Avoir 22 ans en Mai 68, des projets plein la tête, des loisirs à en perdre haleine et surtout la volonté d’une… ascension professionnelle. Bien loin des luttes pour le progrès social ! Mais plutôt en préparation de concours de la fonction publique. Jusqu’à en prendre exprès un mois de vacances !
Dans la mairie d’une ville moyenne de l’agglomération orléanaise (Saint-Jean-de-la-Ruelle) où je travaille depuis quatre ans, aucun syndiqué. La grève ? On n’avait jamais connu. Le directeur des services techniques de la ville – un très « grand » monsieur que j’appréciais beaucoup et dont j’étais la secrétaire – se rend, tout excité, sur mon lieu de vacances tout proche : « Beaucoup sont en grève à la mairie, ça bouillonne, il faudrait faire quelque chose ; vous pouvez venir avec nous ? »
Arrivée à la mairie, je suis plongée au sein des grévistes rassemblés dans la salle des fêtes. On me tend une liste de problèmes de toutes catégories, ébauchée à la va-vite sur une simple feuille de papier. Je la lis avec attention. Tout me paraît si logique… Mais pourquoi ne l’avions-nous pas fait plus tôt ?
Alors, prendre des responsabilités en se lançant dans l’inconnu du syndicalisme, pourquoi pas ? Mais je n’y connais rien moi !
Mai 68, un tremplin…
Peu après, un militant à la CGT expérimenté de l’hôpital, Marcel R., nous propose son aide. Je me souviens l’avoir regardé toute étonnée lorsqu’il m’a déclaré : « Tu sais taper à la machine, c’est merveilleux, on va écrire ensemble. » Donc, création du syndicat, cahiers de revendications, adhésions, réunions animées, contacts avec le secrétaire général de la mairie, le maire, les membres du conseil municipal. Plein de relations nouvelles, des amis, des ennemis aussi. Et découverte de la solidarité, des joies, mais également de l’adversité.
Un monsieur « bien » (assez âgé pour moi à l’époque), employé au service « enquêtes » de la mairie ne me lâche pas d’une semelle, épie tout ce que je fais et me pose plein de questions. Je ne comprends vraiment pas pourquoi. J’apprendrai par la suite qu’il était retraité des Renseignements généraux de la préfecture !
En même temps, je fais la connaissance de Guy Pivain, qui deviendra par la suite mon mari. Un pro de la mécanique générale en métallurgie (Société française des coussinets minces à Saint-Jean-de-la-Ruelle[1]), militant à la CGT, dans l’action bien avant moi. Occupation d’usine, piquets de grèves, il n’ignorait pas. Tout naturellement, les grévistes de Mai 68 avaient branché les lances à incendie aux portes de l’usine et organisé des rondes de nuit. Au cas où… Moins cool que dans « ma » mairie ! Les machines-outils avaient soigneusement été arrêtées après purges et graissages. Préserver l’outil de travail et la future production était impératif. À la fin de la grève, l’ensemble a d’ailleurs redémarré en deux heures. Et à la grande surprise du patron !
Je découvre alors que les luttes du secteur public et du secteur privé, bien que de forme parfois différentes, se rejoignent…
C’est ainsi que se grave dans les mémoires une tranche de vie riche d’enseignements qui a eu, entre autres, l’immense mérite d’élever les consciences pour toujours.
Aujourd’hui, à 70 ans bien tassés, nous sommes toujours à la CGT. Et j’ai repris les archives familiales pour travailler sur la mémoire de mon grand-père maternel, Cyprien Depardieu, militant ouvrier au PCF et à la CGT-U, typographe, mort en déportation à Auschwitz en 1942 : il était temps !
[1] Voir aussi « Mai 68 – début d’une lutte prolongée dans le Loiret, in» Cahiers d’Histoire Sociale de l’Institut CGT d’Histoire Sociale, Région Centre, Collectif du Loiret, numéro spécial septembre 2009, p. 63.