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Billet de blog 21 avril 2016

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Réaction à la tribune Quelle lecture des textes religieux ? (L'Humanité du 18 avril)

Cette tribune, publiée dans l'Humanité du 18 avril et écrite par Jean-Michel Galano, membre du comité de rédaction de la Pensée, récuse, contre Yves Quiniou, mais sans le nommer, l'idée selon laquelle "l'islamisme est une maladie de l'islam mais ses germes sont dans le texte".

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Lorsque du créateur la parole féconde

Dans une heure fatale eut enfanté le monde

Des germes du chaos

(cité par le Littré à l'entrée "germe")

Cette tribune, publiée dans l'Humanité du 18 avril et écrite par Jean-Michel Galano, membre du comité de rédaction de la Pensée, récuse, contre Yves Quiniou, mais sans le nommer, l'idée selon laquelle "l'islamisme est une maladie de l'islam mais ses germes sont dans le texte". Les arguments qui y sont employés sont, pour un lecteur athée et laïc "modéré mais pas modérément", ahurissants pour deux raisons. 

D'une part, sur la forme, l'accusation de "stigmatisation" des musulmans, la caricature des personnalités qui défendent la laïcité comme des "grands prêtres", la suspicion selon laquelle l'emploi du terme "germe" traduirait un catholicisme refoulé et non assumé relèvent d'un procès d'intention un peu trop répété de la part des Don Quichotte de l'anti-islamophobie, lesquels aimeraient bien pouvoir dénier aux agnostiques toute sincérité et partant tout droit à la parole sur les questions religieuses en général et sur l'islam en particulier. 

D'autre part, sur le fond, l'argument selon lequel les textes sont toujours innocents et leur interprétation une affaire exclusivement politique est au mieux naïf au pire favorable au sectarisme.  Dans les religions du livre, la médiation du livre sacré est en effet fondamentale. Si la tentation du littéralisme est toujours présente, on doit aussi admettre que la Bible ou le Coran ne sont pas des textes aussi anodins que l'Évangile du Monstre en spaghettis volants de la religion pastafariste. Dans l'exemple choisi par Jean-Michel Galano, l'évangile selon Saint Luc appelle bien à "forcer" pour faire entrer dans la maison. Qu'un père de l'Église comme Saint Augustin l'interprète comme la justification des conversions forcées car la maison en cause est celle du Christ et la porte fut grande ouverte aux persécutions, comme la révocation de l'édit de Nantes. 

Peut on, pour sortir du littéralisme, se fier à l'Église pour séparer le bon grain de l'ivraie dans les textes sacrés ? Certes, celle-ci est revenue depuis Vatican II sur les dragonnades qu'elle encourageait au 17e et au 18ème siècle - d'ailleurs les États européens ne lui obéissent plus sur ce point depuis la fin du 18ème siècle. Mais, la religion a sa logique interne qui lui donne à la fois épaisseur et raideur et l'empêche de s'adapter à toute la modernité. N'est elle pas par exemple toujours incapable d'admettre l'avortement voire la théorie de l'évolution ? 

On peut alors se rabattre sur le principe d'interprétation défendu par Pascal dans ses Pensées : "On peut ajouter à ces considérations le secret de l’Esprit de Dieu caché encore dans l’Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique" ; et faire disparaitre les difficultés des Écritures dans ce double sens pour ne laisser que Dieu et ses adorateurs, dans leur face à face. Bref, plus de bombes ou de Kalach car ici bas ne compte pas. 

On peut aussi préférer suivre une voie plus adaptée à ceux qui veulent rester dans ce monde et adopter la solution préconisée par Pierre Bayle dans son "Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus Christ :contrains-les d'entrer" (1686). Celui-ci recommande de s'en remettre au jugement de sa conscience individuelle fondée sur “cette idée naturelle d'équité qui, aussi bien que la lumière métaphysique, illumine tout homme venant au monde". Un commandement divin contraire au droit naturel, notamment ceux qui appellent aux meurtres ou obligent à la contrainte, ne devra donc pas être suivi quelques arguties on puisse employer. Vers la fin de sa vie, Pierre Bayle, lui-même en butte aux outrages de certains de ces coreligionnaires protestants pour avoir défendu la liberté de conscience, en était venu à penser qu'il revenait à l'État de faire respecter cette liberté de jugement y compris contre le pouvoir religieux. 

Se libérer du Livre, d'une manière ou d'une autre, est donc indispensable pour bien vivre sa foi dans une société qui entend bien rester laïque et majoritairement agnostique. 

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