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Billet de blog 26 février 2017

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Des (mauvais) arguments des unitaires à gauche

La presse, dont Médiapart, se fait l’écho de diverses déclarations du parti socialiste ou de « milieux autorisés qui s’autorisent des trucs » qui plaident pour le retrait des candidatures de Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon au profit de celle de Benoît Hamon. Disons-le tout net, aucune d’entre elles n’emporte la décision voire même la conforte dans le sens d’un vote pour Jean-Luc Mélenchon.

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La presse, dont Médiapart, se fait l’écho de diverses déclarations du parti socialiste ou de « milieux autorisés qui s’autorisent des trucs » qui plaident pour le retrait des candidatures de Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon au profit de celle de Benoît Hamon. Depuis l’abandon sans gloire du premier, prévisible au regard des compromissions d’EELV avec la majorité actuelle au cours du quinquennat de François Hollande, la pression se reporte sur la France Insoumise. Les arguments utilisés pour la faire céder peuvent se décomposer en trois catégories, dans l’ordre croissant de portée (i) le vote utile (ii) les convergences dans les programmes (iii) la personnalité de Benoît Hamon.

Disons-le tout net, aucun d’entre eux n’emporte la décision voire même la conforte dans le sens d’un vote pour Jean-Luc Mélenchon.

Le vote utile pour la politique de l’autruche

Le principe du vote utile est justifié par l’impératif catégorique « de-barrer-la-route-au-Front-National ». On remarque immédiatement qu’il pourrait s’appliquer à tous les candidats qui, au début la campagne officielle, sont derrière le premier des opposants à Marine Le Pen. Si l’on suppose que leurs classements sont retracés de manière fiable par les résultats actuels des sondages, Jean-Luc Mélenchon devrait se désister au profit de Benoît Hamon, lequel devrait se retirer au profit de François Fillon qui devrait à son tour s’effacer pour garantir la victoire finale d’Emmanuel Macron - à moins que l’inverse ne soit nécessaire, si l’on tient compte des marges d’incertitude.

Surtout, le vote utile revient à dénier au citoyen le droit d’affirmer un choix positif dans le processus électoral. On lui imposerait comme seul critère de décision celui de favoriser le  « moins pire » au lieu de pouvoir « choisir au premier tour et éliminer au second ». Après la mise hors circuit des autres mécanismes institutionnels prévus par le général de Gaulle pour bousculer la logique représentative, comme le référendum ou la dissolution, tout se déciderait définitivement au sein des partis installés, qui ont par ailleurs tenté d’éliminer toute possibilité de candidatures alternatives en les rapportant à des primaires organisées à leur main ou en durcissant les modalités d’obtention des parrainages indispensables pour déposer une candidature.

C’est naturellement un calcul à courte vue de la part d’une classe politique discréditée. La fermeture de plus en plus hermétique de la cocotte par ailleurs chauffée de plus en plus fort par l’intensification de la lutte des classes est vaine et ne rendra que plus violente et destructrice l’éruption de la vapeur sociale, d’autant plus forte qu’elle sera retardée.

La fausse convergence des programmes 

Un deuxième argument consiste à pointer la convergence des propositions entre les candidats se revendiquant de la gauche. Benoît Hamon s’applique en effet à reprendre des pans entiers du programme de la France Insoumise comme le passage à une VIie république, s’aperçoit que le projet d’aéroport à Notre-Dame-Des-Landes doit être abandonné ou encore promet d’arrêter le programme nucléaire. Tout ceci est agréable à entendre et montre qu’une nouvelle bataille pour « l’hégémonie culturelle » s’ouvre à gauche, avec un bon espoir de restaurer la radicalité perdue à cause de la décommunisation des années 80. Il n’en demeure pas moins qu’un double gouffre sépare toujours les solfériniens et les insoumis.

