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Billet de blog 26 oct. 2009

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Norbert Paganelli, poète des crêtes

Canta à i sarri, c'est d'abord ce titre, emprunté à la poétesse chilienne Gabriela Mistral (1), qui m'a ravie en pénétrant sur Invistita (2), le site de Norbert Paganelli qui, dans un grand souci d'ouverture, met en ligne l'intégralité de son oeuvre poétique en version bilingue ( l'auteur s'exprime en corse, sa langue maternelle, et a confié la traduction de ses poèmes à Dominique Colonna).

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Illustration 1
© 

Canta à i sarri, c'est d'abord ce titre, emprunté à la poétesse chilienne Gabriela Mistral (1), qui m'a ravie en pénétrant sur Invistita (2), le site de Norbert Paganelli qui, dans un grand souci d'ouverture, met en ligne l'intégralité de son oeuvre poétique en version bilingue ( l'auteur s'exprime en corse, sa langue maternelle, et a confié la traduction de ses poèmes à Dominique Colonna).

Ce titre associe en effet le chant, pour moi l'expression la plus intense et la plus intime de la douleur ou de la joie, de l'espoir et de la révolte , à la symbolique des crêtes, ligne de partage, porte ouverte sur l'au-delà...

Chants aux crêtes est à la fois un chant au monde et le chant du monde car la nature n'est pas muette pour le poète qui sait l'entendre. Et j'ai été particulièrement sensible à ces chants mêlés, à la communion d'un homme avec sa terre, à l'harmonie de l'homme avec la terre, qui émane de ce recueil.

On ressent l'humilité de l'homme construisant son identité en s'insérant entre terre et mers, entre terre et ciel : une sorte d'identité cosmique. Homme et monde s'interpénètrent ainsi dans le mouvement cyclique de la vie, de la mort et de l'éternel recommencement , la vie humaine épousant la dynamique des forces telluriques antagonistes qui perpétuent l'univers.Un climat qui m'a souvent évoqué la philosophie et l'esthétique asiatique et m'a fait revenir en mémoire des vers aimés de René Char.

Le charme de la poésie de Norbert Paganelli réside aussi dans sa simplicité. C'est une poésie qui exalte la beauté des choses humbles, à la portée de tous, odeur du raisin, rondeur d'un galet, chant d'un ruiseau ou mousse sur les murailles, et aspire à la sincérité des rapports humains. Une poésie sans recherche d'effets artificiels qui résonne avec beaucoup de fraîcheur et d'authenticité.

La poésie n'ayant, à mon sens, rien à gagner à l'exégèse, je préfère m'effacer devant les textes .

Pour tous ceux - dont je suis - qui ne parlent pas corse mais possèdent des rudiments d'italien , voire d'espagnol, je conseille de lire d'abord la traduction , puis de dire le texte corse à voix haute pour tenter de retrouver les rythmes et les sonorités qu'aucune traduction ne pourra jamais restituer.

1) épigraphe de Gabriela Mistral :

« Dipoi vinti anni portu, piantatu in carri meia,

- stilettu di focu-

un cantu smisuratu, un cantu à i sarri di altu mari »

« Depuis vingt ans je porte, planté dans ma chair

- poignard brûlant-

un chant énorme, un chant aux crêtes de haute mer»

2) Invistita, le site littéraire de Norbert Paganelli : http://invistita.fr/

Illustration 2
© 

Canta à i sarri (Chants aux crêtes),poèmes en langue corse, traduction française de Dumenica Colonna, avec une préface de Ghjacumu Fusina.

A FIOR DI CARTA Éditions (1er trimestre 2009), 10 €

( Editions A Fior di Carta, hameau Casanova, 20228 BARRETTALI. Pour commander par e-mail s'adresser à jean-pierre.santini2@wanadoo.fr )

EXTRAITS

http://invistita.fr/poemes-poesie-corses-canta-a-i-sarri/

ÂME COMMUNE

« Tu feras de l’âme qui n’existe pas un homme meilleur qu’elle »

R. Char

Âme mon âme ainsi vêtue

D’une pelisse de vent de mer

Et d’une coiffe de feu

Toi qui ne connais ni désir ni repos

Arrête toi un de ces jours

Sur la pointe du Grand Cap

Nous avons tant et tant erré

Avec les vents de barbarie

Que nos chants

Venus du lointain

Ont disparu à tout jamais

Dans la mélasse de ces contrées

(...)

Âme qui est mienne âme qui est tienne

Âme de toutes ces choses et de tous ces lieux-dits

Du monde qui est

Du souffle qui va

Accouple-toi

À la pierre couverte de mousse

Au galet blanc et lisse

Avant cet adieu que tu connais si bien

Au revoir

Ennemi de toujours

Lorsque toujours ressemble à désormais

Double de maintenant

Et fils d’itinérant

ANIMA CUMUNA

« Farè di l’anima chì ùn asisti micca un omu più bonu chè idda »

René Char

Anima meia cusì vistuta

Cù manteddu d’aria marina

È baretta di focu

Tu chì ùn cunnosci nè laziu nè riposu

Cansati un’di sti ghjorna

In punta di Capu maiò

Avemu ghjiratu tantu

Cù i venta di barbaria

Chè i nosci canzoni

Vinuti da culandi

Si ni sò sdrutri una volta par sempri

In u buliaciumu di sti cunfina

(...)

