Billet de blog 29 septembre 2008

Dominique Conil
Journaliste à Mediapart

La meilleure part des hommes, Tristan Garcia

Faut-il lire Tristan Garcia, normalien de 27 ans qui publie son premier roman ? En option, peut-être, enfin... Oubliez le teasing en bandeau rouge « Paris, les années sida ».

Dominique Conil
Journaliste à Mediapart

Faut-il lire Tristan Garcia, normalien de 27 ans qui publie son premier roman ? En option, peut-être, enfin... Oubliez le teasing en bandeau rouge « Paris, les années sida ». S’il y a bien dans cette Meilleure part des hommes une meilleure part de roman, il faut tout de même pousser jusqu’à la page 240 pour y arriver, en laissant derrière l'argument de vente.

Le livre relate, la rencontre, l’amour puis la haine et les affrontements entre William, gamin venu d’Amiens, en rupture désordonnée avec une famille mortifère, et Doumé, ex-militant d’extrême-gauche, journaliste à Libération et bientôt activiste-fondateur d’une association offensive, Stand up, entendez Act-up. Le tout est rapporté par une narratrice-ectoplasme, dont le seul digne distinctif est son amant, Leibowitz, également ancien de l’extrême-gauche, assez affamé de pouvoir et notoriété.

Passons sur le début du livre : dès la page 20, l’œil accroche sur un Overney mal orthographié (ce n’est rien, mais bon, les morts de l’après-68 ne sont pas si nombreux, et diantre, Google est aidant). Plus grave, les personnages déboulent,et Leibowitz parmi eux. Et là, soupir : la figure de l’ex-gauchiste virant réactionnaire ( mais réactionnaire complexe, ayant exploré d’autres voies, ce qui est censé le distinguer à tout jamais du réactionnaire d’origine) est devenue un lieu commun littéraire majeur. Sans doute faut-il y lire une déception générationnelle ( et une ignorance des réalités) en attendant, c’est une sacrée source d’ennui.

Du coup, en ces années 80, puis 90,alors que le sida tue beaucoup et en un temps ramassé – la trithérapie, c’est plus tard - décimant la génération du FHAR ,William le paumé devenu écrivain scandaleux, bon client déjanté et emperruqué des plateaux télé, apporte un dérangement bienvenu. De prime abord, du moins. Car il se fait l’apologiste du bareback – amour sans capote entre adultes consentants, au nom du livre arbitre. Il paie de sa personne, lui, déjà séropositif,à grand renfort d’ectasy. D’où l’affrontement avec Doumé, lui aussi séropositif, apôtre du safe sex et de la prévention. Dans cet amour à mort, ce n’est plus le corps de l’autre que l’on veut conquérir, c’est la communauté gay toute entière, et surtout ces jeunes, nouveaux venus séduits par les discours de William, qui ne veulent pas être tâclés par la maladie.

Las, emporté par lui-même, implosant contre le quotidien consensuel, le sanitaire, l’offensif pondéré, William mélange tout, dérape, avec propos antisémites d’abord adressés à lui-même, juif.

Pire, il lasse et se démode. L’observant pas une fenêtre du 6ème arrondissement, un éditeur qui ne l’a pas reçu note que ce tee-shirt, cette allure, ça commence à dater.

La meilleure part des hommes n’est pas un roman à clefs, dit Tristan Garcia, et il a raison.Les personnages de William, de Doumé, leur lutte effrénée, sont directement inspirés, démarqués d’existences réelles, à savoir entre autres la vie de Guillaume Dustan, mort en 2005 d’intoxication médicamenteuse.

Dustan ( William de son vrai prénom…) se réclamait de l’autofiction, etin fine succomba au danger qui guette celle-ci : passer du récit de vie à l’égocentrisme obsessionnel.

Tristan Garcia, qui se revendique narrateur d’une histoire qu’il n’a pas vécue, avec recul, n’invente qu’à la marge d’un réel connu.

Et c’est justement lorsqu’il invente tout à fait que le livre trouve un souffle.

Guillaume Dustan, son modèle, fils de psychanalyste, brillant énarque,très cultivé, était juge administratif.

William le paumé, lorsqu’on se détourne de lui, n’est plus rien.

Et là, soudain, on emprunte une route balzacienne, avec Lucien de Rubempréspeedé ( être reconnu , voyez-moi, aimez-moi, dites-moi que je suis là), à l’instant où le monde le renvoie vers le néant, la maladie, la province pavillonnaire.

A William, déclassé finalement atteint du sida, frappé d’invisibilité , on conseille le retrait en famille.

Instant fragile tout entier contenu entre les rues somnolentes d’Amiens, la morne indifférence familiale, l’hôpital où l’on dit que le mourant était – « excusez-moi, anodin » - Tristan Garcia, normalien venu de Toulouse, en passe de soutenir une thèse sur la « crise de représentation au XX ème siècle », commence à se dire, et écrire.

« Parce que dans les premiers livres on parle de soi. C’est connu, c’est la théorie du premier roman. C’est ça qui m’intéresse, c’est intéressant parce que dans ces premiers romans, les gens se sont dits. » (Guillaume Dustan, un de ses derniers interviews…)

On peut aussi relire Hervé Guibert. On peut de toute façon relire Guibert.

La meilleure part des hommes, Gallimard,18,50 euros.

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