Elles et ils ont des noms, des visages. Ecrivent, de la bande de Gaza, de chez eux... Lisez-les
"Toute tentative d’écrire de l’extérieur de Gaza quant à sa réalité et à son anéantissement est inacceptable, parce que rien ne peut décrire tout cela, personne ne peut le faire et personne ne le fera. C’est plus grand que ce que vous pouvez imaginer, plus grand que ce que vous voyez, plus grand que ce à quoi vous vous attendez. N’essayez pas."
"Regarde-nous un peu, la Mort
Considère, ne serait-ce qu’un instant, notre situation
Regarde nos yeux
Peut-être étaient-ils bleus ou verts
Ou teintés du soupçon
D'une autre couleur
Regarde un peu les cheveux de nos enfants sous les décombres
Peut-être que sous la blancheur des missiles
Se cache une touche de blond
Peut-être sont-ils suffisamment soyeux
Pour adoucir la rugosité du camp de réfugié.
Regarde un peu
Le corps de nos femmes et de nos filles
Leurs mensurations étaient peut-être d’une certaine façon moderne
Peut-être que leurs cheveux
Avaient été coiffés avant la tragédie
Ou que leurs visages
Avant les taches de sang
Étaient remplis d’ornements.
Regarde, la Mort
Inspecte nos chemises
Peut-être qu’entre les éclats d’obus, on trouve
Une pièce que nous avions acheté d’une marque internationale
Prends ton temps
Avant de plonger droit et de nous choisir comme proies
Et si nous avions été suffisamment occidentaux pour que tu nous tournes le dos
Et nous laisse poursuivre nos vies
Même pour un court instant."
Jameel Meqdad Écrivain et chercheur en sciences politiques de Gaza, il a été déplacé à Rafah. Sa famille est restée dans le camp de réfugiés de Shati, au nord.
L’après-midi du 9 octobre, à 16h52 précises
Lors de toutes les guerres précédents, l’entité sioniste avait un schéma spécifique de cibles: une fois c'était les familles, une autre les mosquées, ou encore les rues, parfois elle visait plutôt les zones frontalières et à d'autres plus le centre, ou encore les immeubles. Il y avait un plan de tirs que nous, qui étions sous les balles, comprenions ; nous étions capables de lire les objectifs, les trajectoires des avions et la durée attendue de la guerre .
Cette fois-ci, il n'y a pas de schéma spécifique. Tout est bombardé, toutes les guerres précédentes se condensent dans celle-ci. Gaza, du nord au sud, est en proie à un feu nourri, aléatoire et dévastateur. C'est un massacre collectif et une boucherie arbitraire et totale. Seules notre patience et notre foi en Dieu nous permettent de garder notre sang-froid en regardant passer les avions avant de laisser la place aux larmes ou de pleurer une fois le calme revenu en disant : 'Mon Dieu, Seigneur, nous n’avons que toi!'
Hiba Abou Nada Hiba Abou Nada, écrivaine de Gaza, née le 24 juin 1991. Elle publie son premier roman 'L'oxygène n'est pas pour les morts' en 2017. Au soir du 20 octobre, Hiba et sa famille ont été tués lors d'une frappe aérienne qui a touché leur maison.
Extrait de l'éloge funèbre de l'écrivaine à son amie Nada Al-Dahshan, étudiante en pharmacie, tuée avec ses parents par l’occupation.
Elle me disait qu’elle ne laisserait pas l’année s’achever sans faire son pèlerinage de Omra, c’était son souhait le plus cher. Elle était sur le point de commencer à exercer son métier de pharmacienne, à se confronter au monde du travail, mais son amour profond pour les sciences l’a mise dans un état d'anxiété irrationnelle. Elle pensait à candidater à des bourses à l’extérieur, alors qu’elle entamait son dernier semestre à l’université. Nada n’a rien vécu, elle n’a jamais quitté Gaza, elle n’a pas connu le travail et le sentiment d’indépendance financière qui l’accompagne. Elle n’a pas vu Ahmad Manasra ailleurs que derrière des barreaux, elle n’aura pas de fille, et elle ne l’appellera pas Leila. Elle ne verra pas les frères Gibran en concert, elle ne me verra pas tomber amoureuse pour la première fois, après tout le mal qu’elle s’est donné à me convaincre que l’amour est le plus beau sentiment.
Asil Yaghi Ecrivaine de Gaza, elle a été déplacée de son village d’Al-Masmeyya. Elle a étudié le droit et publie ses écrits sur le site internet ‘Gaza Stories’.