Saint Denis de la Réunion, le 24/09/2020
Permettez moi, Messieurs les provocateurs, de m’étonner, - sinon de m’indigner - de vos propos relatifs au mot « créolisation ». Il n’aurait à vos yeux « historiquement pas de sens » sous prétexte que les créoles seraient au départ des « aristocrates » d’origine européenne « installés aux îles »…
L’ignorance, je le crains, vous porte à des excès de déraison…
S’il est malheureux de constater que les grands dictionnaires français n’ont pas cru devoir réfléchir à la définition du mot « créole », et à son évolution depuis le temps de la marine à voile, il est aussi regrettable de voir les plus grands journalistes de notre pays, ignorer à ce point le processus d’interaction et d’hybridation des traits culturels déterritorialisés, adaptés/adoptés hérités et inventés dans le contexte des plantations[1], un processus qui a fondé notamment les sociétés créoles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion.
J’ai appris dans les universités des Antilles françaises, de la Réunion, mais aussi du Canada, dans d’autres encore comme celle de Louisiane, que le mot « créole » pourrait s’enorgueillir d’origines latines ( Créole, du latin creare : créer ).
Oui, comme l’affirme Monsieur Carreyrou : quand on ne nomme plus les choses, on ne nomme plus les phénomènes.
Encore faut-il bien les nommer !
Non, la « créolisation » n’est pas un gros mot, vide de sens.
Les sociétés créoles, peut-on lire dans la présentation de la collection “ Publications sur les sociétés créoles” sont des “lieux de rencontre, d’affrontement, et de convergence entre des peuples de tous les continents ; (elles) ont édifié une « civilisation créole » qui porte en elle les signes de ses origines multiples. Une civilisation qui offre surtout des synthèses culturelles, des créations linguistiques, des constructions religieuses et des métissages inédits dans l’histoire, et qui préfigure certaines orientations du monde actuel.[2] »
La « Créolisation » est une forme de mariage des cultures issu du coudoiement de plusieurs civilisations mises dans l’obligation de cohabiter dans des espaces économiques, sociologiques, et géographiques isolés, pour le meilleur, et le plus souvent pour le pire. De ce vivre ensemble naîtra le cours de nouvelles civilisations, dites créoles.
Ce concept dépasse par nature celui de la coloration des sociétés. Et comme je l’écris dans mon dernier ouvrage intitulé « Le dernier Kréol »[3]le métissage est à la créolisation ce que les préliminaires sont à l’amour.
La saillie de Monsieur Mélenchon sur la « Créolisation », au-delà des critiques qu’elle pourrait légitimement susciter, aura été utile si elle permet enfin aux Français de nommer enfin un phénomène qui fut porteur d’une grande espérance pour l’humanité. Un phénomène que l’ignorance et la mondialisation malheureuse du nouveau monde réduit hélas au néant.
Je ne suis pas assez compétent pour juger de la « créolisation de la société française », et je ne suis même pas sûr que cette formule à un sens, mais je suis persuadé qu’un approfondissement du concept de « créolisation » offrirait à notre société des outils utiles à un meilleur épanouissement.
Edmond René Lauret
Auteur
Chevalier de la légion d’honneur, de l’ordre national du mérite, de mérite agricole, et des palmes académiques.
[1]Créolisation et créolité à la Martinique : essai de périodisation, par Gerry l’Etang,L'Habitation/Plantation : héritages et mutations, UAG, mars 2004.
[2]20 Collection dirigée par J.Besnoit. Université du Québec, collection Les sciences sociales contemporaines. Le lecteur y trouvera les melleures réponses aux questions qu’il se pose sur les sociétés créoles, celles des Antilles et de la Réunion notamment.
[3]Le dernier Kréol, Edmond René Lauret , Les éditions du Boucan.