Les "marcheurs", élus et autres, soutenus par des sympathisants d'autres organisations, qui concrétisent ce que nombre d'entre nous voyions venir depuis longtemps déjà, la réunion des puissants qui hier s'opposaient sur des questions idéologiques, politiques, culturelles, pour former aujourd'hui un éclatant groupe d'intérêts de classe, sont-ils les seuls responsables de la situation ?
Les luttes et contestations sont certes nombreuses, on ne cesse d'en parler, de les vivre. Mais elles demeurent finalement locales, circonstancielles, trop subjectives, personnelles, que ce soit pour la défense de telle ou telle usine, de telle cause humanitaire, ou menées pour la promotion d'alternatives politiques, économiques et sociales, souhaitables et urgentes, mais trop incarnées en une seule personnalité ou mouvance.
Nul mouvement d'ampleur, suffisamment universel et constant, ne se lève en France, qui fédère et nomme ostensiblement ces réalités communes à trop de gens que sont l'oppression lourde des oligarchies et la violence des relations sociales en général. La France insoumise porte, avec ses programmes institutionnel et socio-économique, indéniablement sur ces questions un espoir compte-tenu des réponses qu'elle apporte et de l'importance de ses effectifs. Cependant, sa trop grande incarnation en une seule figure fait largement perdre de vue la démocratie horizontale qu'elle propose pourtant à grands cris et d'autres aspects de son projet, comme son abord détestable de l'Islam et d'autres particularismes, sont résolument clivants. En outre, son électorat a incroyablement déserté les élections législatives. Son leader l'a lui-même reconnu, implorant publiquement les insoumis à ne pas faire faux bond au second tour, comme ce fut le cas au premier. Mais peine perdue.
Si les luttes existent bel et bien, le rassemblement paraît compromis tant les divisions sociétales, sociales, éclatent par ailleurs au grand jour, savamment et stratégiquement entretenues par les pouvoirs, mais pas que, loin de là. En effet, tout est dit lorsqu'on entend au sein du "peuple" : "il y a trop de réfugiés en France...voyez comme le gouvernement les maltraite.....ils ne doivent plus venir........de toute façon, ils ne sont pas nés de chez nous, ils n'ont rien, ils ont des mœurs trop différentes, ils sont parfois analphabètes..."...
Même si une révolution doit au sein des esprits mûrir dans le temps, devant l'imminence d'un basculement politique vers un Etat autoritaire - si les choses ne sont pas déjà faites -, peut-on se demander si finalement, l'état actuel des choses ne résulte pas d'un choix plus collectif qu'on ne veuille bien dire ? Décision d'une société d'un Etat tout puissant, avec à sa tête un "père", un chef absolu, un régime liberticide, qui lui permettent de franchir les étapes douloureuses, inhérentes aux objectifs difficiles qu'elle s'est donnée ?
Il n'est pas impossible que nos sociétés demeurent, plus qu'elles ne veulent l'avouer, persuadées que leur apporteront bonheur et puissance, richesses, avoirs et biens supplémentaires, des processus à n'en pas douter très douloureux, tels l'ultra-libéralisation, un capitalisme intensifié, une américanisation profonde - conformément à la représentation qu'elles se font du modèle à l'origine duquel est notre civilisation -, et un nouvel impérialisme - personne ne s'y oppose réellement. Nous nous imposerions dès lors un régime autoritaire, véritable carcan, capable de juguler les tremblements de nos changements radicaux et entreprises violentes destinées à les concrétiser, mais préjudiciables à notre cohésion. Les souffrances de nos choix, nous en rejetterions la responsabilité sur les étrangers.