Edmond lauret (avatar)

Edmond lauret

Auteur

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 mai 2023

Edmond lauret (avatar)

Edmond lauret

Auteur

Abonné·e de Mediapart

La Réunion : la possibilité d'une âme

Entre créolisation et mondialisation, où va La Réunion ? Cet essai vous invite à découvrir l'histoire d'une société réunionnaise  baignant dans des difficultés sociales inouïes et un climat d'insécurité pesant. Elle butte aujourd'hui sur les ravages d'une mondialisation dévastatrice. Quelle utopie pourrait l'en sauver ?

Edmond lauret (avatar)

Edmond lauret

Auteur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Un essai original

            Cet ouvrage est un hymne à la créolisation à la mode réunionnaise. Il met en avant   les valeurs universelles portées par la civilisation créole réunionnaise. Dans une Réunion désemparée, il introduit la fierté d'une âme libre. Essai, romancé en vue d'une lecture plus facile, il comporte 212 pages dont, en fin, 20 pages de notes riches d'informations sur l'histoire de la société réunionnaise depuis Colbert jusqu'à Macron.( dispo en version numérique sur les réseaux habituels )

L'ouvrage rappelle que Richelieu et Colbert, fondateurs de la politique coloniale de la France, sont à l'origine de l'épopée réunionnaise. Tous deux lui imprimèrent des caractères singuliers qui, vivant encore aujourd’hui, alimentent le prologue de cette réflexion.

Puis, deux récits  dits par Niama et Célimène, femmes emblématiques de Bourbon-La Réunion et une chronique de la IIIe République sous le tropique du Capricorne racontent la gestation de l’âme créole réunionnaise et les cycles de son évolution pendant la période dite coloniale, entre 1665 et 1946. Au terme de ces tribulations est un petit péï dont l’âme désorientée, muette, s’enfonce dans la pire détresse.

Une nouvelle chronique rend compte des coups de butoir portés à la société réunionnaise des années 1946  par une politique d'assimilation rigide et mécanique. Ces échos sondent la magie du ciel de Gaulois tombant en 1946 sur la tête des Réunionnais. Elle ne fit miracle qu'à moitié et accoucha d'une Réunion à deux parts, telle une créature bicorps, ventrue, et sans flamme apparente. Avec ou sans âme ? Pour quel avenir ? Pour quel développement ?

En conclusion, l'auteur explore de manière constructive la possibilité d’un avenir heureux  pour La Réunion. " Ne pouvant se mesurer aux puissances négrières, nos ancêtres esclaves  recherchaient le salut en fuyant marron. Les asservis d'une mondialisation créolicide sauront ils aujourd’hui ouvrir la boîte à rêves, et inventer une utopie capable de libérer leur île de l’esclavage de la consommation ?

                 PREMIÈRES PAGES

Avant-propos

     Comprendre le passé sans le regretter ;tolérer le présent en l’améliorant ; espérer l’avenir en le préparant : voilà la loi des hommes sages et des institutions bienfaisantes. (A. de Lamartine, Voyage en Orient)

     Rien n’est plus troublant que de voir combien La Réunion du troisième millénaire dérobe sa flamme créole sous une apparence humble. Vu de Sirius, la terre natale de Leconte de Lisle semble réduite à une pâture vouée à des consommateurs en errance. On les dirait écartelés entre la toute-puissance de lhyperculture globalisante[i] et les délicatesses de la pudeur orientale, assistant impuissants à la ruine de leur âme.

     Et pourtant, rien n’est ici tout noir ou tout blanc. Il est à La Réunion, sous des contours inapparents, un je-ne-sais-quoi mystérieux et muet immanent à la conscience de ses seuls enfants. Ce principe prodigieux et tombeau de discrétion est désigné par eux : fonnkèr. Âme ou état d’âme ?

     Née Créole à la fin du XVIIe siècle, l’identité réunionnaise contemporaine est l’aboutissement d’une série de passages discontinus d’une culture à une autre culture, d’un processus permanent de démolition et de reconstruction culturelle. Elle apparaît sous l’aspect d’un ru suintant d’un éden profané. Puis, traversant les siècles, elle se nourrit de sources éloignées supportant toutes les adversités. Elle est aujourd’hui ombre insaisissable ; le murmure de ses pleurs résonne à nos oreilles comme une étrange cacophonie où se mélangent les cocoricos stridents du coq gaulois et la musique envoûtante de l’hymne à la batarsité[ii]. D’où ce mystère d’inconnu qui la masque, la déguise, et l’entortille jusqu’à instiller le doute quant à sa possibilité, son existence même. L’âme créole réunionnaise a-t-elle persisté dans la dynamique des transformations des temps ? Est-elle aujourd’hui vivante et mobilisable pour enchanter les lendemains de La Réunion ?

