En 1968, j’avais 15 ans et j’étudiais au collège public de la ville.
Je me revois apporter le café aux grévistes devant la porte de l’usine où travaillaient ma mère et mes frères et sœurs. Mon grand-père, qui habitait la même ville, se chargeait de faire rentrer les ouvriers et les ouvrières par une porte sur le côté de l’établissement. Autant dire que pour moi les jours de grève ont été difficiles… À cette époque, j’étais très proche d’une famille de militants chrétiens engagés à l’ACO [Action catholique ouvrière] et à la CFDT. J’étais copine avec leur fille aînée. Je me sentais très bien avec eux. Ils m’emmenaient lors des rencontres d’ACO au petit séminaire pour que je m’occupe des plus petits. Avec eux, je suis allée aussi plusieurs fois dans la ville voisine pour des conférences sur le moment politique de la France. Je me souviens de rencontres bien animées, de joie, de bruit etc. J’étais à bloc de leur côté car j’en voulais à l’usine de la vie que menaient tous les ouvriers et ouvrières. Je détestais l’usine. Pour moi, c’était entrevoir la libération, une autre vie.
Dans la foulée, au collège, c’était aussi le changement. Nous avons commencé à faire des groupes de travail, à nous mettre des notes collectives. Beaucoup de nos profs étaient au PS et nous avions des échanges. D’autres étaient communistes affichés. Mais le directeur n’était pas de ce bord. Il allait même à la messe mais restait toujours debout, au fond de l’église. Il avait une main postiche, ce qui nous faisait un peu peur. Je distribuais des tracts avec un copain dont les parents aussi militaient. J’ai été appelé au bureau du directeur, accusée de faire de la propagande dans le collège. En fait j’étais à l’entrée du collège, mais bien sûr les papiers suivaient à l’intérieur. Alors que j’étais menacée d’expulsion, c’est un des prêtres de la paroisse qui a permis d’éviter le pire. Le copain et moi avons été élu délégués de classe, je le suis restée jusqu’à la terminale au lycée.
1968 a été pour moi adolescente l’ouverture à autre chose que la fatalité de l’usine après l’école. Cela a été aussi le début de ma vie militante, mon entrée dans la vie adulte et dans un choix. 68 a signifié pour moi la découverte de la Mission ouvrière et de la raison de son existence. La paroisse « secteur de Mission ouvrière » déjà à l’époque vivait aussi les remous du moment. 1968 a été un mouvement de solidarité qui m’a par la suite fait regarder le monde du travail avec sa capacité d’être une force vive pour la société, un lieu de mission incontournable.