Billet de blog 27 avril 2018

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« Il y avait de l’agitation dans l’air »

Par Claudette Clarini, étudiante en Lettres modernes, Censier, Paris (5e).

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Je crois que pour tous ceux qui l’ont vécu, Mai 68 fut un immense moment de bonheur avec l’espoir d’un futur enthousiasmant qui malheureusement n’aura pas lieu.

Enfin, on respirait, on se sentait libre, notre destin était entre nos mains.

J’étais à Censier où je suivais des cours de Lettres modernes. Grâce à l’Unef, je fis partie comme beaucoup d’autres étudiants des comités pour le Vietnam, alors en guerre contre les États-Unis. Dans le hall de la faculté, il y avait partout des tables couvertes de tracts, de journaux qui représentaient diverses tendances. Des réunions s’organisaient à Censier. À la Sorbonne où avaient lieu les cours magistraux, cela eut lieu un peu plus tard.

Et pourtant ce fut de là que tout commença, un vendredi 3 mai exactement.

Je me souviens que nous étions boulevard Saint-Michel et que nous sentions qu’il y avait de l’agitation dans l’air. Des cars de police ne cessaient d’arriver en grands nombre. Nous sûmes ensuite que des policiers avaient pénétré dans la cour de la Sorbonne et avaient embarqué des étudiants qui pour la plupart venaient de Nanterre. À leur tête, il y avait Cohn-Bendit qui deviendrait plus tard un des leaders de Mai 68 avec Sauvageot et Geismar. En fait, ils ne demandaient pas grand-chose, un peu plus de liberté à la fac et le droit de visite des garçons dans le dortoir des filles.

Ce qui, au départ, n’était que simple revendication prit de l’ampleur, le nombre d’étudiants grossit de jour en jour, des discussions passionnées s’organisaient dans la cour de la Sorbonne ainsi que dans les amphithéâtres, surtout le grand amphithéâtre qui était toujours plein. Des murs furent tagués, même les fresques de Puvis de Chavannes que nous n’aimions pas beaucoup, peintre pompier, symbole pour nous de la bourgeoisie. Savoir s’il fallait les taguer ou non fut l’objet de nombreuses discussions.

Puis petit à petit, nous nous sommes tournés vers l’École des Beaux-Arts où un comité avait été créé et où étaient confectionnées les fameuses affiches en rouge. Elles étaient réalisées par des étudiants des Beaux-Arts qui devinrent plus tard célèbres : Raucillac, Fromanger…. Notre rôle était de les placarder dans tout Paris. Nous vendions aussi le journal Action et avec l’argent de la vente étaient achetés la peinture et le papier pour réaliser les affiches. Les slogans étaient discutés dans les comités des Beaux-Arts.

En parallèle, des manifestations se succédaient dans les rues de Paris et grossissaient à vue d’œil. On édifia des barricades – celle de la rue Gay-Lussac est la plus célèbre –, on lançait des pavés, on allumait des feux avec tout ce que nous trouvions dans les rues, les pompiers les éteignaient derrière nous. Un service d’ordre encadrait ces manifestations et nous ne cessions de crier des mots d’ordre tels que : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », « CRS-SS », ce qui était justifié car les policiers n’étaient pas tendres avec ceux qu’ils attrapaient dans leur filet. Ils tabassaient, lançaient des gaz lacrymogènes et le pire, ce fut ceux que l’on appelait « les Katangais » des nervis à la solde du gouvernement. Ils arrivaient à deux sur une petite moto. L’un conduisait à haute vitesse, l’autre tabassait tout ce qu’il pouvait et ils firent beaucoup de blessés.

Des morts, il y en eu un dont je me souviens très bien, cela eut lieu plus tard en juin, à Flins : Gilles Tautin[1], âgé de 17 ans. Nous avions assisté à son enterrement, une rose à la main. Je me souviens encore de l’émotion qui nous étreignait à ce moment-là lorsque nous avons déposé la rose sur le cercueil, tout cela en silence, chacun à notre tour.

Il y eut néanmoins des moments heureux. Nous avions le soutien de la population, du moins en partie. Une habitante du 6e, qui faisait partie du comité des Beaux-Arts du 6e, nous avait invités dans un superbe appartement, nous qui habitions pour certains dans des chambres de bonne, cela fut une découverte et un moment de répit fort agréable.

