Ainsi, Mediapart n’était pas au courant du comportement au minimum sexiste et peut-être même pire, à la justice se prononcer, de Tariq Ramadan. Comme on présume jusqu’à plus ample informé de la bonne foi des journalistes comme de toute autre personne, que l’on tient le discours paranoïaque tenu par Manuel Valls pour une folie dangereuse pour la qualité du débat public voire pour la démocratie, on prendra au pied de la lettre les dénégations multiples postées sur le site depuis le début de la semaine.
Très probablement, la transformation de Tariq Ramadan en une sorte de Tartuffe ne changera rien aux positions des parties prenantes à la polémique qui fait rage dans la sphère médiatique autour de l’Islam. Elle est juste un épisode du spectacle permanent que nous offre ce débat avec ses bons mots, ses dessins provocateurs ou ses pamphlets fulgurants. Ceux qui avaient le dessus se retrouvent la tête sous l’eau ; la roue de la fortune les en fera bien sortir.
Mais, nous autres, couillons d’abonné, aurions bien aimé avoir de Mediapart la révélation du côté sombre du « dévot », comme l’appelait encore Antoine Perraud dans un article du 17 octobre 2017 rendant compte d’un livre d’entretien entre Tariq Ramadan et Edgar Morin - papier bien tourné, au ton enjoué, critique comme il sied, par souci de crédibilité sans doute mais dans l’empathie quand Tariq Ramadan défend une sorte de théologie de la libération musulmane - l’auteur rapporte que le « dévot » annonce travailler à une « Manifeste pour une théologie islamiste de la Libération », soit une pincée de marxisme dans un épais potage religieux. Qu’en reste-t-il quinze jours après ?
Le mystère de cette non-révélation s’épaissit encore à la lecture des cinq articles que Médiapart a consacré en 2016 à Tariq Ramadan. On y trouve les éléments d’une biographie intellectuelle du personnage, fruit d’un travail de documentation et de recherche visiblement important. Mais, d’éléments sur son comportement, point.
Faute d’analyse « post-mortem » détaillée de la part du journal, le lecteur en est réduit à considérer diverses hypothèses pour expliquer cette carence de son média d’investigation indépendant :
- Refus de principe d’enquêter dans des matières qui touchent à la vie privée et difficiles à vérifier car reposant quasi-exclusivement sur des témoignages ? Les articles successifs accablant Jean Lassalle pour ses privautés montrent bien cependant que Médiapart sait prendre ses responsabilités y compris sur ce terrain là.
- Habilité de Tariq Ramadan à cacher ses forfaits car, « Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense; /Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence » (Tartuffe) ? Mais, comment se fait-il que d’autres l’aient apparemment su et pas seulement Catherine Fourest, source pas très fiable ?
- Ou blocage psychologique des instincts journalistiques quand Tariq Ramadan est scruté par Médiapart, le journal étant pris entre l’enclume de l’investigation et le marteau de ses choix idéologiques tant le « dévot » est proche de l’idéal type du « musulman libéré et libérateur » dont le fondateur du journal espère l’avénement ?
Puisse cette mésaventure inciter Médiapart à améliorer ses pratiques journalistiques.