Ferme de Bec Hellouin : la beauté rend productif
SOURCE INRA (qui ne s'était pas jusqu'à présent illustré par son soutien à l'agriculture biologique...), cliquer également pour voir la vidéo !
"Produire à la main une profusion de légumes et de fruits sur une terre ingrate qui n’a jamais été cultivée depuis le néolithique… Voilà qui donne espoir pour la mise en culture de sols dégradés ou désertifiés de par le monde ! C’est le pari de la Ferme Biologique de Bec Hellouin, haut lieu depuis 2006 d’une forme de culture originale inspirée de la permaculture et du maraîchage biointensif.
Très peu mécanisé, sur une très petite surface cultivée, positionné sur des circuits courts, ce modèle suscite un fort intérêt. Mais est-il économiquement viable? C'est à cette question qu’a répondu l'étude coordonnée par François Léger sur quatre ans (1).
Quatre années d’étude pour valider une hypothèse
Réalisée en conditions réelles de production et de vente, l’étude a été menée de 2011 à 2015.
A partir des données récoltées (voir encadré 1), les modélisations montrent que, en fonction du niveau d'investissement et d'intensification, 1000 m2 (2) dégagent un revenu horaire variant de 5,4 à 9,5 € pour une charge de travail hebdomadaire moyenne de 43 heures. Le revenu agricole net mensuel correspondant, 900 à 1570 euros, apparait tout à fait correct, voire supérieur, au regard des références couramment admises en maraîchage biologique diversifié.
Un facteur clé : une très petite surface très soignée

Agrandissement : Illustration 1

Pour François Léger, le facteur clé de cette réussite est l’intensification : cultiver une très petite surface avec le maximum de soin et de productivité, sans perdre d’espace ni de temps de culture.
Mais il ne faut pas oublier que les 1000 m2 étudiés s’insèrent dans un environnement influent : 20 ha en tout, dont des arbres et des haies qui hébergent des auxiliaires de culture et séquestrent du carbone dans les sols, des pâtures, un ruisseau et des mares qui contribuent à créer un microclimat favorable… Ces bénéfices écologiques font l’objet d’un nouveau programme de recherche qui a débuté en 2015.
Quelques principes de base mêlant plusieurs inspirations
La démarche de la Ferme du Bec Hellouin se base sur une combinaison de principes cohérents issus de la permaculture (3) et du micromaraîchage biologique intensif (4) :
- Pas de produits phytosanitaires, pas d’engrais de synthèse, mais du compost (pour entretenir la fertilité du sol) et du paillage (pour entre autres retenir l’eau).
- Pas ou peu de mécanisation.
- Plusieurs types de buttes et plates-bandes cultivables toute l’année.
- Grande diversité de production.
- Associations d’espèces pour explorer la verticalité, cultures relais (une culture démarre avant la fin de la précédente).
- Agroforesterie (vergers maraîchers).
- Optimisation de la circulation dans la ferme pour gagner du temps de travail : par exemple, la réorganisation du « jardin Mandala » d’une forme de spirale à une forme en rayons a eu un effet spectaculaire !
- Commercialisation en circuits courts : paniers hebdomadaires, vente à des magasins bio, à des restaurateurs.
L’esprit d’innovation et d’expérimentation

La Campagnole, sorte de grelinette améliorée qui permet sans trop d’effort de décompacter le sol avant le semis. © Inra, Institut Sylva
L'expérience et la capacité d'apprentissage en continu sont absolument déterminantes. Optimiser un outil par exemple peut faire gagner un temps précieux : la « Campagnole » a été inventée à la ferme de Bec Hellouin. C’est une sorte de grelinette (5) améliorée qui permet sans trop d’effort de décompacter le sol avant le semis. De même, le semoir Coleman permet de faire des semis en rangées très serrées.
Une étude à portée plus large
Les résultats de l’étude menée à la Ferme du Bec Hellouin vont alimenter des modèles de fonctionnement de microfermes, élargissant ainsi le champ de réflexion. Une thèse conduite à l'UMR SADAPT est dores et déjà engagée dans cette perspective. Ce modèle économique apparait réaliste pour les porteurs de projets sans assise foncière et à faible capacité d’investissement. Ce type de structure se développe à grande vitesse et la demande de références est énorme.
La demande est forte aussi dans les villes. Jardins urbains partagés, végétalisation des villes, la demande d’expertise de projets explose. « Peut-être verrons-nous éclore une microferme au cœur d’une cité HLM, comme dans le projet de Tours sur lequel je travaille actuellement » conclut François Léger."
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Encadré1 : La composition de l’unité type de 1000 m2
Les 1000 m² de cultures sont situés dans la partie la plus soignée et la plus intensive de la ferme du Bec Hellouin. Il s’agit d’un ensemble de plusieurs secteurs, comprenant 421 m2 de serres, 116 + 117 m2 de cultures en plein champ en agroforesterie, et un « jardin Mandala » de 378 m2 (formé de buttes rondes, cultivé de manière moins intensive). Pas moins de 76 types de cultures sont réalisés dans cet espace, dont 69 types de légumes, légumes-fruits, -racines ou -feuilles, mini-légumes et 17 types d’herbes aromatiques et fleurs. Les mini-légumes sont récoltés plus vite et cultivés plus dense. Ils sont bien adaptés à la consommation de petites familles et à la restauration gastronomique.
Cette unité de 1000 m2 fait partie d’un tout écologique au sein de 20 ha, dont 12 ha de bois, 4000 à 7000 m2 de cultures maraichères (légumes de plein champ : courge, pomme de terre, navet, carotte, etc.), des pré-vergers et des forêts-jardins (forêt plantée d’espèces comestibles).
Voir le rapport final de l’étude : Rapport final Bec Hellouin
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(1) François Léger, UMR SADAPT (Inra-AgroParisTech). Etude menée avec la ferme de Bec Hellouin et l’Institut Sylva.
(2) 1000 m2 est par hypothèse la surface optimale pouvant être cultivée à la main par une seule personne avec un maximum de soin.
(3) Permaculture : cadre conceptuel souple visant à créer un réseau de relations bénéfiques entre tous les composants d’un écosystème, invitant à « dessiner comme la nature ».
(4) Maraîchage biointensif, références : Eliot Coleman, John Jeavons, voir encadré 3.
(5) La grelinette permet d'ameublir la terre sans la retourner, contrairement à une bêche, en préservant ainsi l'écosystème du sol. Elle a été inventée par André Grelin en 1963.