Billet de blog 23 février 2018

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« Mon goût pour l’activisme politique et culturel date de cette période »

par Bertrand Chavaroche, 13 ans, en 4e au lycée de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

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En Mai 68, j’étais élève en 4e au lycée Blaise-Pascal, unique lycée de garçons de Clermont-Ferrand et j’allai avoir 14 ans deux mois plus tard. Le lycée était fermé et je passais mes journées, entre deux tours de vélo dans les rues désertes de mon quartier, à écouter la radio. Je venais d’avoir mon premier petit poste radio ; à la maison on écoutait Europe 1. La radio branchée en permanence, j’écoutais comme une histoire, quasi jour et nuit, un récit d’événements dont je ne comprenais pas la portée ni ne mesurais la gravité mais qui me captivaient. Je me souviens des reportages en direct du Quartier latin de Julien Besançon je crois, l’occupation de la Sorbonne (nom que j’entendais pour la première fois), les barricades, les charges de gardes mobiles, de CRS contre les manifestants qui jetaient des pavés et renversaient les voitures. Tout ce qui était en train de se passer à Paris, capitale de la France que je ne connaissais pas et qui me semblait si loin de ma vie quotidienne de jeune clermontois. Je suivais l’évolution des événements, les grandes manifestations, les barricades. On entendait dans le poste le bruit des explosions des grenades et la voix du reporter qui nous racontait tout cela en direct. J’étais curieux, intéressé et un peu fasciné. Les noms des leaders étudiants me devenaient familiers. Mes parents étaient des militants engagés dans l’éducation populaire et, chez nous, on parlait librement à table de la vie quotidienne et de la vie politique de ce qui se passait au lycée, en France et dans le monde, et pourquoi… À Clermont aussi les étudiants, puis les ouvriers de chez Michelin s’étaient mis en grève mais la ville était calme, j’avais l’impression qu’il ne se passait rien et que c’était à Paris qu’il se passait quelque chose. J’irai à Paris pour la première fois l’été 1970, en famille et en profiterai pour m’aventurer dans le quartier mythique ou mythologique, c’est selon, pour me procurer le n° 12 de l’Internationale situationniste[1] au kiosque Cluny.

Je me souviens de ma première manifestation à Clermont, il y avait beaucoup de monde, mais pas d’ados comme mon frère et moi, des banderoles, les gens qui scandaient des slogans, j’ai eu l’impression de vivre en direct ce que j’entendais à la radio, et cela m’impressionnait. Mes parents nous avaient amenés à la grande manifestation de grève générale mais je ne sais plus le jour ; nous avons rejoint des amis de mes parents dans le cortège vers la gare routière parmi lesquels des étudiants et des jeunes adultes que je connaissais parce qu’ils encadraient avec mes parents des stages de formation de moniteurs et directeurs de colonies de vacances (disait-on à l’époque) pour une association dont je ne comprenais pas bien le sigle lorsqu’il me fallait l’expliquer à chaque rentrée aux professeurs qui me posaient la question – « C’est quoi les CEMEA[2] ? » – et j’expliquais vaguement que ça concernait les colonies de vacances.

Pendant ce mois mon père nous racontait le soir, à son retour, les rencontres presque quotidiennes qu’il avait avec ces jeunes étudiants et d’autres personnes qui s’avérèrent être des militants associatifs engagés dans ce qui se passait, quand ces rencontres n’avaient pas lieu chez nous. Ces gens passaient parfois à l’improviste ou se retrouvaient le soir chez nous pour discuter avec mes parents et parfois restaient manger. J’écoutai, je me branchai comme on dit aujourd’hui. Ça parlait de la grève bien sûr, « du père de Gaulle », de ce qui allait se passer après, de revendications, de l’école ; c’est sans doute à ces occasions que j’entendis parler pour la première fois de révolution, du PCF, de stalinisme, de Mendès France, du gaullisme, de la bourgeoisie, et plein d’autres mots, noms de personnages politiques et événements politiques pour la plupart inconnus de moi et à propos desquels je questionnais mon père pour savoir ce qu’il en pensait. J’avais des réponses mais parfois il me répondait que lui aussi, eux non plus, ils ne savaient pas. Au début des années 1970, j’appris que se côtoyaient parmi ces gens, divers courants de la gauche et de l’extrême gauche.

Je n’ai pas de souvenirs précis ensuite de « la fin » des événements de mai, la contre-manifestation gaulliste, la dissolution de l’assemblée nationale, les élections, si ce n’est une fin d’année scolaire morose. J’avais la tête ailleurs et pensai aux vacances. En juillet, je partais en camp d’adolescents du CE Michelin où ma mère travaillait. Ce fut l’occasion pour l’ado que j’étais de vivre en randonnée en moyenne montagne des aventures de mixité quelque peu transgressives (je les nomme comme cela aujourd’hui), facilitées sans doute par la non-intervention complice de nos moniteurs et monitrices de quelques années nos aînés et eux-mêmes très accaparés par leurs propres relations amoureuses ou sexuelles. De premiers émois amoureux pour nous aussi. Juillet fut une drôle de parenthèse, une espèce de simulacre de vie dont parle Émile Copfermann dans un de ses livres. J’en revins jeune fumeur et avec le désir, je ne sais plus pourquoi (?), que mes parents m’achètent un blouson en nylon rouge pour faire ma rentrée en 3e ! Séjournant chez mes grands-parents à Grenoble durant le mois d’août, nous y avons fait tous les magasins pour trouver ce blouson, et c’est à l’occasion d’une de nos sorties dans une grande librairie du centre-ville que mon père m’acheta Les murs ont la parole, journal mural de la Sorbonne qui venait de sortir chez Tchou éditeur. Mon premier livre de pensées politiques qui déclencha mon intérêt pour la lecture et la réflexion politique, comme l’accompagnement de mon début d’imprégnation sensible et politique. Je lus et relus souvent ce petit livre jusqu’à en connaître très vite plein de pages par cœur. Slogans, citations poétiques et premières rencontres avec de nouveaux noms d’auteurs : René Char, Bakounine, Nietzsche… que j’aimais déclamer. Et c’est à Grenoble que j’ai vu mes parents catastrophés en apprenant à la radio l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars soviétiques…

Rentrée de septembre 1968, je me mets à lire régulièrement des articles du Monde ou de l’Observateur, présents à la maison, qui parlent de mai, de la contestation, de l’après-Mai… et je retrouve au lycée quelques copains et d’autres élèves des classes de terminale qui distribuent des tracts à l’entrée du lycée pour mettre en place un comité d’action lycéen ; j’y ferai mon entrée quelques semaines plus tard et en serai un élève agitateur assidu. Tout le début commença là, ma politisation mon goût pour l’activisme politique et culturel datent de cette période.

[1] Mouvement né en 1957. Initialement artistique et inspiré du surréalisme, il se politise sous l’influence de Guy Debord, dénonce la société de consommation et dessine la perspective révolutionnaire d’une société fondée sur des conseils ouvriers.

[2] Centre d'entraînement aux méthodes d'éducation active, association d’éducation populaire.

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