     Cette énigme engage l’avenir car elle pèse d’un poids certain sur le développement de l’île. Il est avéré qu’en tous lieux, de tout temps, le progrès humain doit ses avancées à des créateurs. À des femmes et à des hommes aux âmes fortes, attachés à leurs territoires, s’y identifiant, et se soumettant d’enthousiasme à ses réalités sociales, économiques, et culturelles. Tout le contraire des politiques d’imitation mécaniques, serviles, simiesques qui vouent les pasticheurs aux limbes de l’oubli ! La Réunion ne fait pas exception. Ici, comme ailleurs, l’élan de l’âme est une condition nécessaire à un développement harmonieux. Ici, plus qu’ailleurs, la poésie d’André Chénier résonne comme une recommandation :

     L’esclave imitateur naît et s’évanouit.

     La nuit vient, le corps reste, et son ombre s’enfuit.

     La vie n’est promise qu’aux seuls inventeurs.

     Pénétrer le mystère du fonnkèr qui voile l’âme créole réunionnaise, l’analyser, percer ses secrets, partager sa vision, telle est l’ambition de cette réflexion qui nous transportera dans un voyage plein d’étonnements et d’émotions.

In krié fonnkèr — Un cri du cœur

La représentation d’une France mythique ayant allaité, nourri, gavé mon enfance, j’ai longtemps cru, comme les petits croient au père Noël, que le pays de ma naissance était une île sans passé, isolée et esseulée, advenue en 1946 de génération spontanée. Ce mystère maintenu impénétrable par les grands, ce vide comblé par la grande Histoire d’une France glorieuse et conquérante, toujours me ramenait dans le rêve d’un univers idéal, catholique, français, et blanc, tel un éternel printemps. Enfant, j’y vivais heureux, insouciant du monde qui m’entourait.

Les fantômes de mon adolescence hantant cette vision m’avaient révélé l’effroyable distance des héros gaulois de mon éducation, assis sur un autre rivage, et de vastes océans entre nous. Mille années-lumière séparaient le royaume des têtes blondes, le plus beau des royaumes après celui du ciel, du jardin d’ethnies qui était mon île créole. Céans, fleurissait un dégradé de peaux passant des ombres extrêmement pâles aux nuances les plus sombres.

Surtout cet arc-en-ciel mystérieux réfractait un ciel étrange et singulier, farci d’un panthéon de divinités chatoyantes. Tout l’opposé des us et coutumes de la famille Duraton et de son paradis, siège d’un Dieu tutélaire, ombrageux et austère !

Mon esprit d’étudiant ex-îlien, exilé à Marseille tout au long des années soixante, avait achevé de me désillusionner. Loin du pays natal, je m’interrogeais sur mon identité. Ce qui m’amena à fouiller les arcanes d’un étrange poème épique où les cultures du monde, transbordées par inadvertance à l’île de Bourbon à la fin du XVIIe siècle, s’étaient acoquinées à leur aise. Elles avaient ainsi bâti une nouvelle civilisation.

En ce temps-là, les Lumières ne faisaient que pointer leurs premières lueurs. En ce temps-là, l’ethnocentrisme du vieux monde blanc régnait en maître sur la planète Terre. En ce temps-là, un méli-mélo d’ethnies originaires des trois vieux continents, Robinsons rustiques et même sauvages, blancs, noirs, gris, avaient été rassemblées sur le sol bourbonnais. Là, ils avaient établi une performance inédite sur la planète Terre : ils avaient mélangé leurs sangs bigarrés et fondus leurs mémoires disparates dans un commun creuset. Ils avaient mutualisé leurs ciels souvent antagonistes et doté le firmament de leur terre d’exil d’un Panthéon qui n’avait point de semblable.

Ensemble, ceux-là avaient créé la nasyon bann fran batar[iii]. Ils avaient ainsi, sans même se douter de l’existence de Descartes, enrichi le Grand livre du Monde dune nouvelle entité.

J’avais tiré de cette révélation une immense fierté !

De retour au péï natal au début des années soixante-dix, je me mettais en quête de cette âme fabuleuse née de ma nostalgie. Tendant l’oreille, je l’entendais imperceptiblement chanter. La France du milieu du XXe siècle adoptant la Réunion dans ses départements l’avait réduite au silence !

En ce temps nouveau dit départemental deux manières d’être d’inégales fortunes tiraillaient La Réunion. L’une, française, nourrie des siècles et des Lumières, l’absorbait dans l’histoire d’une île sans passé et soumise à l’esclavage de la consommation. L’autre, créole, faite gros doigt, conçue depuis peu dans le noir et la douleur, marronnait dans des atours de béton et de goudron.

