À cette époque, j'étais bien installé dans la vie ; j'avais 33 ans, j'étais ingénieur dans un bureau d'étude du bâtiment à Paris et gagnais bien ma vie. J'habitais à Paris, dans le 15e, possédais une voiture cabriolet Triumph Spitfire et étais libre de contraintes familiales venant de divorcer.
Je militais plus ou moins au PSU [Parti socialiste unifié] après avoir été adhérent aux étudiants socialistes et à la SFIO que j'avais quittée lorsque celle-ci avait été à l'avant-garde de la Ve République après le coup d'État deDe Gaulle en 1958. J’avais alors été militant au PSA [Parti socialiste autonome] et au PSU et manifestais contre la guerre d'Algérie. Sursitaire, j'avais effectué mon service militaire de 24 mois d'abord en Algérie dans l'armée de l'air, où j'avais été blessé dans un accident, puis à Villacoublay.
J'allais manifester, à pied, au Quartier latin, et je me souviens d'une grande liberté de paroles et que toutes les opinions pouvaient s'exprimer. Je me suis opposé à l'abattage d'arbres sur le boulevard Saint-Michel, soutenu par plusieurs manifestants mais sans succès.
J'allais à la Sorbonne occupée et libérée. Dans la cour, il y avait un piano et je connaissais l'un des pianistes qui jouait auparavant à la London Taverne, bar branché proche de Saint-Germain-des-Prés, c'était le côté culturel des manifestations.
Lors d'une des nombreuses assemblées générales, quelqu'un lança l'idée de la création de la Fédération syndicale des cadres contestataires ; nous nous sommes retrouvés un grand nombre dans un amphi pour débattre de ce projet et avions pris rendez-vous pour le lendemain… Nous n'y étions plus que deux, c'est donc tombé à l'eau !
J'avais été frustré de n'avoir pas avoir participé à l'occupation de la Sorbonne mais quelques jours plus tard j'étais parmi les premiers pour occuper l'Odéon. Quel cirque ! Nous étions dans l'orchestre et Jean-Louis Barreau et les comédiens sur la scène à dialoguer dans un immense brouhaha ! Et pendant quelques jours ça été le bordel (au propre comme au figuré). Je n'ai pas le souvenir d'y avoir vu des dégradations volontaires ou du pillage.
Lors de la grande manifestation qui passait boulevard de l'Hôpital, devant la maison des gardiens de la paix les manifestant tournaient la tête à l'opposé et sifflaient « l'Internationale ». Ce fut pour moi un moment sublime !