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Billet de blog 8 novembre 2015

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Faut il publier Mein Kampf ? Le point de vue d’un lecteur

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Et pourquoi ne pas le publier nous répondraient les éditeurs. Les ouvrages sur la seconde guerre mondiale et le nazisme garnissent les rayonnages des librairies ou les écrans des vendeurs en ligne et se vendent parfois comme des petits pains. On y trouve régulièrement des publications d’ouvrages émanant d’acteurs de l’époque. Celles des carnets de Goebbels, le journal de Victor Klemperer, magnifique effort d’analyse du nazisme écrite au fil de l’eau et dans la clandestinité, ont par exemple eu un large succès. Par surcroît, Mein Kampf va tomber dans le domaine public ce qui va réduire au silence l’encombrant état de Bavière, détentrice jusqu’ici des droits d’auteur et très soucieuse d’en limiter et contrôler la diffusion.
Publions donc proclament certains historiens, ne serait ce que pour contribuer au progrès des connaissances. Après tout, le texte est déjà disponible en accès libre sur internet ou dans certaines librairies louches mais sans appareil critique et dans une traduction ancienne et quelque peu suspecte car contrôlée par les propagandistes de feu le Fürher. On peut certes trouver des analyses éclairantes du contenu du livre dans les biographies d’Adolf comme celle de Ian Kershaw. Mais, il est toujours gênant de ne pas pouvoir la critiquer en se ramenant à une source faisant autorité.
Hors de question de publier la bible hitlérienne rétorquent des politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou d’autres historiens. Pour ces derniers, éditer c’est diffuser un texte criminel dans un contexte où trop de complaisances se manifestent face à la propagation des idées d’extrême droite. Johan Chapoutot, auteur de l’ouvrage « les lois du sang », consacré à l’idéologie du IIIie Reich, est plutôt d’accord avec Jean-Luc Mélenchon (cf. https://www.youtube.com/watch?v=9kY7z-HyYn0&feature=youtu.be&a). En outre, il lui paraît vain d’espérer comprendre l’hitlérisme par la seule lecture du livre d’Hitler, qui n’est que l’une des composantes d’un corpus idéologique bien plus vaste, produit par une large fraction des élites intellectuelles allemandes de l’époque.
Certains intellectuels récusent ces appels à l’abstention au nom de la préservation de la liberté de la recherche et du refus de se voir imposer une quelconque « direction de conscience ».
En tant que lecteur plutôt compulsif de livres d’histoire, on est naturellement très sensible à tout ce qui viendrait tarir la source dans laquelle on aime tant s’abreuver. On est pas sans ignorer à cet égard toutes les menaces qui planent sur la liberté des historiens à cause des groupes de pression plus ou moins bien intentionnés qui veulent construire un récit du passé sur lequel appuyer leur revendication du moment. Les outrages subis récemment par exemple par Jean-François Niort, pour avoir voulu approfondir et préciser les interprétations du Code Noir, illustrent à cet égard les dangers pour la controverse intellectuelle des interventions politiques. Toutefois, on ne saurait prêter aux auteurs de l’appel à la non publication de Mein Kampf ce genre d’intentions.
Surtout, on est tout bêtement un peu effaré à l’idée de voir trôner sur les gondoles et les tables de nos grandes surfaces ou librairies de prédilection l’ouvrage écrit par le plus grand meurtrier de l’histoire. Certes, les livres des haineux - sur les banlieues ou la Révolution française - n’y manquent déjà hélas pas mais rares sont ceux parmi eux qui sont passés de la théorie à la pratique.

- Rassurez vous, mon bon monsieur, nous susurre-t-on, l’appareil critique nous sauvera.


- Il devra alors être formidable. Imaginons une présentation en bi-colonage, à droite le texte, à gauche les notes. Ainsi, on aurait d’un coup d’oeil et sans échappatoire, pour chaque mensonge, sa réfutation, la source des délires du Führer - car on soupçonne qu’il n’a pas tout inventé - et quelques extraits du Livre noir d'Ilya Ehrenbourg et de Vassili Grossman pour montrer les résultats des effroyables divagations de l’auteur.


- Diable, le coût de l’ouvrage risque cependant d’en devenir astronomique ; qui va acheter un tel chef d’oeuvre critique à un prix permettant un profit « décent » pour mes actionnaires ? Autant ne rien publier.


- Prenez le comme un réinvestissement du gain que vous faîtes depuis que les droits sont tombés dans le domaine public. En outre, pour parler comme les membres de la secte des économistes, il faut bien que vous intégriez dans vos coûts celui de l’assurance que l’ouvrage ne sera pas pris au pied de la lettre par les esprits faibles - pour les fous et les haineux, on ne peut rien.


Sur le fond, le plus intéressant n’est il pas ce que les lecteurs allemands des années 20 de Mein Kampf ont compris du texte plutôt que les délires qu’il renferme ? N’est il pas loisible d’espérer qu’il reste à cet égard beaucoup de choses à rééditer vu l’intensité de la la vie culturelle de la république de Weimar et notre ignorance de francophone des productions allemandes du temps ?
Peut être les éditeurs ont ils besoin d’un interdit pour les inciter à faire preuve d’imagination. Peut être aussi est ce la raison pour laquelle les éditions « Ecriture », face à l'opposition de l’héritière à la réédition de l’immonde pamphlet de Louis-Ferdinand Céline « Bagatelles pour un massacre », ont préféré s’intéresser à sa réception par les critiques. Grâce au travail d’André Derval, dans son livre « L’accueil critique de Bagatelles pour un massacre » on a pu apprendre comment les éminences du moment - y compris André Gide - se sont trompés ou se sont laissés trompés par la verve pogromiste de l’écrivain tandis que Victor Serge en avait bien saisi les implications meurtrières.

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