Certains souvenirs sont flous, d'autres plus précis...
Quoiqu'il en soit, je vais essayer de retracer l'essentiel...
Avril 1968 : je suis à Brout-Vernet dans l'Allier chez mes beaux-parents. Mon mari, Jacques, est en Roumanie à Craiova, sur un chantier. Je suis rentrée en France eà la mi-novembre depuis Craiova pour terminer ma grossesse. Notre fille Emmanuelle est née le 20 février à Vichy.
Son Papa est venu quelques jours pour faire sa connaissance, début mars, puis est vite reparti au chantier.
Il devait rentrer en France une fois sa mission terminée, en juillet. Nous avions convenu alors que je le rejoignais à partir de Pentecôte-début juin, pour quelques semaines en Roumanie, et faire ainsi le retour en France avec la voiture, ensemble.
Mai 68...
Mais le projet ne fut pas celui que nous avions prévu ! Les évènements du printemps perturbèrent beaucoup mon départ...
Déjà la séparation était difficile, loin de mon mari, chez mes beaux-parents, qui, quoique très gentils, tellement en souci de m'avoir sous leur toit avec un bébé, leur fils loin, se sentaient responsables et inquiets.
La sœur aînée de Jacques, Arlette, devait garder Emmanuelle durant mon voyage... Ce qui en « rajoutais sur leur angoisse »... « On ne laisse pas un bébé ! »
Seulement des lettres pour échanger les nouvelles, pas vraiment de téléphone pour discuter...
Pour téléphoner, soit la Poste, soit chez ma belle-sœur à 8 kilomètres...
Pour recevoir, Jacques pouvait appeler chez les employeurs de mes beaux-parents à côté...
Et voilà que la France se met à gronder...
Depuis notre coin du bord de Sioule, les nouvelles par la radio et le journal ne nous donnaient pas vraiment la nature du conflit... De plus j'étais un peu dans ma bulle tournée sur ma propre vie...
Depuis Craiova, Jacques et son entreprise devaient organiser mon voyage en avion.
Le billet était acheté à Bucarest et transféré dans les bureaux de Paris puis livré chez des amis de mes parents à Paris dans le 15e, pour partir depuis Orly.... Les bus à la gare des Invalides étant proche de ses amis, donc tout simple pour rejoindre l'aéroport !
14 mai... Le général de Gaulle arrive à Bucarest...
À Craiova, Jacques accueille le général de Gaulle à l'usine... 18 mai... Le président arrête son voyage en Roumanie et rentre à Paris...
Drôle de sensation pour moi qui devrait bientôt être aussi là-bas...
Tout se mélange : la France, la Roumanie... Et mon voyage ????
Oui mais, voilà.... Mi-mai... 20 mai...
Pas de trains depuis l'Allier, pas d'avions, plus de rien... Des manifs, et le pays bloqué !
Un après-midi de « déprime » nous voilà à Vichy avec Arlette, essayant de trouver une solution...
Une chance... Vichy étant une ville de cure, des cars étaient réquisitionnés pour ramener les « gens » chez eux... Ils étaient bloqués dans la ville, plus de soins. De toute façon, ils devaient rentrer… Mais comment ?
Nous nous renseignons dans un des « grands hôtels de Vichy » sur le processus à suivre pour rejoindre Paris... Et là, la chance me sourit... Un départ pour le lendemain matin dont je pouvais profiter...
Grande hésitation de ma part... Comment annoncer à mes beaux-parents que je partais le lendemain en laissant ma fille ? Arlette, très directive, me dit : « Tu pars rejoindre Jacques, je me charge du reste ! »
Me voilà dans le car, le 28 mai, puisque je me souviens d'un discours de Pompidou qui pensait que la situation était débloquée !
Paris, arrivée par l’esplanade des Invalides, des chars stationnés, des militaires, et l'amie de mes parents qui m'accueille avec sa fille en me disant « Mais ma petite Michèle c'est la guerre à Paris ! »
Ah... Elle avait un air de reproche... Que viens-tu faire dans cette « galère », pensais-je !
Mais le contexte était compliqué pour tous...
Le séjour dans le 15e, chez les amis, fut long, très long...
Françoise, leur fille étudiante à la Sorbonne, me fit découvrir le Quartier latin en chaos et la Sorbonne « entrée libre » en très grand « désordre » : les pupitres empilés devant les portes des amphis, tas de tables et de chaises dans les couloirs... Dehors les rues défoncées, pavés réutilisés en barricades, le foule agitée dans tous les sens... Des slogans, des affiches et tracts aux vents...
Impressionnant, angoissant et surtout un gros point d'interrogation sur l'avenir...
Le mien bien sûr, mais celui du pays surtout à ce moment-là !
J'étais en lien téléphonique avec les responsables de l'entreprise de mon mari au sujet de mon voyage vers Bucarest : « pas de vol, attendez ».
Je me suis rendue au siège dans le 17e... Comment ? Aucun souvenir, mais je me vois dans le bureau de la personne me disant « aucune certitude pour un éventuel prochain départ ! »
Ce n'était vraiment pas le moment pour une telle demande !!!
Le week-end de la Pentecôte, les amis m'emmènent dans le Loiret, profiter du calme de leur maison de campagne... Déjà une semaine que j'ai laissé Emmanuelle pour rejoindre son Papa...
Il semble que je suis partie le 12 juin, d'après Jacques, depuis Villacoublay, terrain militaire. Aucun souvenir...
J’ai vécu au cœur de Paris durant ces quelques jours, touchant du doigt la réalité des « émeutes » mais avec un tout autre état d'esprit que celui des revendications du moment... !!!
Ce n'est que bien après, que ma conscience s'est réveillée pour comprendre et approuvé l'élan de ce moment d'histoire de notre pays...