Edouard d'Espalungue (avatar)

Edouard d'Espalungue

Français, francophone, avec un tropisme anglo-saxon

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 août 2023

Edouard d'Espalungue (avatar)

Edouard d'Espalungue

Français, francophone, avec un tropisme anglo-saxon

Abonné·e de Mediapart

Affaire Hedi: l’avocat a-t-il raison ? Un autre son de cloche avec la loi 2017-258

On ne compte plus les interviews d’Hedi depuis cette terrible soirée du 1er juillet 2023. La Provence, BFM TV en live, Kombini… Véritable coqueluche des réseaux sociaux, il ne s’est pas privé pour critiquer vertement l’agent de la paix Christophe I, malgré la présomption d’innocence dont bénéficie le policier lui ayant tiré dessus alors qu’il prenait la fuite.

Edouard d'Espalungue (avatar)

Edouard d'Espalungue

Français, francophone, avec un tropisme anglo-saxon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quels sont les faits ?

Dans la nuit du 1er au 2 juillet, un jeune homme, Hedi, a reçu un tir de LBD dans la tempe en marge des émeutes à Marseille. Quatre policiers de la BAC ont été mis en examen, dont un placé en détention provisoire. Depuis, la question porte sur le déroulé de l’altercation entre les policiers de la BAC et Hedi qui était accompagné d’un ami, Lilian P. Que faisaient-ils près du Vieux-Port à 2h du matin alors que Marseille était en proie aux émeutes ? Qu’ont-ils dit aux policiers lors de leur approche ? Pourquoi ont-ils fui ? Quels mots ont été prononcés par les policiers ? L’usage de la force était-il proportionné et compatible avec le droit en vigueur ?

Illustration 1
L'avocat d'Hedi à Marseille (2023)

Quels témoignages dans la presse ?

L’emballement médiatique commence et Lilan P. donne déjà un indice à la presse. La Dépêche rapporte que « ce dernier avoue "une forme de 'curiosité' pour justifier sa présence à Marseille" cette nuit-là. Version corroborée plus tard par l’avocat d’Hedi qui racontera devant les caméras de télévision qu’Hedi aurait surement mérité un bon coup de pied aux fesses pour avoir eu cette curiosité malsaine. Hedi l'a admis dans une interview avec le journal La Provence . « C’était la fête des terrasses, et j’ai terminé mon service vers 1h30, remonte le temps Hedi, assistant de direction dans l’hôtellerie-restauration, à Meyrargues. J’ai retrouvé Lilian à Marseille, sur le Vieux-Port. Il devait être deux heures et il y avait beaucoup de fourgons de police, on en a croisé quelques-uns, on leur a dit ’bonsoir’, on se sentait en sécurité." Les deux jeunes hommes doivent retrouver leurs petites amies respectives, quand ils aperçoivent un hélicoptère survoler la ville. "C’était comme dans un film, se souvient Hedi. On l’a suivi vers le cours Lieutaud, pour voir. On n’aurait pas dû." »

Mais qui, après avoir quitté son service, part de Meyrargues, roule plus d'une heure en voiture, pour aller ensuite s'égarer dans les rues d'une Marseille envahie par les émeutiers, tout ça « par curiosité » ?

"Ils étaient en civil mais portaient une arme à la ceinture, un flash-ball autour du cou et avaient des matraques, détaille Lilian. Quand ils nous ont demandé ce qu’on faisait là, l’un d’eux avait son arme à la main, le doigt sur la détente, un autre a déplié sa matraque. Je crois qu’on n’a même pas eu le temps de répondre. J’ai bloqué un coup de matraque avec mon bras ». C’est une scène bien étrange que raconte Lilian, avec des policiers qui auraient utilisé sans raison valable leur matraque. L'enquête devra déterminer la véracité de la scène. Il avoue : « on s’est retourné pour partir en courant ».

Quelles suites judiciaires ?

Le jeune homme réclame aujourd’hui l’expulsion de policiers : « S’ils avaient été des citoyens lambda, ils seraient déjà en prison », accuse Hedi, qui précise n’en vouloir « en aucun cas à l’ensemble des policiers. » Et de rajouter, avec la prétention de ceux qui pensent faire un meilleur travail que les juges : « il y a certains moutons noirs qu’il faut écarter du troupeau. »

Pourtant, la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 , relative à la sécurité publique et voté sous l’autorité du premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, a renforcé la sécurité juridique des interventions des forces de l'ordre. Dans une note du 9 mars 2017 adressée à tous les chefs de service, la préfecture de police de Paris indiquait que « l’article 1er de la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a créé un nouvel article L.435-1 dans le code de la sécurité intérieure (CSI) qui définit un nouveau cadre légal d’usage des armes commun aux agents de la police et de la gendarmerie nationales ».

Quel est ce nouveau cadre ? L’article 1er de la loi dispose que « « Art. L. 435-1.-Dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l'article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée :

« 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s'arrêter, autrement que par l'usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;

« 4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ;

Ainsi, partant de l’argument, tout à fait légitime, qu’on ne peut viser correctement à 2h du matin, en pleine nuit, avec une arme de type flash-ball, elle-même peu précise, l’agent de la paix Christophe I. pourra plaider l’utilisation mesurée de son arme puisqu’il faisait face à des hommes en fuite, et, en l’absence de la connaissance des motivation réelles de leur présence sur place, « susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui ».

La loi actuelle est-elle juste ?

On peut évidemment s’interroger, en l’état, sur les conditions d’engagement d’une action policière. Le simple fait d’être en fuite peut-il justifier l’utilisation d’une arme ou même d’une arme par destination comme une voiture, notamment dans le cadre d’une poursuite, particulièrement dangereuse pour les policiers, les suspects, ainsi que la population civile, lorsque réalisée en milieu urbain ? Rien n’est moins sûr. Ce seront aux députés et sénateurs de réaliser une mission d’audit sur les effets de cette loi depuis 2017, afin de la modifier si besoin.

Edouard d'Espalungue d'Arros analyse chaque semaine sur Mediapart la politique économique et pénale américaine et fournit aux lecteurs et lectrices francophones des clés de lecture pour décrypter les causes et conséquences des décisions majeures prises par les juges, hommes politiques, chefs d'entreprise et fonctionnaires américains.

Illustration 2
Edouard d'Espalungue d'Arros (2023)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.