane ?

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