Billet de blog 1 juin 2018

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« M., vous n’êtes pas du genre de personnes à rester longtemps chez nous »

Par Joseph Guiheneuf, 20 ans et 6 mois, préparateur de fabrication, Flers (Orne).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mai 1968. Armé de mon brevet de technicien des Fabrications mécaniques (obtenu en juin 1967 et qui, en 1969, deviendra bac de technicien), et après une courte période militaire (sursis levé), je viens – depuis début février – d’intégrer mon premier emploi. À Flers, dans l’Orne, chez  Philips électroménager (à près de 300 km de chez moi). Je suis « préparateur de fabrication » : en charge du lancement en fabrication d’outillages de presse et de moules plastique (servant à la fabrication de pièces pour électrophones surtout).

Après quelques semaines de conflit qui touche peu les personnels salariés, l’usine est paralysée. C’est alors qu’une minorité s’associe aux manifestions organisées dans cette petite ville. J’en suis, aux côtés notamment de Jean A., qui est délégué syndical CFDT dans l’entreprise. Presque seul militant visible, il est, jusque-là plutôt ignoré.

Mais, au retour dans l’entreprise, il va subir une répression insidieuse : mise à l’écart, seul dans un tout petit bureau, son travail lui est enlevé. Jeune papa à cette époque, cette exclusion et ce mépris l’entraînent dans une dépression profonde, jusqu’à briser son couple. Et le pousser à démissionner, puis quitter la région.

Moi qui croyais – naïf – que le fait syndical se vivait là plutôt sereinement, j’en fus très affecté et j’ai alors appris la méfiance et la prudence, d’autant que je venais (en mai) d’adhérer  à la CFDT. Je me mariai en août de cette année 1968.

Quelques mois plus tard, j’allais comprendre ce qu’il en coûte de fréquenter « ces gens-là ». Embauché en février 1968, mon contrat de travail prévoyait une clause de « révision de ma situation » (classification et rémunération). En avril 1969, après avoir attendu quelques mois, je me décidai à interroger le directeur de production – dont je dépendais. La réponse aussi brève que surprenante me laissa d’abord interloqué, avant de comprendre vite, et de comprendre aussi ce que serait mon avenir dans cette entreprise ; c’est-à-dire sans perspective, et plutôt méprisé. Cette réponse, que j’ai définitivement « imprimée » dans ma mémoire, me faisait bien comprendre ce que je devais faire sans tarder : « Monsieur, vous n’êtes pas du genre de personne à rester longtemps chez nous. » Tout était dit, je me suis sans tarder mis en recherche d’emploi. En réponse à une offre d’emploi parue dans la presse régionale, j’arrive à Saint-Nazaire fin septembre 1969. J’y resterai treize ans et y exercerai des responsabilités syndicales ; avec toujours à l’esprit que j’étais d’abord un salarié qui devait être respecté, mais qui pour cela devait au mieux remplir sa tâche  – condition de ma crédibilité syndicale – auprès de la direction, des cadres et chefs de service mais aussi vis-à-vis de mes collègues.

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