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Billet de blog 12 mai 2023

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Le danger fasciste (en réponse à une article de Frustration Mag)

Une réaction rapide à l’article de Frustration Magazine sur le Le Pen, le fascisme, l’extrême droite et Macron. La vie de millions de racisés, LGBT, handi, etc., serait immédiatement modifiée par l’arrivée du RN au pouvoir : celle des non-concerné·es, probablement moins.

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Une réaction rapide à l’article de Frustration Magazine sur le Le Pen, le fascisme, l’extrême droite et Macron. https://www.frustrationmagazine.fr/arreter-de-craindre-le-danger-fasciste-craindre-le-danger-macron/

L’angle de l’analyse, c’est 1) le Pen n’est pas fasciste mais d’extrême droite 2)  Macron est d’extrême droite aussi 3) Taper sur le Pen ce serait ignorer Macron 4) du coup ‘faire barrage’ serait de fait soutenir l’extrême-droite 4) la Bourgeoisie n’a pas besoin du fascime (actuellement) et 5) on pourra lutter contre Macron et contre un gouvernement le Pen de la même manière. Ces 5 points sont défendus tels que dans l’article (pas nécessairement dans cet ordre). 

Pour celleux qui connaissent les débats dans l’extrême gauche, cet article n’a aucune originalité : il s’agit avec 2, 3 nuances des textes écrits par des orgas comme Révolution Permanente, l’un des NPA issu de sa scission et Lutte Ouvrière. La seule grosse différence est la perspective stratégique de la prise de pouvoir révolutionnaire versus celle plus institutionnelle développée dans ce magazine.

Prenons les points un par un :

1 - La caractérisation du fascisme. Passer énormément de temps sur le terme de fascisme et de pourquoi il pourrait  ou pas s’appliquer au RN est souvent un prétexte à l’inaction et à la confusion. De fait, pour celleux qui pinaillent expliquant que c’est super important de caractériser proprement le fascisme, la définition du fascisme est prise dans son sens finaliste : on regarde les conséquences du fascisme lorsque celui-ci a gagné : dictature, camps etc … et pas lorsque celui-ci se développe.

Comme il n’a pas encore gagné - ie ce n’est pas la dictature, les camps etc… - alors il n’y a pas lieu de lutter contre le fascisme spécifiquement - celui n’existe pas (encore). On retrouve ces travers dans la presse d’extrême gauche des organisations citées: où l’on ne parlera de fascisme qu’à un certain niveau de gravité - il faut un seuil sur le nombre de miliciens fascistes qui défilent dans la rue, les attaques d’organisation de gauches : même si tout cela a lieu partout dans le monde et de manière croissante ce ne serait toujours pas du fascisme car en dessous d’un seuil pas de fascisme. D’ailleurs sans ironie l'auteur dénonce l’attitude des communistes allemands dans les années 30 face aux Nazis sans s’apercevoir qu’il a exactement la même attitude. 

2 - Macron d’extrême droite : l’auteur de l’article passe beaucoup de temps à expliquer que Macron est d’extrême droite. Je pense que je ne vais pas épiloguer plus que ça tant cet argument pèse peu face à d’authentiques gouvernements d’extrême droite notamment en Europe. Notamment sur la capacité à l’alternance politique réelle dans ces conditions. La chute de Saviani n’a pas entraîné un mouvement de balancier à gauche. L’extrême droite au pouvoir permet qu’elle s’y installe durablement et que le retour en arrière soit de plus en plus difficile. Il admet d’ailleurs que c’est moins pire ici qu’en Hongrie mais pour finalement dire que c’est pareil. 

3 -  Focaliser sur Macron en termes de priorité viendrait du fait que Macron fait le programme de l'extrême-droite, c’est grâce à lui que le RN se développe. Tout d’abord je ne pense pas que le programme de l’extrême-droite tel qu’il serait écrit dans les instances du RN soit contraignant : le RN peut faire toujours plus à droite sans aucun souci et ne s’en privera pas.. Dire que Macron fait le programme de l’extrême droite c’est manquer absolument d’imagination concernant ce que ça pourrait être. Un petit regard vite fait vers les US où - avec les mêmes arguments d’ailleurs - la droite Trumpiste ne serait pas ‘fasciste’ montre l’étendu des possibilités à partir du moment où cette droite n’est pas challengée. 

