En 1968, à 34 ans, j’étais secrétaire du syndicat CFDT des postes et télécommunications (PTT) du département de la Côte-d’Or, et en même temps membre du conseil syndical des syndicats du département.
Dans les jours qui ont précédé le 11 mai, nous avions quelques contacts avec les étudiants. On m’avait demandé de prendre la parole à l’université de Dijon. (C’était la première fois que j’entrai dans une université.)
Nous suivions de très près ce qui se passait à Paris.
Le 11 mai, avec l’appel des organisations syndicales, nous avons manifesté à Dijon avec les autres organisations syndicales.
Dès le lendemain, nous suivions de près le démarrage des usines occupées.
Dans la nuit, un camarade cheminot m’a informé que la grève générale était décidée et que plus aucun train ne traversait Dijon. À cette époque tous les trains vers le midi passaient par Dijon.
Aux télécoms, les techniciens comme moi se sont mis en grève en occupant les services techniques.
Ensuite nous nous sommes mis à discuter avec les téléphonistes.
Pour cette époque, il n’y avait pas d’automatique interurbain. Ce sont les téléphonistes (environ 80 femmes) qui faisaient passer les communications entre la Bourgogne et la Franche-Comté, mais surtout avec la France et l’international. La situation de ces femmes, avec leurs surveillantes, était très serrée. Le passage aux toilettes était limité et contrôlé.
Après discussion, la mise en grève sur place a été décidée. Les surveillantes et le chef de service ont été mis dehors, et ce sont les grévistes elles-mêmes qui ont organisé le travail (jour et nuit) en ne laissant passer que les communications indispensables à la vie des gens. Elles étaient heureuses.
Sur le plan interprofessionnel, je me rappelle avoir été un jour avec un camarade du bâtiment devant une usine occupée par un syndicat (autonome) dont les membres commençaient à nous traiter de bourgeois et j’ai vu mon camarade (un costaud) leur montrer ses mains d’ouvrier.
Sur le plan national, j’avais la responsabilité de notre métier de technicien. Je suis donc monté à Paris (en voiture) pour la deuxième fois ; c’était le 29 mai. J’ai visité un central occupé et j’ai appris le départ de De Gaulle. Eugène Descamps, le secrétaire général de la CFDT, venait de suivre le mouvement et appelait de ses vœux l’hypothèse de Mendès France.
Il allait se passer des choses.
Je suis rentré à Dijon. Malheureusement on connait la suite.
Je suis revenu à Paris le dimanche 2 juin pour négocier avec le ministre des PTT.
C’était une première : le ministre écoutait nos propositions avant de prendre les décisions. La négociation s’est tenue le dimanche et le lundi. Le ministre était M. André Bettencourt, ministre depuis moins d’une semaine remplaçant Yves Guéna. C’est donc plutôt avec les directeurs que nous avons négocié. Un certain nombre de problèmes ont trouvé des solutions notamment sur les conditions de travail, les salaires de la grève n’étaient pas retenus, mais ce n’était pas tout ce que nous attendions après une telle grève.
Dans les PTT, tous les services étaient occupés, nous n’avions jamais vu cela.
Dans notre service, et par nature, nous pouvions écouter les communications.
Nous avons pu savoir à quel moment les forces de l’ordre seraient là pour nous sortir.
Un peu de résistance à la poste, mais sans affrontements.
Mai 1968 fut un très grand moment.
Les fonctionnaires des PTT qui occupaient tous les postes importants se retrouvaient, parlaient en dehors des lieux de travail, et je pense particulièrement aux femmes téléphonistes. Elles n’ont plus accepté que l’on les traite comme avant.
Bien des choses ont changé, mais depuis, d’autres se sont détériorées.
Au lendemain, et dès la fin de l’année 1968, la CFDT a débattu de tous ces mouvements et, dans les propositions, notamment en 1971 ce fut le passage à « Pour un socialisme démocratique » où la classe ouvrière devait lutter contre le capitalisme en proposant l’autogestion, la planification démocratique et la bataille culturelle.
Ces idées n’ont plus de valeur.
Plus tard j’ai été parlementaire, et rapporteur des lois « Auroux ». Ces lois sont continuellement remises en cause.