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Billet de blog 1 mai 2017

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Dénoncer les juifs sous l’Occupation (Laurent Joly ; CNRS éditions 2017)

Dans ce livre, Laurent Joly nous apporte une description saisissante des réalités humaines de la délation à Paris sous l'Occupation

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Cet ouvrage décrit les différents acteurs de la délation antisémite à Paris sous l’Occupation : d’une part, ses auteurs, voisins ou relations des victimes, mais aussi la presse collaborationniste à travers l’exemple du Pilori et d’autre part, ses utilisateurs, le Commissariat général aux questions juives et la police parisienne placée sous les ordres des nazis sur décision du régime de Vichy. La réflexion s’appuie toujours sur le récit bouleversant des conséquences souvent tragiques des agissements des délateurs. Elle se conclut par un tableau de la répression de toute cette ordure à la Libération.

Le livre apporte quelques surprises. D’abord, il y aurait eu bien moins de dénonciations qu’on ne le croyait dans les années 80. Au lieu de plusieurs millions, comme l’avançait André Halimi dans un livre de 1983, Laurent Joly estime leur nombre à plusieurs milliers, en se fondant sur les traces qu’elles ont laissées dans les archives subsistantes. Cela n’ôte rien à leur terrible efficacité pour alimenter la machine exterminatrice, en lui épargnant un lourd et coûteux travail d’enquête. Le temps ainsi gagné a permis de limiter les effectifs affectés par la Préfecture de police à cette tâche honteuse - et semble-t-il perçue comme telle par quelques-uns des fonctionnaires concernés - alors qu’une partie importante des inspecteurs était mobilisée dans la lutte contre les réseaux communistes.

Laurent Joly cherche à analyser les motivations des délateurs. La bêtise, l’opportunisme, la guerre sociale y ont leur place tout comme l’adhésion avouée aux idéologies antisémites. Parfois, des querelles de famille, des jalousies conduisent au crime.

L’autre surprise est que, à la Libération, on peut être condamné à des peines de prison voire à mort par les tribunaux pour avoir dénoncé des Juifs. L’incrimination retenue par les juges - intelligence avec l’ennemi- se montre à cet égard d’une grande efficacité en permettant de poursuivre toute aide aux autorités d’occupation, quelles que soient ses motivations.

Laurent Joly a ainsi examiné 225 jugements de cette espèce rendus par la cour de justice de la Seine, dont 138 se sont conclus par des peines supérieures à un an de prison, dont 12 à mort. Trois d’entre elles ont été exécutées. On relève avec douleur de nombreux exemples d’amnistie de ces condamnations dans les années 50.

La France des années 50 et 60 - mais ce point n’est pas évoqué dans le livre - a en effet eu une vraie obsession pour l’effacement des crimes de la droite extrême au nom de l’anticommunisme et  de la réconciliation nationale. Cet oubli a profité aux bourreaux civils (les délateurs) ou militaires (l’OAS). Pire, elle a fini par recouvrir dans notre mémoire la réalité de la répression de ces salauds, aussi inachevée et incohérente qu’elle puisse nous apparaître aujourd’hui, comme le montre bien Laurent Joly : dure aux pauvres, inexistante pour les policiers pourtant rouages essentiels.

Il est certes trop tard pour revenir sur tous les errements des générations de l'immédiate après guerre. Mais du moins, doit-on donner les noms des coupables en pâture aux temps futurs, dans une sorte de damnatio memorae. C’est ce que fait Laurent Joly en citant ceux des délateurs sanctionnés à la Libération - que l’on retrouve d’ailleurs dans les journaux du temps. 

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