« Ça me faisait rêver quand elle me racontait cela » par Valérie C.
Ceci dit j'ai été « impactée », comme on dit joliment, car mon baptême, prévu en mai, a dû être repoussé. Parce que mon père, garde républicain, avait été réquisitionné pour être sur les manifestations. Pendant que ma mère, secrétaire, a manifesté pour la seule et unique fois de sa vie. J’ignore si c’était dans la même manif exactement mais dans le camp d’en face, ça c’est sûr. Ambiance moyenne à la maison, j’imagine.
Ce qui a marqué ma mère pendant cette période, c'était que tout le monde se parlait. Dans les rues, dans le hall de la gare Saint-Lazare où elle passait chaque jour, facilement les gens se parlaient. Elle m’a raconté qu’elle sentait beaucoup d'espoir et qu'elle n'a plus jamais vu cela après.
Moi, évidemment, tout ça m’a fait rêver. D'autant que ma mère votait comme mon père, c'est à dire une droite plutôt au centre. Des giscardiens quoi.
Ma mère n’était ni une syndicaliste, ni une gauchiste, ni une étudiante. Rien de tout cela. Elle était une Française moyenne, tout juste débarquée de la ferme parentale pour suivre son mari fonctionnaire à Paris où elle avait suivi une formation Piaget de sténo-dactylo.... Toute une époque. Mais j'avais l'impression qu'en mai 68 au moins, même si elle n'avait pas fait la révolution ni rien du tout, elle s’était sentie emportée malgré tout par l'esprit du temps et ça me faisait plaisir.
Ce dont je me souviens aussi c'est que mon père racontait que lui, la chose qui l'avait marqué à cette période, c'était d'avoir vu un ami, gendarme comme lui et près de lui devant les barricades, qui avait reçu un boulon dans l'œil. Son œil mort pendait sur sa joue, dégoulinant et jaune.
Je pense qu'il me racontait cela aussi car il sentait déjà que, toute fille de militaire que j’étais, j'étais en train de devenir une fille de quinze ans de gauche, une fille de gauche qu’il aimait certes, mais une sacrée emmerdeuse quand même. Il devait tenter un truc encore pour me rattraper. C'était peine perdue...
J'ai évidemment toujours fantasmé mai 68. Toujours aimé le fait d'être née en 68, drôlement (et bêtement !) fiérote.
«À partir de là, l'engagement politique ne m'a plus quitté» par Daniel Goude
Pour moi tout a basculé une journée de mai 1968 (laquelle ?). Le collège A.-Briand de Montrouge où j'étais élève de 3e avait été fermé par directeur pour éviter tout incident.
C'est donc libre d'esprit que je décidais de m'aventurer au quartier Latin un après-midi. Je fis le chemin à pied de Bourg-la-Reine où j'habitais jusqu'à Paris (plus de transports).
Arrivé au Luxembourg, un étudiant m'a tendu un tract dénonçant les exactions policières. Cela me paraissait tellement énorme que je le mettais en doute ; pourtant quelque temps plus tard je découvris sensiblement les mêmes témoignages dans le Canard Enchaîné et là j'avais la preuve que mes doutes avaient été infondés.
Je remontais la rue Gay-Lussac et je ne me souviens pas qu'elle fut particulièrement esquintée à ce moment.
Aux alentours de l'institut Curie, je tombe sur une pompe à essence avec un écriteau écrit à la main sur un carton : « plus une goutte d'essence, même pour un briquet ». Etait-ce le pompiste qui avait adopté l'esprit Mai 68 ?
En redescendant la rue Saint-Jacques, j'ai vu pour la première fois, un drapeau rouge et noir (que je trouve toujours très beau) qu'un étudiant barbu accrochait à une fenêtre d’un étage supérieur de la Sorbonne.
Arrivé au Carrefour Saint-Michel/Saint-Germain, c'était un étudiant qui réglait la circulation. Intrigué par un attroupement qui se formait autour d'un kiosque à journaux le long des grilles de Cluny, je m'approchais et je trouvais les gens fébriles mais sans agressivité qui s'interpellaient au sujet du gouvernement : de Gaulle aurait déserté le pouvoir ; où est-il ? Quand d'un seul coup je vois arriver un vendeur en side-car qui jette une pile de Monde sanglés. En deux minutes tout était vendu mais les heureux bénéficiaires, loin de s'en aller, restaient là et faisaient la lecture par petits groupes, à l'ensemble de l'assistance.
Il régnait un esprit de convivialité, d'intérêt pour les autres que je n'ai pas retrouvé de sitôt sauf peut-être dans la Pologne de 1981.
Sans pouvoir l'expliquer, je sentais réellement le vent de la liberté et cette journée a été un tournant dans ma vie.
À partir de là, l'engagement politique ne m'a plus quitté.
Maintenant encore ce printemps est toujours un repère ; il y a eu ma courte vie avant Mai et tout le reste après.