Mon île Réunion allait ainsi cahin-caha, comme naviguant à la part, quand, soudain, au début des années 1980, un vent révolutionnaire avait balayé les dénégations qui retiraient à son âme le droit de cité sur le sol de ses créateurs.

L’âme créole réunionnaise réapparut alors au grand jour. C’était un fonnkèr rayonnant, certes meurtri par les chocs de l’assimilation, hybridé de goyave de France, mais bien vivant, fort d’une irrésistible impulsion puisée dans son histoire.

Elle s’attela alors à la reconquête de son pré carré.

Elle allait ainsi, ti lamp, ti lamp, — pas à pas —, quand, soudain, je compris qu’un chamboulement inédit du Grand Monde était en train de modifier radicalement l’environnement de mon péï natal. Tout alentour, la « Globalisation », fureur iconoclaste, mêlait peu à peu les eaux du fleuve français où flottait La Réunion aux ondes fangeuses du vaste estuaire de la mondialisation.

Plongé dans l’émoi de cet affreux spectacle, je devinais alors une forme hybride clapotant à petits coups sur l’écume de jours devenus incertains. Était-ce une âme ? Celle de mon pays natal ? Mais comment le savoir ? Et comment la reconnaître avec ce qu’elle a fait déjà de pérégrinations ? Et que faire pour sauver ses petits matins, sinon danser contre le déluge à la manière de J.M.G. Le Clézio [iv]?

Peut-être la conter à la manière de Danyèl Waro chantant la batarsité ! En se souvenant que l’âme créole réunionnaise surgit d’une tourmente à la fin du XVIIe siècle avant qu’un torrent tumultueux n’emportât son destin. En arpentant le tunnel de l’esclavage, sillon creusé sous la vraie vie, où elle fut séquestrée plus de cent cinquante ans. En l’écoutant crier misère quand, en 1848, l’air du temps la jeta tout endolorie dans l’envoûtement et les périls d’une liberté retrouvée. En considérant les bienfaits et les atteintes de l’étreinte frénétique d’une départementalisation hybridant tant sa nature que son aspect. En saluant sa renaissance quand les années 1980 avaient révoqué l’accouplement pernicieux de l’assimilation. En retraçant ses efforts pour renaître à elle-même dans un berceau changeant devenu méconnaissable. En dénonçant la frénésie d’ouverture de son économie aux vents délétères de la mondialisation, qui l’oppresse, qui l’étouffe par l’argent.

     Conter l’âme créole réunionnaise, rechercher sa vérité, la sortir de l’anecdote et de l’anodin, contribuer ainsi à son épanouissement, la dévoiler, philosopher, faire découvrir des choses, tel est l’objet de cet essai. Exigence de la raison, son cours suit un cheminement buissonnier traversant les siècles, reliant l’île Bourbon des premiers rayons des Lumières à La Réunion contemporaine. Puisse ce voyage contribuer à mieux faire connaître le fonnkèr des Réunionnais, surtout sa résilience et ses vertus comme vecteur de progrès. Puisse-t-il introduire à La Réunion la fierté d’une âme créole libre.

[i] Hyperculture globalisante : un marché-monde ne crée pas une société-monde. La culture c’est ce qui constitue une société. La mondialisation culturelle entraîne l’émergence d’un nouvel écosystème symbolique - « l’hyperculture globalisante » - qui affecte toutes les cultures et dont l’importance n’est pas moindre que celle de l’écosystème physique. J. Tardif dans Mondialisation et culture : un nouvel écosystème symbolique. Questions de communication (2008).

[ii] Mwin pa blan / Non mwin pa nwar /Tarz pa mwin si mon listwar / Tortiyé kaf yab malbar / Mwin nasyon bann fran batar : Texte de Danyèl Waro, poète Créole réunionnais définissant la " batarsité " comme étant l'ensemble des caractères propres à la culture créole réunionnaise et définissant la société réunionnaise comme étant la nasyon bann fran batar, - traduit littéralement mais improprement par "La nation des frères batards ".

[iii] "Nation créole réunionnaise". Voir ci-dessus note 2.

[iv] Que peut un homme, ici, dans les villes d'Europe ou d'ailleurs, pour tenter de sauver les matins du monde ? Peut-être qu'il peut, comme les Waunanas de la forêt, simplement danser et... faire sa musique, c'est à dire parler, écrire, agir, pour tenter d'unir sa prière à ces hommes et ces femmes autour de la pirogue. Il peut le faire, et d'autres viendront  à lui. Écrivons, dansons contre le déluge. » (J.M.G Le Clézio, « La fête chantée »)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.