Ouais. Poète, bohème (autant dire : fêtard) et aussi... ultra-marathonien.
Courir. Cette activité qui, pour beaucoup, n’est qu’une mode passagère, une fièvre éphémère qui, comme tant d’autres, apparaît et disparaît avec la légèreté d’un souffle. Cependant, pour certains d'entre nous, courir est un rituel, une affirmation de la vie, une tentative farouche de nous accrocher à la vitalité qui bat encore dans nos veines. Ce n’est pas simplement maintenir une forme physique, mais une manière de résister au temps et, au fond, la seule façon d’affronter ces démons qui nous poursuivent en silence. Maintenant, mon prochain défi : les 100 kms de la Somme, le championnat national de France d'ultra-distance, où je cherche à être sur le podium, mais aussi à briser tous les records établis par mes compatriotes vénézuéliens dans cette catégorie.
Et c'est que ces 100 kms ne sont pas seulement une épreuve de force physique, c'est aussi une descente dans l'abîme de l'être, où chaque foulée arrache des couches de peau, révélant une vérité nue : ce que nous sommes face à l'immensité de l'humain. Courir cette distance, ce n'est pas simplement bouger les jambes, c'est plonger dans les recoins les plus sombres de l'âme, naviguant entre ombres et lumières, à la recherche de quelque chose de plus profond qui transcende l'existence elle-même.
Qu'est-ce que courir ? Cette question me hante, résonnant dans mon esprit comme un écho interminable. Cela peut sembler aussi absurde que le mythe de Sisyphe, poussant une roche au sommet d'une montagne juste pour la voir retomber encore et encore. Mais dans cet absurde, dans ce mouvement constant, il y a un sens caché, une beauté que seuls ceux qui osent franchir le seuil de la douleur parviennent à comprendre. Et c'est là, lorsque le corps devient un simple outil, qu'émerge une vérité fondamentale : l'esprit qui l'habite, celui qui se révèle à chaque kilomètre parcouru.
Je me souviens des mots de Nietzsche, qui décrivait l’homme comme un pont entre ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir. À chaque pas, je lutte contre ces voix qui me disent d’arrêter, d’abandonner. Mais dans cette bataille, quelque chose de nouveau se forge : une clarté féroce, une sorte de vérité indéniable qui ne se révèle que dans l'épuisement extrême, à ce moment où je cesse d'être qui je suis pour devenir quelque chose de plus, quelque chose qui transcende le banal.
Et courir, comme disait Haruki Murakami, est une forme de méditation. Dans ces kilomètres qui semblent interminables, le temps perd son sens, le passé et le futur se dissolvent, et il ne reste que le présent. Chaque pas est un acte de foi, un murmure de l’univers qui m'invite à continuer, à résister. Car au milieu de la souffrance, comme l’affirmait Simone Weil, se trouve la vérité. Et c’est là, dans la course, que je trouve cette vérité : dans la douleur, dans l’épuisement, dans le choix conscient de continuer malgré tout.
Courir les 100 kms de la Somme est plus qu'un défi physique : c’est une odyssée philosophique, un voyage au cœur de l’être. Comme l’écrivait Rainer Maria Rilke : "Tu dois changer ta vie". Et courir m’a changé, continue de me changer. Je ne suis plus le même que celui qui a commencé ce voyage. Chaque kilomètre parcouru est un pas vers une compréhension plus profonde de ce que signifie être en vie, de ce que signifie être humain.
En fin de compte, ce défi ne concerne pas une victoire extérieure. Ce n'est pas la gloire que je recherche. Ce que je recherche est en moi. Courir est un acte d'héroïsme, non pas au sens classique, mais au sens le plus intime : l'affrontement avec soi-même, la conquête de ses propres ombres. Courir les 100 kilomètres n'est pas simplement atteindre une ligne d'arrivée ; c'est un voyage vers l'essence même de l'existence.
Et ainsi, à chaque foulée, je me rapproche de cette étincelle divine qui ne se révèle qu'à ceux qui osent dépasser leurs propres limites.