D’une part, Benoît Hamon reste dans une approche enchantée et quasi religieuse de la construction européenne. Dans son récit, d’elle viendra le salut, quels que soient ses errements que nous, faibles créatures engluées dans notre glaise nationale, ne sommes pas en position sinon de comprendre du moins de contester. Aussi ne se soucie-t-il pas de la remettre en cause si, comme il est très vraisemblable, nos partenaires refusent de renégocier les dispositions qui empêcheront très concrètement notre futur monarque en CDD d’appliquer le programme qu’il propose aux électeurs. On sait comment Jean-Luc Mélenchon a fini de se désintoxiquer de cette approche suicidaire après son échec en 2012 et propose de recourir à un « plan B » qui permet d’apporter les degrés de liberté indispensables au changement. Il est hors de question de revenir sur cet acquis crucial.

D’autre part, Benoît Hamon se fait le défenseur du revenu universel. Cette idée, quoique stimulante d’un point de vue théorique, n’en est pas moins très ambiguë et par là même dangereuse. Elle est en effet défendue tant à gauche qu’à droite, dont elle est également issue (1). Elle peut en effet être utilisée comme un substitut à l’État providence, une allocation unique remplaçant minimum vieillesse, indemnités chômage ou allocations familiales, ce qui permettrait d’économiser les frais de gestion des aides du fait du caractère inconditionnel du revenu universel (2). Son contenu serait alors très proche de l’impôt négatif préconisé par Milton Friedman dans les années 60. Et, dans le cadre très contraint des traités budgétaires européens, de la recherche de « réformes structurelles visant à réduire autant que possible le coût de la protection sociale, il y a tout lieu de penser qu’il serait fixé à un niveau très inférieur au 700 euros par mois proposé par Benoît Hamon.

Benoît Hamon n’est pas Jaurès

La dernière catégorie d’arguments des unitaires tourne autour de la crédibilité que Benoît Hamon aurait acquise en se faisant élire aux primaires du parti socialiste contre Manuel Valls en défendant des thèses de gauche. Elle serait même supérieure à celle de François Hollande après le discours du Bourget de telle sorte qu’elle permettrait de rassembler enfin toute la gauche dans le parti socialiste. De manière peut-être inconsciente, le modèle est ici Jean Jaurès et les autres représentants du socialisme français qui sont parvenus à surmonter leur divergence pour créer et faire vivre la SFIO entre 1905 et 1914. 

On est certes (un peu) reconnaissant à Benoît Hamon d’avoir fait mordre la poussière à l’ancien premier ministre. Il n’en demeure pas moins qu’il a été ministre de 2012 à 2014 et a donc accepté la ratification des traités budgétaires européens qu’il annonce aujourd’hui vouloir renégocier. Il s’est tu lors de l’homicide de Rémi Fraisse et n’a pas voté la motion de censure contre la loi sur le travail. Bref, il a eu le comportement de ces organismes qui montent et descendent avec la marée, en évitant de rester au sec sous les yeux des prédateurs de la plage.

On nous opposera le parcours de Jean-Luc Mélenchon, lui-même ancien hiérarque socialiste, qui a peu à peu construit sa radicalité depuis 2002. Peut-être, ne préjugeons pas de l’avenir, Benoît Hamon va-t-il s’engager dans un parcours similaire. Mais, on nous permettra de préférer celui de Jean-Luc Mélenchon bien plus avancé, jalonné de ruptures fortes et intellectuellement justifiées.

C’est pourquoi, n’en déplaise aux unitaires, ce sera pour nous le vote pour Jean-Luc Mélenchon ou rien. 

  1. Cf. Daniel Zamora « Histoire et genèse d’une idée néo-libérale » dans l’ouvrage « Contre l’allocation universelle » Matéo Alaluf et Daniel Zamora (dir.).
  1. On n’est pas non plus très loin de l’idée de « monnaie hélicoptère » débattue lors de la mise en place de mesure non conventionnelle de politique monétaire afin de relancer l’économie et lutter contre la déflation. Elle consiste à ce que les banques centrales créditent les comptes des particuliers au lieu de distribuer des liquidités via l’acquisition de titres publics.

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