C’est entendu, les militaires doivent obéissance pleine et entière aux civils. D’ailleurs, la constitution prévoit expressément que le président de la République est le chef des armées tandis que le Premier ministre, disposition assez oubliée aujourd’hui, est responsable de la défense nationale en vertu du même texte. La IIIe République en 1940 puis la IVe République en 1958 ont disparu dans la honte pour s’être inclinée la première devant de vieilles badernes cagoulardes puis la seconde devant des fous furieux de la guerre colonialo-psychologique.
Inversement, Charles de Gaulle, dans un discours célèbre prononcé en tenue de général, neutralisa la rébellion d’une partie de ces mêmes fous furieux en faisant jouer l’obéissance que les militaires appelés ou engagés lui devaient en tant que chef suprême contre l’autorité directe, mais factice des putschistes. Puis, une fois mis au garde-à-vous les sages et les récalcitrants dépêchés en prison, Mongénéral veilla à parer aux récidives en chassant méticuleusement des cadres toutes les fortes têtes. Depuis lors, l’ordre paraît régner dans les légions tricolores priées de se concentrer sur la gestion de leur quincaillerie coûteuse et de se contenter d’un petit baroud de temps à autre.
À entendre Emmanuel Macron ces derniers jours, on a eu l’impression d’être revenu cinquante ans en arrière. Jupiter n’a eu de cesse de tonner contre le numéro un de la hiérarchie militaire, le général d’armée Pierre de Villiers, dans deux interventions publiques fortement médiatisées. Une première fois, le 14 juillet, juste après le défilé, devant les subordonnés du mutin « Je considère pour ma part qu'il n'est pas digne d'étaler des débats sur la place publique. J'ai pris des engagements, je suis votre chef ». Une seconde fois, comme si l’humiliation précédente n’était pas suffisante, le 16 juillet dans un entretien accordé au JDD, « La République ne marche pas comme cela. Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change. »
Diable, se dit-on, Pierre de Villiers serait-il de la lignée de ces soldats de métiers, de ces condottieres, de ces soldats de fortune qui ont dans le passé ou dans d’autres contrées abusé de leur force pour se créer des empires ? Au fait, que lui reproche-t-on ?
Oh, mais quelque chose de fort grave. Il a osé faire part au Parlement de son désarroi face à une décision brutale de l’administration du budget d’imputer sur le budget de la défense l’intégralité du coût des interventions extérieures pour 2017. L’usage était qu’il soit financé par un budget rectificatif, mais il a été brusquement révoqué pour des raisons assez obscures.
Certes, il y a ces dispositions constitutionnelles fâcheuses qui font du parlement l’instance chargée de veiller à ce que le budget prévu soit exécuté dans les conditions les plus transparentes possible afin d’être en mesure de vérifier le bon usage des impôts. On pourrait considérer que leur application implique que tout fonctionnaire civil ou militaire auditionné par ce parlement se doit d’exposer franchement et complètement les tracas qu’il rencontre dans la mise en oeuvre du budget devenu loi de par la volonté des représentants du peuple.
Mais, le Prince souhaite dépoussiérer ces antiques pratiques démocratiques. Désormais, le Parlement sera une « place publique » c’est-à-dire en bon français un lieu extérieur. Les soldats autorisés par le Prince à y ouvrir la bouche devront ou chanter une variation sur le thème du « tout va très bien madame la Marquise » ou sinon maîtriser l’art du parler pour ne rien dire. Espérons qu’ils auront droit quand même à de meilleures formations en communication que celles suivies par leur maître.