La France est en guerre contre l’Etat Islamique comme l’a martelé François Hollande dans son discours au Congrès le 16 novembre 2015.
L’emploi du terme « guerre » a suscité dans ma conscience de franchouillard né à la fin des guerres coloniales angoisse - les vieux récits de mes grand-parents racontant l’horreur de la seconde guerre mondiale se concrétisaient brutalement - puis étonnement - on n’a pas souvenir d’une déclaration en guerre en bonne et due forme - et finalement perplexité : pourquoi diable s’est-on embarqué dans cette galère ?
La Palisse répondrait que nous nous sommes engagés parce qu’on nous l’a demandé, que l’on ne voyait pas d’autres solutions et que cela nous arrangeait au fond.
L’appel des États-Unis
Les demandeurs dans cette triste histoire sont bien entendu les États-Unis. Le multilatéralisme militaire et diplomatique occidental, dans lequel la France est entrée de plein pied depuis Nicolas Sarkozy, a concrètement pour effet d’aligner ses priorités sur celles de l’empire du bien, comme on l’a vu pour la crise ukrainienne. Or, les États-Unis ne savent plus comment débrouiller l’écheveau qu’ils ont eux-mêmes créé au Moyen Orient. L’Irak dont ils se sont retirés après l’avoir saccagé, a été incapable de dépasser les oppositions entre sunnites, chiites et kurdes. Les perdants ont été les sunnites qui se sont peu à peu ralliés à l’état islamique, nouvel avatar du djihadisme dont la particularité est de chercher à reconstruire dans ce monde un empire (le califat dans leur jargon) sur les ruines des états existants. Après que les fanatiques eurent réussi en 2014 à s’emparer de tout l’est de la Syrie et à mettre en déroute l’armée irakienne qu’ils avaient reconstitué à grands frais avant de se retirer, les États-Unis se sont résignés à intervenir une nouvelle fois afin d’éviter la propagation de la peste califate aux autres pays arabes.
Mais, dans la guerre qu’ils mènent depuis 2014, ils se sont fixés une double limite : d’une part, après le double fiasco irakien et afghan, ne pas s’engager au sol afin de ne pas apparaître une nouvelle fois comme des envahisseurs d’un pays arabe, d’autre part ne pas se brouiller avec leurs alliés sunnites, à savoir la Turquie, qui garde le flanc sud de l’OTAN, notamment contre la Russie, et l’Arabie Saoudite, qui a saisi l’occasion d’affaiblir son ennemi syrien en soutenant ses opposants par des livraisons d’armes.
L’intervention américaine a donc consisté à épauler les forces qui combattent l’état islamique – kurdes d’Irak et de Syrie, armée irakienne – par un appui aérien ou des conseillers militaires, à tuer par des tirs directs ses dirigeant et à détruire ses infrastructures. Comme elle prétend limiter les pertes civiles, que les djihadistes s’adaptent en se cachant et que la recherche des cibles s’en trouve compliquée, le rythme des bombardements est en pratique erratique.
Par ailleurs, les progrès contre l’EI au sol sont freinés par les réactions prévisibles de la Turquie laquelle a pour politique constante de refuser la création d’un Kurdistan par redécoupage des frontières actuelles. Elle entend à cet égard poursuivre son jeu trouble avec l’EI et n’hésite pas à lui apporter un appui indirect en attaquant les kurdes sur son sol ou en Syrie.
Les États-Unis mènent donc depuis 2014 une guerre visant à la destruction totale de leur adversaire avec des moyens volontairement limités. L’implication d’autres pays occidentaux leur permet de les élargir, de partager les responsabilités vis-à-vis des opinions publiques tant locales qu’internationales, notamment en cas de bavures (1). Hélas pour nous, la France était à cet égard de bonne prise à cause de sa présence ancienne au Moyen-Orient et de ses moyens militaires encore significatifs.
Le consentement français
Entre la fin de la guerre d’Algérie et l’arrivée de Nicolas Sarkozy, la politique étrangère française a plutôt refusé les guerres justifiées au nom du « choc de civilisation », comme la seconde guerre menée par les États-Unis contre l’Irak. Entre les années 86-88, elle a par exemple préféré la gesticulation et le compromis plutôt qu’un conflit ouvert avec l’Iran, qui avait pourtant tramé des attentats en plein Paris.
Qu’est ce qui a changé, presque trente ans après ?
Tout d’abord, on reconnaîtra que l’EI n’est pas l’Iran des années 80. Son messianisme ne s’est pas concrétisé et assouvi dans la possession d’un État pré-constitué. Cet État est à construire, dans le massacre voire le génocide des mécréants. Avec les groupuscules qui le bâtissent, la voix de la négociation et de la realpolitik est fermée.
Ensuite, la France est de toute façon impliquée, nolens volens, dans le conflit en raison de la présence d’un nombre significatif de ses nationaux parmi les combattants étrangers au service de l’Etat islamique (1700 sur 30 000 combattants étrangers venant de 100 pays (2)). Celui-ci les importe grâce à sa propagande, les utilise comme chair à canon ou bien comme bourreaux, les fanatise puis en réexporte une partie (de 20 à 30 % d’après le rapport précité) vers le pays d’origine, soit comme déserteur soit pour tuer les mécréants. Toutes ces opérations de pompage « psychopathique » s’appuient sur la circulation de personnes et d’idées permise par la porosité des frontières, notamment entre l’état islamique et la Turquie voire les autres factions en lutte en Syrie, avec la complicité semble-t-il d’une partie de l’appareil sécuritaire de ce pays.
