J'étais à Nanterre en sociologie en 1967 et 1968. La grève de 1967 nous a beaucoup occupés mais surtout les cours de Kurt Wolff qui venait de l’Université Brandeis (Massachussetts) et qui parlait de Berkeley et d'Angela Davis. Nous nous battions avec Philippe Meyer pour éviter d'avoir trop de séminaires de psychologie sociale. Maisonneuve nous ennuyait.
Comment savoir ce qui resterait dans l'histoire et ce qui ne resterait pas ?
Finalement, nous nous sommes très doucement aperçus qu'il se passait quelque chose de grave. J'ai été invitée à l'École nationale d’administration (ENA) pour expliquer à la direction très intéressée par le mouvement ce que nous faisions. Bizarrement, ces hauts fonctionnaires ne semblaient pas tant que ça au courant. Je suis allée aussi voir un juriste, Gérard Lyon-Caen, avec Dany Cohn-Bendit pour nous renseigner sur son problème… de nationalité. Quelques mois plus tard, ce même juriste m'a demandé si c'était bien avec Dany Cohn-Bendit que j'étais allé le voir !!
Quelques camarades étaient assez réservés pour s'engager, même si ensuite ils ont crié qu'ils en avaient été. À Renault, fin mai, personne n'a voulu m'accompagner sauf mon père, un vieux résistant. Nous étions derrière les grilles de Billancourt et je me sentais un peu honteuse et désespérée.
Au milieu des sociologues et évidemment à côté de Dany Cohn-Bendit et de ses camarades et de bien d'autres, j'assistais aux assemblées générales, j'allais péniblement en solex ou en vélo à Paris et je faisais des tâches qui revenaient « de droit » aux femmes : accueil téléphonique et contacts avec l'étranger car je baragouinais mieux que d'autres.
J'ai eu la chance de partir en Angleterre quand la France commençait à se lasser. Des camarades cachaient de la drogue dans leurs chaussettes, cela me déplaisait, c'était léger face aux événements. Nous nous prenions pour Lafayette. À la LSE avec Geismar et Dany Cohn-Bendit, les étudiants sont restés de glace. À l'université de Kent, ils ont été plus réceptifs. Mais très vite nous avons su qu'il fallait reprendre dare-dare le bateau et passer par la Belgique. Le général avait repris les rênes.
À la fin du mois de juin, nous courrions après nos professeurs pour faire valider nos examens car pendant ces longs mois agités, nous travaillions et l'action venait nourrir nos lectures arides. Henri Raymond, qui disait qu'il ne méritait pas son salaire, vu qu'il n'avait pas pu enseigner, a loué pour ses étudiants une villa pour que nous apprenions à faire des exposés. Il était génial.
Dany Cohn-Bendit ayant eu la bonne idée de pousser le ministre dans la piscine[1], nous nous vîmes offrir trois mois au Québec avec des bourses mirifiques de 7 dollars par jour à l'OFQJ pour étudier le développement local en Gaspésie. Philippe Meyer était dans le groupe et proposait des entretiens à des journalistes. À l'université de Montréal, on entendait la radio de la fac dire : « Attention, il y a des révolutionnaires dans l'université. »
Ensuite je suis devenue sociologue et même professeur : 40 ans de sociologie et je continue.
[1] En réalité, lors de l’inauguration officielle de la piscine de la faculté de Nanterre le 8 janvier 1968, le ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe a été simplement pris à partie par Daniel Cohn-Bendit, qui lui reprocha l’éviction de la question de la sexualité dans le Livre blanc sur la jeunesse que le ministre venait de publier.