Nicole Maestracci, présidente de la FNARS, partage le diagnostic posé par Les Morts de la rue sur le dispositif de prise en charge des personnes sans abri qu'il résume sous le constat d'un «système d'aide inefficace». De même, elle partage totalement certaines de ses propositions, en particulier celles qui insistent sur la nécessité de l'accompagnement social, qu'elle met en avant depuis longtemps. Mais, pour élaborer une politique intelligente à l'égard des sans abri, il lui paraît indispensable de rompre avec l'existant.
Le dispositif de prise en charge des personnes sans abri s'est construit depuis plus de 20 ans par strates successives, pour répondre à de nouvelles situations de précarité. Au fil des années, et souvent grâce à la pression des médias et de l'opinion publique, on a ouvert des places nouvelles. Cela s'est fait dans la précipitation, sans réflexion de fond sur les causes de cette précarité extrême qu'est la vie à la rue.
Dans ces conditions, ce qui compte avant tout pour l'Etat, mais aussi pour les acteurs associatifs, c'est de mettre à l'abri les personnes se retrouvant à la rue. Cela est bien sûr nécessaire, mais ce n'est pas suffisant et cet objectif unique conduit aux dérives que nous connaissons aujourd'hui.
Le système, incontestablement, est à bout de souffle. Il ne permet plus - l'a-t-il jamais fait ? - de répondre aux besoins des personnes en situation d'exclusion. Il faut le refonder. Des initiatives ont déjà été conduites en ce sens. La Conférence de consensus sur les personnes sans abri, « Sortir de la rue », qui s'est tenue il y a 2 ans, en fait partie. Mais pour entreprendre une refondation, il faut accepter de s'extraire de l'existant, des concepts institutionnels que sont notamment l'urgence, la stabilisation, l'insertion,...Il faut repartir des personnes elles-mêmes, s'interroger sur ce que sont leurs besoins et les réponses à leur apporter dans une logique de parcours d'insertion, dans la continuité, leur permettant d'accéder aux droits fondamentaux que sont le logement, l'emploi, la santé... Ce parcours d'insertion doit s'appuyer effectivement sur deux piliers : l'accompagnement des personnes - pour les épauler, les guider dans l'accès à leurs droits, accepter les ruptures et les recommencements, les aider à se resocialiser et le « chez soi », ce lieu sécurisant que l'on peut s'approprier, sans lequel il n'est pas possible de se reconstruire.
Nous sommes d'accord sur bien des points avec Christophe Louis. Mais, pourquoi propose-t-il d'emblée de refonder le dispositif à partir des concepts institutionnels de « l'hébergement », de « centres de stabilisation », du « CHRS », « logements intermédiaires »... ? Acceptons de nous en extraire (et ce n'est pas rien pour la FNARS que de dire cela, car elle fédère toutes ces structures, naturellement attachées à leur statuts...) pour commencer par nous interroger sur les besoins des personnes dans une approche globale et les réponses qu'il est nécessaire de construire avec elles pour les accompagner sur la voie de l'insertion, de l'autonomie, de l'accès aux droits communs.
Pourquoi également catégoriser d'emblée les personnes confrontées à l'exclusion : « jeunes à risques », « personnes vulnérables psychiatriquement », « chômeurs ».... Les personnes en situation de précarité et d'exclusion ne sont pas une catégorie à part de la population qui elles mêmes pourraient être subdivisées en sous-ensembles, définis à partir d'un seul symptôme. Une personne peut être à la fois jeune, souffrir de troubles psychiatriques, être sans emploi. C'est une réalité. Mais sa situation n'est pas figée. Elle va évoluer en fonction d'évènements dont nous n'avons pas la maîtrise. Catégoriser d'emblée les publics, c'est d'emblée s'inscrire dans une logique de réponses catégorielles, reconstruire le mille feuilles, n'apporter aux personnes qu'une succession de réponses ou de solutions parcellaires dont l'addition ne les conduira pas à l'insertion, alors qu'il faut avant tout bâtir un parcours d'insertion prenant en compte la multiplicité des difficultés auxquelles peuvent être confrontées les personnes. Il sera alors possible de prendre en compte des spécificités inhérentes à certains publics pour voir comment y répondre de façon adaptée.
Il faut résolument s'inscrire dans une logique qui lie la prévention et des actions réparatrices. Car l'objectif d'une politique publique en direction des personnes sans abri doit viser avant tout à ce que la rue ne soit pas alimentée : c'est aussi tout l'enjeu de la cohésion sociale. A ce titre, le parcours d'insertion doit donc se construire de façon à éviter que les sorties d'institutions n'entraînent les personnes vers la rue. Il en est ainsi par exemple des sortants de prison. Il faut les accompagner bien en amont de leur sortie pour bâtir un projet. Il en est de même pour les jeunes qui sortent de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Les expulsions locatives doivent également être évitées par un accompagnement des personnes qui les soutienne le temps qu'il faut, qui les aide à accéder à leurs droits, à trouver une solution de relogement ...
Les réponses ne peuvent être que plurielles et, dans ces conditions, l'accompagnement ne peut être que pluridisciplinaire, faisant appel à une diversité de compétences, sur des champs variés (social, médico-social, santé...). La question du référent unique est cruciale.
Enfin, le parcours d'insertion ne peut être mis en œuvre qu'en l'ancrant sur les territoires. Ces territoires ne doivent pas là non plus correspondre nécessairement aux catégories administratives que sont les départements, les régions, les intercommunalités... C'est tout particulièrement vrai pour l'Ile de France. Il faut se baser sur une logique de bassin de vie, c'est-à-dire d'espaces de vie dans lesquels les personnes en situation de précarité peuvent accéder aux services leur permettant de cheminer, sans rupture, sur ce parcours d'insertion.
Nous savons que ce parcours n'est pas linéaire, qu'il faut accepter des chemins de traverse et des recommencements. Nous savons aussi que ceux qui vont le plus mal ne vont pas voir les services pourtant censés les aider. Il faut donc aller au devant d'eux plus que nous ne le faisons.
Mais si on ne remet pas en cause l'existant, si on ne refonde pas cette politique à partir des besoins des personnes, on risque de laisser à nouveau se développer, avec les meilleures intentions du monde, un système coûteux et absurde qui consiste à déplacer les personnes d'une case à l'autre, sans leur permettre de trouver ou de retrouver des conditions de vie acceptables, pour eux-mêmes et pour l'ensemble de la société.
Cela implique de mieux connaître les besoins, de redéfinir des objectifs, un pilotage, et surtout une ambition partagée. Une ambition dont on attend toujours la traduction politique et administrative.