J’ai vécu Paris 67 (pour les quarante ans de la JOC [Jeunesse ouvrière chrétienne]) avec une trentaine de jeunes, filles et gars de mon village. Pour Mai 68, je suis donc pleinement impliquée dans la JOC.
J’avais exercé deux petits boulots. L’un comme vendeuse en mercerie sur les marchés. J’ai osé réclamer une fiche de paie… Et les patrons m’ont licenciée.
Le second, comme femme de ménage chez une coiffeuse…
En 1968, je rentre enfin à l’usine AOP (Aciers et Outillages Peugeot), qui n’existe plus aujourd’hui.
Le Pays de Montbéliard, c’est Peugeot, les automobiles, les cycles, les mobylettes et tous leurs sous-traitants – AOP en est un.
Je deviens donc ouvrière, en travail de tournée, le 3 mai 1968. Je perce des trous dans des barres métalliques, les profilés, qui décorent les carrosseries des automobiles. Ce travail s’effectue sur des petites presses.
La plupart des anciens jocistes, mes maîtres, mes modèles, sont militants CFDT. Le 5 mai, je prends donc fièrement une adhésion à la CFDT.
Le 13 mai, première grève générale dans l’usine. C’est une déléguée CGT qui m’invite à arrêter ma machine… Je cherche l’approbation de mon délégué CFDT, qui m’encourage à le faire.
C’est impressionnant d’entendre petit à petit les machines s’arrêter, l’une après l’autre jusqu’au SILENCE…
Nous nous retrouvons en assemblée d’ouvriers et la grève est votée pour ce premier jour. Nous retravaillerons avec quelques coupures et le 20 mai 1968, c’est la grève générale.
Mon père travaille en chaîne chez Peugeot Automobiles. Il ne comprend pas cette grève qui va le priver de salaire et il a trois enfants à charge…
Pour rassurer mes parents, je continue à aller travailler de tournée, avec mon casse-croûte et à vélo. Ce qui me permet d’occuper l’usine avec les copains.
Bernard, régleur et jociste, me fait visiter tous les ateliers, il m’explique l’utilisation des machines et me présente à de nombreux copains.
Un délégué me voyant occuper l’usine, me conseille de ne plus le faire… Je viens d’être embauchée et je risque la répression.
J’ai d’autres copains jocistes aux Cycles Peugeot, à deux kilomètres environ de l’usine AOP. Je fais donc la navette à vélo entre les deux sites informant les uns et les autres de la progression de la grève et des décisions prises. Ainsi, ma vie de jociste, engagée dans le monde ouvrier continue…
Sur le village, je demande à Christian, un autre jociste, de venir me chercher chez mes parents pour aller à une réunion… En fait, nous participerons à quelques manifestations.
Juin 1968, Marie-Thérèse et Pierrot, responsables fédéraux, se marient. Il y a eu deux manifestants tués dans la semaine précédant leur mariage. Le monde ouvrier est en deuil… Mais la date de leur mariage était prévue depuis longtemps. Et le dimanche suivant leur mariage (le lendemain), le meeting régional JOC était lui aussi prévu et préparé depuis longtemps.
Nous sommes plusieurs jocistes à avoir participé à leur mariage… que nous avons poursuivi par le meeting…
Dans l’après-midi, Pierrot et Marie-Thérèse nous ont rejoints au meeting. Les participants, debout, les ont ovationnés pendant de longues minutes.
Après la fin de la grève, fin juin, je suis retournée travailler sur mes machines. Mais courant juillet, j’ai été mutée aux Cycles Peugeot, au service des paies. J’ai pu alors être élue déléguée CFDT au bout de quelque temps… Et des équipes de jocistes se sont développées sur les Cycles…
J’avais 20 ans et je découvrais toute la force et la beauté du mouvement ouvrier.