Billet de blog 15 juin 2018

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« Un “service” presque pas militaire, sauf en mai 1968 »

Par Jacques Terraza, 24 ans, marié, instituteur en service militaire au 7e régiment du Génie, Avignon (Vaucluse).

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Mon service militaire

Dès mon incorporation en juillet 1967 au 7e régiment du Génie d’Avignon, j’ai été confronté à la problématique de l’autorité. Si, dès le départ, j’avais admis et accepté qu’il faudrait que j’obéisse, l’antimilitarisme que j’avais hérité de mon père m’interdisait de me faire obéir dans le contexte militaire. D’où ma décision de rester deuxième classe. Mais, pour un militaire, les enseignants sont experts en matière d’autorité et sont donc naturellement prédisposés au commandement. C’est pourquoi, dès leur incorporation, les enseignants étaient systématiquement orientés vers les formations d’officiers ou de sous-officiers. J’ai fait valoir à mon recruteur ces deux faces irréconciliables de l’autorité : celle de l’enseignant qui émancipe l’individu, celle du militaire qui le réduit à sa condition de soldat pour le soumettre. Je ne sais pas si j’ai convaincu l’officier mais je suis resté deuxième classe.

Après mes deux mois de classe, j’ai été désigné comme secrétaire du médecin-chef de la place d’Avignon. J’avais en charge la tenue des dossiers administratifs pour les personnels militaires et civils des établissements militaires du département. Un travail qui m’a donné une bonne expérience et une bonne connaissance de la gestion administrative. Cela m’a beaucoup servi plus tard, notamment dans nombre de mes responsabilités associatives.

Grâce à l’aménité de mon chef qui était une autorité – au sens militaire –  dans le département, j’ai été dispensé de toutes les corvées subies par les hommes du rang dont j’avais pourtant décidé de faire partie.

La journée, j’accomplissais mon service en ville. Le soir, rattaché à son secrétariat, je réintégrais l’infirmerie de la caserne, îlot de tranquillité, d’indépendance relative et d’oisiveté, ou bien je rentrais chez moi à Pernes-les-Fontaines à 21 km d’Avignon. Pas de maniement d’armes, de gardes, de manœuvres, de marches épuisantes de jour ou de nuit, d’exercices de tir, d’ordres stupides à exécuter. Pas de treillis, pas de « rangers » aux pieds. Pas de fusil, de grenade ou de recharges de munitions. Juste un peu de ménage. Toujours en tenue de sortie car je devais être impeccable et disposant d’un chauffeur car je me déplaçais beaucoup. Juste du papier, un stylo et une machine à écrire Remington et son ruban bicolore. Un « service » presque pas militaire, sauf en mai 1968 pendant quatre semaines.

Mai 1968

J’en étais à mon onzième mois d’armée. J’en avais intégré les codes par conformisme assumé pour ma tranquillité. Ma mission me laissait une grande liberté d’esprit et beaucoup de temps pour moi. Je l’accomplissais pour la satisfaction de mes chefs qui, en retour, me laissaient une paix royale. Je vivais en marge du système.

Lorsque les signes avant-coureurs de la révolte étudiante sont parvenus jusqu’à nous à l’état-major du régiment, ce fut chaque jour à notre grand étonnement : silence radio et en avant la routine ! Et puis la tension qui couvait dans le pays est devenue palpable localement. Alors, sans transition, le régiment a été mis en état d’alerte. Tout le monde a dû revêtir la tenue de combat, avec arme au pied et multiplication des exercices.

À l’infirmerie, notre petit groupe s’est divisé. D’un côté, les deux enseignants favorables au mouvement, de l’autre, sept appelés, beaucoup plus jeunes et dépolitisés qui se montraient indifférents ou hostiles. Certains n’auraient pas dédaigné prêter main-forte aux CRS. Mais il n’y a eu ni débat, ni mobilisation. Il ne s’agissait que de postures.

Notre temps se partageait entre gardes, factions, défilés au pas, arme non chargée à la bretelle et vacuité que nous comblions par d’interminables parties de cartes et l’écoute parfois intéressée de l’unique transistor de l’infirmerie. De ces événements dont nous étions déconnectés, nous espérions tous qu’ils déboucheraient au moins sur la réduction du service militaire à douze mois. Nous avons vécu Mai 68 à travers ce prisme ; notre espoir a été déçu.

Vers la mi-juin, nous avons rendu les armes, quitté la tenue de combat et repris nos habitudes dont mes retours quotidiens à la maison. Là, à travers les récits qui m’ont été faits, j’ai réalisé à quel point j’étais passé à côté de l’événement. Aujourd’hui, ma représentation de Mai 68 doit plus à la construction que j’en ai faite ultérieurement qu’à mon vécu.

Une centaine de jours plus tard, j’ai repris mon poste – toujours le cours moyen 2e année – avec la même quête pédagogique, certes avec un nouveau contexte favorable au changement mais toujours aussi démuni.

Arrive le printemps 1969 et ma première rencontre avec le groupe départemental de l’École moderne (pédagogie Freinet) dans le contexte favorable de l’après-Mai 68. Les réunions bi-trimestrielles durant lesquelles, entre collègues, nous pouvions échanger librement – tout se dire sans jugement – m’ont permis de transformer et de faire évoluer ma pratique professionnelle. Ma recherche effrénée de nouveaux moyens et d’une autre école masquait une interrogation de fond portant sur les finalités de l’action pédagogique, à savoir non pas seulement donner une instruction, mais permettre à tous les enfants l’accès à la culture pour leur émancipation et leur liberté.

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