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Billet de blog 22 avril 2017

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Impression de campagne de la France insoumise : le temps des bourreurs de crâne

Depuis que les augures sondagiers sont plus favorables à Jean-Luc Mélenchon, les bourreurs de crâne, jusque là assoupis, sont de retour.

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Ils ont ainsi vu dans la concomitance dans le programme de la France Insoumise d’une proposition d’adhésion à un traité de coopération civile entre divers pays d’Amérique Latine et d’une autre de retrait de l’OTAN la preuve d’un projet de renversement des alliances militaires, la soumission à la Russie remplaçant celle vis-à-vis des États-Unis. De même, ont-ils englobé Jean-Luc Mélenchon dans la même réprobation que François Fillon ou Jean-Marie Le Pen pour leur soumission/alignement/admiration vis-à-vis de Vladimir Poutine. Or, Jean-Luc Mélenchon, jusqu’à plus ample informé, n’a ni perçu de rémunération en servant d’intermédiaire au pouvoir russe dans des activités de conseil ni emprunté d’argent à une banque russe véreuse. En outre, il est idéologiquement à l’opposé des conceptions de Vladimir Poutine, qui préfère manifestement Marine Le Pen.

Les bourreurs de crâne n’hésitent pas non plus à souiller. En 2012, Jacques Attali croyait entendre les sonorités de Jacques Doriot dans les discours de Jean-Luc Mélenchon. En 2017, Mussolini, avec son menton projeté en avant, ses pectoraux exposés à la caméra pendant la moisson, sa glorification de la force virile, se réincarnerait dans le candidat féministe de la France Insoumise, qui ne cache rien des outrages que lui font subir les années qui passent. L’excommunication pour totalitarisme, un peu oubliée depuis les années 80 où elle faisait fureur, a même été prononcée alors que Jean-Luc Mélenchon nous parle de constituante, de réforme révocatoire et de déclaration des droits élargis au respect de la libre disposition des corps. Tout dernièrement, on a même cherché à le repeindre en antisémite et tant pis pour la lutte contre les vrais.

Dans son dictionnaire « humoristique et philologique » de l’argot des poilus, paru en 1918, François Déchelette décrit avec ironie comment on en vient à utiliser le bourrage de crâne :

« L’esprit humain est une mécanique délicate qui se détraque facilement ; aussi n’est-il pas étonnant que cette grande catastrophe qu’est la guerre prive les hommes de leur intelligence au moment même où la gravité des événements augmente les difficultés de juger sainement. D’où la nécessité d’y suppléer par des jugements tout faits que l’on fournit aux hommes de la même façon que les uniformes, le pain et le tabac : c’est ce qu’on appelle bourrer le crâne ».

Aujourd’hui, comme hier, pour un certain nombre de beaux esprits, les électeurs, comme les poilus, sont de grands enfants qu’il faut guider pour les faire obéir et consentir ; une campagne électorale, comme la guerre, ne connaît au mieux qu'un vainqueur ; la catastrophe serait l’élection de Jean-Luc Mélenchon qui pourrait «  renverser la table » ; ils ne conçoivent pas que l’on puisse rationnellement la souhaiter ; dès lors ils s’estiment fondés à intervenir du haut de leur position de sachant et par tout moyen à leur portée. Toute accusation même énorme est donc bonne pourvu qu’elle fasse triompher le Bien, comme le pratiquaient les inquisiteurs d’autrefois, et leurs auteurs sont prêts à la marteler tant qu’il faudra jusqu’à l'enfoncer le plus profondément possible dans les cerveaux.

Un exemple saisissant de ce processus mental nous est fourni à la lecture de l’article du Canard « le capitaine de pédalo et le dictateur », dans le numéro de 19 avril 2017. On y apprend que François Hollande ne peut « accepter » que Mélenchon président mette fin à l’Europe qu’il a façonnée par ses complaisances - mais pourquoi les citoyens qui ont voté non au référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 ont-il dû alors « accepter » sa remise en circulation via le traité de Lisbonne ? -. Comme François Hollande ne s’estime pas être pas un citoyen ordinaire soumis à la loi de la majorité alors il s’arroge le droit, vis-à-vis d’une personnalité qu’il a côtoyée pendant de longues années dans la même formation politique, où il l’a marginalisée y compris en trichant, de la qualifier de « dictateur », et de le calomnier encore en ajoutant que « ce n’est pas un démocrate. Voter Mélenchon, c’est voter Chávez ».

Entendons-nous bien. Le changement de cap prôné par le programme des  insoumis appelle la critique, même partiale, excessive, outrée voire de mauvaise foi, ne serait-ce que pour aider les citoyens à vérifier qu’il est bien justifié « au-delà du doute raisonnable ». Mais, le bourrage de crânes n’a aucun rapport avec la critique.

Contrairement à elle, il n’apporte aucune information exploitable et n’exprime rien, sinon l’immense orgueil de ceux qui s’y livrent et leur mépris du bon sens des électeurs. Il ne contribue pas de ce fait, comme la critique, à dégager la volonté générale des volontés particulières « en ôtant de ces dernières les plus et les moins qui s’autodétruisent » (Rousseau - Le contrat social). Il n’est au fond que l’expression de la peur des possédants.

Le premier réflexe à l’écoute de ses fariboles perverses est l’indignation. Mais, tous les candidats ne sont ils pas également concernés par cette peste, sauf peut-être l’extrême droite, qui en émet structurellement beaucoup plus qu’elle n’en reçoit ? La meilleure des réponses est sans doute la dérision, voire de pratiquer le contre-feu, comme les militants de la France insoumise l’ont fait sur les réseaux sociaux. Jean-Luc Mélenchon a lui-même, lundi 17 avril du haut de sa péniche, facilité la tâche de ses contradicteurs faussaires en leur suggérerant de transformer en projet d’abandon de l’euro au profit de la devise chinoise la proposition du programme de la France insoumise de participer aux efforts d’un certain nombre de pays dont la Chine pour réduire le poids du dollar dans les échanges internationaux.

Les auteurs de ces faussetés n’en sortiront pas pour autant indemnes. Si les professionnels du bourrage de crânes, comme tel ancien « nouveau philosophe », sont déjà perdus de réputation pratiquement depuis leur surgissement dans l’arène médiatique, la crédibilité des nouveaux adeptes de la diffusion de bobards en restera entachée. Pour les artistes, pour lesquels la forme l’emporte de toute façon sur le fond, on se montrera indulgent, mais on regardera désormais avec ironie leur numéro de directeur de conscience, comme celui d'un dessinateur de chats qui achève de se ridiculiser en se coiffant d’une coquille de Caliméro pour s'être attiré la foudre suite à ses délires. Pour les journalistes, éditorialistes, essayistes de tout poil, politiques, responsables d’organisation dont l'audience dépend de la quantité de vérité qu'il véhicule, nous nous permettrons de couper le son ; ils pourront s’égosiller autant qu’ils le voudront ; nous ne les entendrons pas plus que des poissons rouges dans leur aquarium.

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