«La moitié du régiment était consignée» par Pierre Bachman
J'ai été libéré de mes obligations militaires au mois de décembre 1967. Au printemps suivant, des anciens appelés comme moi ont été invités par un de nos camarades à un petit séjour dans sa propriété d'Aiguebelette les 18 et 19 mai 1968. À cette occasion, la veille, je suis allé saluer mes anciens collègues, officiers d'active, au 93e. Dans la discussion amicale que nous avons eue, il m'a été indiqué que, compte tenu des « événements », la moitié des effectifs du régiment était discrètement consignée de façon à faire face à toute tentative d'occupation des voies ferrées, d'axes de communication ou de points stratégiques par les salariés en grève. Cette « consigne discrète » était destinée à garder une certaine confidentialité pour ne pas « inquiéter la population ou les familles ».
Il n'y avait pas encore de pénurie généralisée d'essence ce week-end là, mais c'était celui de l'extension fulgurante des grèves reconductibles et autogérées avec occupation des lieux de travail.
Même s'il est de bon ton de retenir surtout de Mai 68 les « révoltes étudiantes », ceci montre à quel point la crainte la plus vive du gouvernement était celle des usines occupées avec une grève générale qui se développait. C'était l'outil productif qui était en mouvement et donc le pouvoir du capital qui était contesté.