Billet de blog 29 juin 2018

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« Monsieur Duverger, vous devriez cesser vos activités syndicales ! »

Par Lucien Duverger-Chatellet, agent de maîtrise, délégué du personnel, Puteaux (Hauts-de-Seine)

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Agent de maîtrise dans une caisse de retraite complémentaire « l’IRPELEC » située à l’époque au pied de la tour Nobel à La Défense (sur le territoire de la ville de Puteaux), j’ai créé avec quelques collègues une section syndicale CFDT début 1967 puis, début 1968, une section syndicale CGT.

J’en étais le secrétaire et cumulais les fonctions syndicales de délégué du personnel, et de représentant syndical au comité d’entreprise. Les autres membres de la CGT étaient des employés.

À noter que depuis mon engagement syndical ,alors que j’avais franchi régulièrement et rapidement les échelons pour assumer la responsabilité de la section contrôle des dossiers de retraite, et malgré mes compétences, j’ai été bloqué dans mon avancement et le « grand chef de service » dont je dépendais m’avait indiqué : « Monsieur Duverger, avec vos compétences et les perspectives de développement de carrière, vous devriez cesser vos activités syndicales ! »

Durant l’année 1967, avec les ordonnances antisociales du Général de Gaulle, j’avais compris que l’action syndicale était indispensable et devait être conduite avec détermination. J’ai participé à presque toutes les manifestations de cette année bouillonnante qui, nous ne le savions évidemment pas, annonçait 1968.

Mars et avril 1968 : effervescence partout, discussions avec tous les collègues, suivi dans la journée sur transistor de l’évolution de la situation, de l’essor du mouvement étudiant, de l’émergence des revendications salariales et sociales dans les entreprises et dans la nôtre. L’épisode de la Sorbonne avec les étudiants, dont les quatre leaders de l’époque, la montée en puissance du mouvement revendicatif, le début des grèves puis des occupations d’entreprises, la prise de position courageuse du ministre Pisani se désolidarisant du gouvernement, nous ont conduit à envisager nous aussi, les «tertiaires » de La Défense, en mai 1968, de nous mettre en grève et de participer à cette lutte exceptionnelle et massive.

Comme militants de la CGT, nous participions aux nombreuses réunions quotidiennes de l’union locale CGT de Puteaux et à celles organisées à Paris. Et je me souviens d’avoir, avec mon épouse, un week-end, parcouru en voiture, les quais du département des Hauts-de-Seine, de Villeneuve-la-Garenne à Issy-les-Moulineaux pour voir toutes les entreprises occupées avec banderoles, mots d’ordre peints sur les portes ou les murs et drapeaux rouges flottant fièrement au vent. Un spectacle, une ferveur, un enthousiasme partagé inoubliables.

Nous avons appelé l’ensemble de nos collègues à la grève. Mais seule une dizaine a répondu à notre appel. Nous avons décidé de durcir le mouvement, pour être en symbiose avec les autres entreprises en grève et en occupation de leur site, et d’occuper symboliquement les locaux. Notre objectif était de faire exemple et d’entraîner d’autres salariés de notre entreprise à participer à ce mouvement que nous sentions historique car d’ampleur nationale et soutenu par l’ensemble de la population.

En réalité, nous avons occupé le hall d’accès en rez-de-chaussée, jour et nuit, pendant près de 15 jours. Nos collègues qui ne participaient pas à cette action passaient devant nous le matin, soit en baissant la tête soit en nous manifestant leur approbation amicale et solidaire.

À quelques-uns, nous avons créé le 1er mai une cellule du Parti communiste français dont j’ai été le secrétaire. Nous avons ainsi crée la première cellule de La Défense dans le tertiaire ! Un événement politique dans ce secteur où le PCF n’avait aucune « base ».

La Fédération du PCF des Hauts-de-Seine a été très attentive à ce mouvement original, pour l’époque, et m’a élu au comité fédéral en 1969 lors de sa conférence fédérale.

Pendant cette période, nous avons activement participé, dans la journée, aux diverses manifestations locales et sur Paris, vendu le journal hebdomadaire local, l’Éveil, l’Humanité et l’Humanité-Dimanche, organisé des collectes sur la voie publique pour soutenir les grévistes. Collectes qui ont toujours été très bien accueillies par les gens qui soutenaient notre action en « mettant la main à la poche ».

Après les accords de Grenelle, nous avons repris le travail et bénéficié des avantages salariaux obtenus de haute lutte par le mouvement social.

Mais la désillusion a suivi avec les élections législatives qui ont débouché sur l’écrasement des représentants communistes et socialistes. Nous avons payé, et pour longtemps, l’absence de solutions politiques alternatives de gauche, capables de mobiliser positivement les français et de donner le prolongement politique indispensable à ce mouvement, ce qui a terriblement manqué.

En 1970, j’ai été appelé à des responsabilités au sein de la Fédération des Hauts-de-Seine du PCF, et ai quitté l’entreprise dans laquelle je travaillais depuis 1963.

Je suis toujours, en 2017, malgré les doutes et les déceptions, membre de la CGT (section retraités) et du PCF et en suis fier.

[1] Député UD-Ve République de la première circonscription de Maine-et-Loire en mars 1967, il vote la motion de censure en mai 1968 et démissionne de l'Assemblée après un discours à la tribune dans lequel, attaquant Georges Pompidou, il déclare « Ce faisant, j'ai le sentiment d'être plus fidèle que vous à l'homme que j'ai soutenu depuis la Résistance ».

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