Pour mettre cette machine infernale hors d’état de nous nuire, on pouvait soit tenter de couper ou à tout au moins de perturber les canaux clandestins qui nous lient à elle soit détruire le cœur du réacteur par une action directe.
La première option aurait conduit concrètement à mobiliser l’ensemble de l’Europe sur la question djihadiste puisque, avec les accords de Schengen, chaque état membre a en fait mutualisé la surveillance de ses frontières terrestres et aériennes. Elle obligeait ensuite à remettre à plat nos relations avec la Turquie, afin que, éventuellement à ses dépens, elle sorte de l’ambiguïté qu’elle entretient, tant vis-à-vis de l’état islamique que, plus généralement, vis-à-vis des valeurs démocratiques. Elle supposait cependant de la grandeur d’âme chez les partenaires de la France car le djihadisme ne concerne pas également tous les pays européens mais surtout, parmi les grands pays, la France (3). Par ailleurs, l’union européenne, après avoir mis à genoux la Grèce, a besoin de la Turquie comme garde frontière pour bloquer les migrations en provenance de Syrie. Celle-ci garde au demeurant de puissants soutiens à Bruxelles pour obtenir une adhésion pleine et entière à l’union européenne, à un terme à préciser.
Bref, il aurait fallu que François Hollande se montrât aussi combattif et déterminé que « mon général » dans les années 60 ou bien que, horresco referens, Margaret Thatcher dans les années 80 et agitât la menace de tout bloquer voire de réinstaller les frontières nationales s’il n’obtenait pas satisfaction. Cela entrait en contradiction avec son adhésion profonde à la mystique européiste, qui interdit de remettre en cause les « acquis de la construction européenne », même s’ils aboutissent à des résultats objectivement mauvais.
On craint que l’option militaire était, en comparaison, plus facile à envisager pour nos décideurs.
Tout d’abord, pour les atlantistes qui dominent désormais l’appareil militaro-diplomatique français, guerroyer avec les États-Unis n’a rien d’infamant. Cela renforce même leur position bureaucratique au sein de l’OTAN. En outre, c’est la France qui les avait incité en premier à intervenir militairement en Syrie fin 2013 au motif que les forces syriennes auraient utilisé des armes chimiques contre leur population civile. Après le camouflet du désistement américain à la dernière minute, leur invitation à participer à une expédition aérienne presque deux ans plus tard a pu apparaître comme la reconnaissance par les États-Unis qu’elle avait eu raison trop tôt.
Par ailleurs, toute guerre au moyen orient est une occasion de promouvoir le matériel militaire tricolore vis-à-vis des monarchies du Golfe, clientèle à la fois solvable et anxieuse de protéger son tas d’or noir contre les convoitises. Les opérations peuvent d’ailleurs s’appuyer sur la base militaire permanente à Abou Dhabi, opérationnelle depuis 2010 et dont la création a été décidée par Nicolas Sarkozy. Cette base s’apparente de facto à un salon d’exposition permanent des équipements de l’armée française (4).
La vente à l’exportation est en effet indispensable si l’on veut pouvoir amortir les chaînes de production de matériels coûteux et donc générateur de fortes marges pour les industriels, comme par exemple le Rafale, tout en ajustant les commandes pour l’armée française en fonction des contraintes budgétaires globales. La France a d’ailleurs engrangé des commandes significatives en 2015 (Égypte, Liban et Qatar), qu’elle a en partie satisfaite en prélevant les matériels sur les équipements de son armée, de telle sorte que l’on ne sait plus si l’industrie soutient la Défense ou si celle-ci est au service de celle-là.
Surtout, la décision d’intervention, depuis l’adoption du quinquennat qui a réduit le premier ministre à être le premier des ministres et non plus le responsable de la défense nationale, est en pratique du seul ressort du président, « chef des armées » selon la formule constitutionnelle. Cette capacité donne à son titulaire un rôle à part au sein de la classe politique, comme l’a bien marqué François Hollande en se faisant asseoir dans la cour des Invalides, lors de l’hommage national pour les victimes des massacres du 13 novembre, à l’écart du troupeau. Le président récemment élu paraît avoir vécu son premier usage de la force au Mali début 2013, moins d’un an après son élection, comme une épreuve d’initiation à l’essence du pouvoir présidentiel (5). Il semble y avoir pris goût. Après le Mali est venu la Centrafrique puis la Syrie. Adieu le capitaine de pédalo, place au roi de guerre, qui exprime sa souveraineté par elle, et vive Louis XIV au lieu de Paul Deschanel.
(1) Pour une description des différentes techniques utilisées par la Coalition pour brouiller les pistes concernant le recensement des pertes civiles cf. http://airwars.org/methodology.html.
(2)cf.https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjPwZL88J_KAhXCXhQKHajACZIQFgglMAA&url=http%3A%2F%2Fsoufangroup.com%2Fwp-content%2Fuploads%2F2015%2F12%2FTSG_ForeignFightersUpdate3.pdf&usg=AFQjCNHrgmR5T-h8DPGO3ie2GqkHQD3diA&sig2=gd7uBNuCO7bAzFaBGRsAMg
(3) Avec une population 30 % plus importante, l’Allemagne compterait « seulement » environ 750 djihadistes d’après le rapport cité plus haut.
(4)cf. http://athena-et-moi.blogspot.fr/2009/05/base-aux-emirats-quelques-commentaires.html.
(5) « Et moi, je veux ici vous dire que je viens de vivre la journée la plus importante de ma vie politique. Parce que, à un moment, une décision doit être prise, elle engage la vie d’hommes et de femmes. Cette décision, je l’ai prise au nom de la France. » Discours à Bamako le 2 février 2013.
Billet de blog 7 février 2016
François IV roi de guerre
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