Anima meia anima toia

Anima di tutti sti cosi è di tutti sti loca

Di lu mondu chì stà

Di lu fiatu chì va

Arrimbati un pocu

À la petra carca à murzu

À la còtula bianca è liscia

Nanzi di lintà l’avvedaci chè tu sa

Avvedaci

Nemici di sempri

Quand’è u sempri s’assumidda à l’oramai

Coppiu di l’avali

È fiddolu d’andaccianu

LA MORT DE L’HOMME

« Ton nom secret ne se prononce pas en entier »

Jean Malrieu

(...)

Il est mort

Et la pierre ne sera plus la même

Il est mort

Et l’eau n’est plus vagabonde

Il est mort

Et un bruit d’enfer assaille la tête

Il est mort

Et le vent s’est levé

Plus fort que d’ordinaire

Essayant de dire à l’herbe quelque chose

Que nous ne pouvons comprendre

Jetons dehors ces paroles sans foi ni loi

Chassons- les d’ici

Elles ne sont pas fréquentables

Elles ne valent rien

Et vous qu’en savez-vous

Vous qui prenez tout pour menu fretin

En vos mains de prédateurs

Vous qui cachez vos dents acérées

Derrière une face maquillée

Oui vous qu’en savez-vous

Vous pouvez dire ô le pauvre

Vous pouvez aller faire vos adieux

Vous pouvez grimacer et faire semblant

Mais aujourd’hui L’homme est mort

Et je ne peux plus vous voir

Sable qui écorche la peau

Epouvante de l’os

Lorsque l’os n’a plus de maître

Dents

Langues

Nez

Ecoutez-moi

L’homme est mort

(...)

A MORTI DI L’OMU

« U to nomu sicretu ùn si pò micca dì tuttu »

J. Malrieu

(...)

Hè mortu

È a petra ùn sarà più listessa

Hè mortu

È l’acqua ùn hè più vagabonda

Hè mortu

È u rimisciu s’hè stallatu in ciarbeddu

Hè mortu

È u ventu s’hè pisatu

Più forti chè sempri

Pugnendu di dì à l’arba calcosa

Ch’ùn pudemu senta

Mittimu fora sti parolli di poca feda

Cacciemuli di paesi

Sò gattiva roba

Ùn valini tanti cosi

È chì ni sapeti vo

Vo chì piddeti tuttu par straccii

In i vo mani di ruspulaghji

Vo chì piatteti i vosci denti

Da daretu faccia mustavata

Iè vo chì ni sapeti

Pudeti dì o lu tintu

Pudeti andà à licinziavi

Pudeti smimulà è figurà

Ma oghji Hè mortu l’omu

È ùn vi possu più senta

Rena chì scurtica a peddi

Spaventu di l’ossu

Quand’è l’ossu hè senza patronu

Denti

Lingui

Nasa

Ascultetimi

Hè mortu l’omu

(...)

FATIGUE

« Le monde est le lieu où l’on apprend que pour être Il n’est pas besoin de lieu. »

Roberto Juarroz

(...)

A force de forcer Force s’était épuisée

Une immense fatigue si vous voulez savoir

Epuisée d’être allée et toujours revenue

D’être montée sans redescendre

D’avoir tourné par tous ces monts

Epousant les rivages

Enlaçant les contrées

Se coulant dans chaque fleuve

Oui elle était éreintée d’être infatigable Force

C’est ainsi que les cols l’ont appelée

Pour la faire venir

Et la voir s’asseoir près d’eux

Ô fatigue lorsque tu viens

Qu’elle soit

Bénie ta chanson

Paroles mélodieuses unies l’une à l’autre

Comme pierres de rive

Si la vie est ailleurs

Ailleurs se rapproche

Ailleurs est par ici et nous marchons dessus

Et ainsi

En un soupir douloureux

Par une nuit sans lune

Et à la mode ancienne

Force est venue s’asseoir

Hommes

Ne dites rien vous avez entendu

C’étaient des chants

C’étaient des crêtes

C’étaient des mers

C’étaient des chants aux crêtes de mer

STANCÀGHJINA

« U mondu hè un locu induva s’impara chè par essa ùn ci hè bisognu di locu. »

Rubertu Juarroz

(...)

A rombu di sfurzà Forza s’era stancata

D’un’ alta stancàghjina s’è vo vuleti sapè

Stancata d’essa andata è sempri vultata

D’essa cuddata senza rifalà

D’avè ghjiratu par tutti issi chjassa

Spusendu marini

Abbraciendu circonda

Si sdrughjendu in ogni fiumu

Iè stanca era d’ùn essa mai stanca Forza

Hè cusi chè i foci l’ani chjamata

Par falla vena

È vedala pusà accanta à iddi

O stancàghjina quand’è tu veni

Ch’idda fussi

Biniditta a to canzona

Fatta di parolli cantarini arrimbatti l’una à l’altra

Com’è petri di ripa

S’è a vita hè culandi

Culandi s’avvicina

Culandi hè par quì è no andemu nantu

È cusi

In un fiatu di larga straziera

Par una notti senza luna

È à l’antica manera

Forza à missu à pusà

Omini

Steti bassi aveti intesu

Erani canta

Erani sarri

Erani mari

Erani canta à sarri di mari

Critique publiée également dans L'or des livres :

http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/article--canta-a-i-sarri-de-norbert-paganelli-38220394.html

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