Le plus incroyable sur cette histoire de focaliser sur Le Pen, c’est que ce n’est pas le cas : il n’y a à l’heure actuelle aucune campagne sérieuse (en terme de nombre - je salue bien entendu celleux qui continuent à faire vivre ce combat) contre le RN. Il s’agit d’un homme de paille très pratique. 

4- Continuons sur la bourgeoisie n’a pas besoin du fascisme: il y a deux erreurs dans cette phrase : la première c’est de penser que la bourgeoisie ou la classe dirigeante est un bloc uni qui fait des réunions zoom pour décider de l’avenir du monde et prennent des décisions (j’imagine au consensus !?). La classe dirigeante est pleine de contradictions et de tensions internes: les besoins du Capital ne se retrouvent pas incarnée sous une forme monolithique. D’autre part, le fascisme est un mouvement général et historique c’est effectivement la réaction d’une couche importante de la population comprise en le mouvement ouvrier et le capital et historiquement les classes dirigeantes s’en sont servis pour sauver leur peau. Il y a une certaine indépendance et une certaine autonomie. Penser que le fascisme puisse grimper ou s'arrêter via un coup de fil ou en appuyant sur un bouton est simplement une ineptie. 

5 -  “c’est sous Macron et c’est donc contre lui qu’il nous faut riposter, de la même manière que nous le ferions sous un gouvernement labellisé d’extrême droite”. Cette façon de voir est pour beaucoup à l’origine des analyses précédentes. En effet, toute analyse politique contient une partie située : la personne faisant cette analyse met en avant ce qu’elle estime prioritaire de son point de vue. Pour  cette minimisation du danger du RN - et de sa venue au pouvoir - viendrait du fait que les personnes  ne seraient pas impactées immédiatement. En effet, on imagine très bien la police en roue libre dans les quartiers, les lois sur l’immigration et la préférence nationale etc … alors qu’une personne non-concernée pourrait simplement fermer sa gueule et éviter, au moins au début, la vague de répression. Il y a un monde entre  la répression contre sa propre existence et celle contre les positionnements et actions politiques.

La vie de millions de racisés, LGBT, handi etc serait immédiatement modifiée par l’arrivée du RN au pouvoir : celle des non-concernées probablement moins. Cela s’est très bien vu lors de l’arrivée au pouvoir des Bolsonaro et Trump sur les raciséEs, les populations autochtones, les musulmanEs etc… Il se trouve qu’ensuite cela commence à concerner plus de gens et de manière plus violentes (attaques sur les trans, le droit à l’avortement, don’t say gay) et plus direct (interdiction de livres) mais pas immédiatement. 

Il ne s’agit pas bien entendu de disqualifier tout raisonnement car il serait situé mais bien au contraire de l’envisager lorsqu’on développe ces théories (malheureusement et comme d’habitude lorsqu’on parle de racisme avec des intellos blancs la réaction est plus de la non remise en question que l’inverse). Et l’auteur du papier ne déroge pas à la règle (par exemple ici https://twitter.com/GramsRob/status/1656630507872960514)

Il reste que la minimisation du danger RN, le repoussement du fascisme à un horizon lointain sous prétexte de la lutte réelle maintenant contre tout un système etc… tout cela fleure bon de l’expression d’un privilège, celui qui peut se permettre que le PEN arrive au pouvoir car sa vie - directement - ne sera pas menacée. Ce n’est pas uniquement un privilège de race. Il y a un tel niveau de soutien effectif aux idées du RN que la traduction dans la vie politique locale existe d’ors et déjà. Il suffit de demander comment se comportent les élus proche de l’extreme-droite dans les petits villages ou petites villes. Les actions des fafs à Saint-brevin et la démission du maire après un tentative d’assassinat. Les pressions sur les élus en Bretagne à Callac etc… La vie réelle des gens est sous pression par la montée du fascisme. On a pas le temps de gloser sur les termes et si une personne a ce temps là c’est qu’elle n’est pas réellement concernée. 

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