Malgré tout, la lutte continuait, non seulement contre le gouvernement, mais aussi contre les diverses tendances politiques : maoïstes, trotskistes, communistes… et fascistes. Un jour, ils vinrent à Censier, armés de barres de fer. Il y eut des blessés dans les premiers rangs.

Dans la rue, il fallait courir lorsque les policiers chargeaient. Un jour où je ne devais pas courir assez vite, je fus attrapée par un policier et je reçus un coup de matraque qui m’immobilisa complètement. Je fus embarquée en direction d’un car de police. Auparavant ; nous avons dû passer entre une haie de policiers qui avaient tous la matraque levée. Je m’attendais au pire mais fort heureusement, un de leurs chefs leur fit signe de baisser leur matraque. Mais à l’intérieur, ce n’était que cris et désespoir. Un policier ne cessait de taper un étudiant aux cheveux longs qui geignait pendant qu’un autre était au bord de la crise de nerfs. Tous nous étions tendus et inquiets car on ne savait pas où nous allions. Finalement, nous arrivâmes à Beaujon[2], là on nous fit descendre en nous séparant, filles et garçons et on nous enferma dans des sortes de cages en fer, non sans nous avoir photographiés de face et de profil, comme de vulgaires repris de justice. On ne pouvait que se tenir debout à l’intérieur mais il y avait de l’ambiance car nous nous mîmes à chanter tous les chants révolutionnaires que nous connaissions dont bien sûr « l’Internationale ». Des étudiants, parmi les plus âgées, avaient déjà milité lors de la guerre d’Algérie ce qui fait qu’on apprenait des tas de choses à leur contact.

Au petit matin, on nous libéra et je me souviens m’être retrouvée boulevard Saint-Germain où tout n’était plus que chaos dans un calme absolu : les arbres étaient arrachés et gisaient à terre, des feux s’éteignaient lentement, des restes de barricades se dressaient encore. Bref, on se serait cru en temps de guerre, après des bombardements.

Un moment heureux fut l’occupation du théâtre de l’Odéon. Serge Reggiani y chanta « Les loups ». Il y eut aussi Mouloudji, des acteurs qui nous soutenaient. Les professeurs qui ne faisaient plus cours nous soutenaient aussi pour la plupart.

Puis il y eut la grève générale. L’arrivée des ouvriers fut une part importante de la réussite de ce mouvement. Nous allions à Flins, siège de Renault pour les faire débrayer. Ils étaient à l’intérieur de l’usine, accrochés aux grilles et des discussions s’engageaient pour qu’ils se mettent en grève.

C’est grâce à eux que le mouvement dura si longtemps et qu’il y eut la grève générale et une grande manifestation défila dans la rue dont ne voyait pas la fin. Les médecins et les infirmières en blouse blanches, tous les corps de métier étaient représentés.

Malheureusement, il y eut une fin, le pouvoir reprit la main aidé par les appareils : PC, CGT qui appelaient à reprendre le travail. Des élections eurent lieu. De Gaulle qui était parti en Allemagne préparait, disait-on, une intervention avec des chars militaires. Nous nous préparions à cette arrivée, mais rien du tout cela n’eut lieu puisqu’il eut le soutien des appareils politiques et tout rentra dans l’ordre. Les élections se préparaient.

Le dernier rassemblement eut lieu à Charléty. Le cœur n’y était plus. Les beaux jours étaient derrière nous et ces moments où nous avons cru que tout était possible, ne reviendraient plus et ils ne revinrent jamais.

Notre apprentissage de la lutte se fit aussi à travers des livres, ceux de Marx, Trotski, Engel… que nous achetions à la librairie Maspero près du Boulevard Saint-Michel. Notre culture politique était sans faille à cette époque.

[1] Le 10 juin 1968, Gilles Tautin se noie dans la Seine en cherchant à échapper à des gardes mobiles. L’Unef produira des témoignages qui suggèrent que ceux-ci l’ont empêché de reprendre pied sur la berge.

[2] Ancien hôpital du 8e arrondissement de Paris transformé en dépôt de police.

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