A propos de Benoît Rayski, Le cadavre était trop grand. Guy Môquet piétiné par le conformisme de gauche, Denoël, 2008, 122 p. (de trop).
Faut-il discuter des propos orduriers ? La question se pose et sans doute peut-on y répondre de diverses manières. L’opuscule de Benoît Rayski pourrait en effet rester dans les oubliettes si l’auteur n’avait su montrer en d’autres circonstances un peu plus de dignité (voir L’enfant juif et l’enfant ukrainien. Réflexions sur un blasphème, 2001). Certains chroniqueurs ayant en outre jugé bon de signaler ce petit libelle à leurs lecteurs, il convient donc de le remettre en perspective. Le propos est bien simple : à lire Benoît Rayski, tous les enseignants et militants qui se sont opposés en octobre 2007 à la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet, selon les consignes du Président de la République, sont de sombres crétins, écervelés, pro-palestiniens plus ou moins primaires. Rien de plus, rien de moins. Etant explicitement rangé dans cette catégorie pour un article publié dans Libération, je m’autoriserai à personnaliser quelque peu cette réponse.
Ce qui frappe d’abord dans ce pamphlet, c’est qu’aucun des arguments de fond opposés à la lecture officielle de la lettre n’est véritablement pris en considération. Un des plus importants rappelait que les programmes de collège et de lycée prévoient des heures spécifiques pour enseigner la guerre et la résistance, ce que font tous les enseignants, y compris en présentant et étudiant des lettres de fusillés et de résistants : ils n’ont attendu, ni Nicolas Sarkozy, ni Benoît Rayski pour rappeler les grands textes des héros de l’ombre. Ce simple fait invalide d’emblée la diatribe contre ces enseignants qui refuseraient de s’intéresser à ces documents et à la mémoire qu’ils portent... L’auteur trouve encore ridicule que les profs préfèrent situer les textes en contexte - « la quintessence de la pensée analphabète » (sic) - et prendre le temps de les expliquer. Bref, qu’ils fassent leur métier d’éducateur et non pas de propagandiste. Ceux qui refusaient la cérémonie Guy Môquet dénonçaient en effet une théâtralisation politique peu propice à la réflexion. Un autre argument avançait que l’on se servait du jeune homme comme d’une icône dont on ne tirait que les mots très généraux d’une dernière lettre, pour mettre en avant des valeurs choisies par le gouvernement. Plutôt que de se confronter aux écrits les plus argumentés qui expliquaient tout cela, Rayski va chercher arbitrairement des bouts de phrases sur des blogs ou des forums.
Le pamphlétaire soutient encore que ce cérémonial obligatoire aurait été refusé parce que Guy Môquet représentait une figure trop « nationale », trop peu ouverte sur la diversité des engagements à l’époque. C’est ici une discussion tout à fait secondaire, peu évoquée pendant les débats, qui permet à l’auteur d’esquiver les enjeux principaux. Selon une logique mystérieuse, en des pages qui sont un torrent de confusion, les opposants à cette lecture venue d’en haut deviennent des pro-iraniens, pro-palestiniens, Philippe Lançon, journaliste à Libération, est comparé à l’occupant allemand, quant à moi, j’aurais quasiment voulu faire lire les lettres des auteurs de l’attentat du 11 septembre... Il est vrai que lecteur fatigué, Rayski n’a pu lire mon article jusqu’au bout (un papier de Libé, c’est long quand même...). Il aurait alors saisi que la notion d’ « histoires plurielles » - qui l’agace tant - défendant un enseignement qui sorte du grand roman national, s’opposait aux propos de Xavier Darcos sur l’histoire au service de la « cohésion nationale » et non à la lettre de Guy Môquet. Il est encore d’une mauvaise foi accablante en accusant les enseignants de « transformer » « Guy Môquet en symbole d’une « identité nationale » haïssable », sans dire un mot sur les intentions du gouvernement, qui lui, on le sait, ne « transforme » pas du tout Guy Môquet, quand il fait fi de son engagement communiste ... Les accusations gratuites pleuvent : les enseignants ne veulent rien dire des méfaits de l’Islamisme radical et ils honoreraient les étrangers de la MOI (Main d’Oeuvre Immigré, communiste), simplement parce qu’ils étaient « immigrés », sans rien comprendre de leurs engagements (notamment l’attachement à la France). Des enseignants qui n’oseraient pas signaler la judéité de nombreux MOI devant un parterre de banlieue.... Beau procès d’intention.
Là Monsieur Rayski, vous qui aimez tant rappeler cette histoire, qui est celle de votre père, Adam Rayski, figure de premier plan de ces FTP-MOI, vous vous êtes encore trompé de cible en évoquant mon article. Votre père et son combat m’ont tant impressionné, comme bien d’autres, que, jeune étudiant, l’ayant rencontré aux archives, je lui ai dit combien j’avais admiré ses engagements avant de l’aider dans la préparation de son livre sur Le Choix des Juifs sous Vichy et nous avons longuement conversé. Oublieux des spécificités des MOI ? On fait mieux, non ? Et biens d’autres enseignants en savent aussi tout autant que vous sur ces enjeux.
Et croyez-vous vraiment que cette mise en scène du texte de Guy Môquet par un gouvernement qui ne désigne l’immigration que comme un danger et se vante de faire du chiffre dans les reconduites à la frontières, qui ne cesse de jouer avec les libertés publiques (pressions sur les médias, politique judiciaire contestable), soit un hymne à la mémoire des MOI, de ces Polonais, de ces Arméniens, de ces Espagnols, Juifs ou pas, qui ne furent pas toujours dans la légalité ? Vous dites que ces hommes avaient une certaine conception de la France – moins uniforme cependant que vous ne l’écrivez - pensez-vous vraiment que ce soit celle des injonctions cocardières et de la pression sur les immigrés dont ils rêvaient ?
Faut-il encore aligner toutes vos bêtises et contradictions ? Juste une dernière : vous vous gaussez que l’on puisse employer le terme de « résister » dans le contexte d’aujourd’hui par rapport à ce que fut l’Occupation. Belle éducation civique que vous nous proposez là ; celle de tout accepter car pour « résister »... l’heure est définitivement passée.
Nicolas Offenstadt, Maître de conférences en histoire à l’Université de Paris I.