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Billet de blog 26 mars 2017

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Fillon, Le Pen et Macron, les inégalitaires

Tous les sondages pour l’élection présidentielle attribuent à François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron pratiquement les deux tiers des suffrages. Ces trois candidats présentent aux électeurs des conceptions politiques parfois très différentes, mais que l’on peut nous semble-t-il articuler autour d’un même refus de l’égalité.

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Tous les sondages pour l’élection présidentielle attribuent à François Fillon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron pratiquement les deux tiers des suffrages. Ces trois candidats présentent aux électeurs des conceptions politiques parfois très différentes, mais que l’on peut nous semble-t-il articuler autour d’un même refus de l’égalité.

François Fillon la nie au nom du respect du droit de propriété, perçu comme le droit suprême, dont tous les autres droits doivent procéder. La France doit se réformer, nous dit-il, pour renouer avec le régime libéral qui l’a régi sans partage de 1799 aux années 30, avant les chutes de 1936, 1945 et encore de 1981. D’elles découlerait la dette qu’il faudrait expier dans une rigueur sans fin pour venir à bout de l’« esprit de jouissance » au fondement de l’État social. D’où cette certitude méprisante que François Fillon exsude de manière irrépressible quand il évoque les catégories sociales — salariés et fonctionnaires — qu’il veut réduire à merci. 

À écouter François Fillon, espèce d’hibernatus des temps de la bourgeoisie possédante et triomphante au sortir des secousses de la Révolution française, on croirait entendre l’idéologue Pierre Jean George Cabanis devant la commission des Cinq-Cents chargée d’établir une nouvelle constitution après le coup d’État de Brumaire :

« Propriétaires et capitalistes entreprenants, vos possessions vous sont garanties : le fruit de vos spéculations restera entre vos mains ; il deviendra la juste récompense de vos efforts : aucune entrave n’arrêtera l’essor de vos plans ; aucune loi prohibitive ou rapace ne viendra les glacer, ou les mettre à contribution. » (1)

Emmanuel Macron outrage aussi l’égalité, mais veut donner en échange l’illusion d’une plus grande liberté, certes réduite à celle du choix des consommateurs ou des salariés sur des marchés fonctionnant le plus près possible de l’idéal de la concurrence pure et parfaite. On doit ainsi pouvoir être libre de travailler le dimanche, de forer des trous dans le sol et de polluer l’eau potable des indigènes pour du pétrole, de manger des pesticides, de n’en être pas informé, etc., etc.

Ce qui est en jeu ici est la « transformation », c’est-à-dire la conversion du salariat aux bienfaits du précariat tels qu’ils ont été imaginés par la secte des économistes, sur le modèle de ce qui a été réalisé dans les années 1980 - 1990 dans les économies anglo-saxonnes. Cette conversion a eu des effets euphorisants tellement puissants qu’elle a incité les agents économiques à croire qu’ils allaient effectivement devenir plus riches. Partant, ils ont emprunté pour en jouir immédiatement, pour le plus grand bien des banques. Il en est résulté une orgie de consommation financée par la dette privée, que politique monétaire et budgétaire s’efforcent de maîtriser vaille que vaille depuis lors (2).

Emmanuel Macron voudrait que nous croyions à ces projets admirables en nous payant de sa parole consolante ou de quelques concessions tactiques là où François Fillon n’a à offrir que la résignation et les accommodements. Il souhaiterait être agréable à tous, quitte à être perçu comme contradictoire ou creux, alors que l’autre fronce les sourcils et toise de haut ses électeurs.

Marine Le Pen a l’inégalité barbare, car elle veut l’imposer sur des bases dites « identitaires » c’est-à-dire, en bon français, ethniques. Elle prétend défendre les « petits blancs » déstabilisés par les ravages de la mondialisation des échanges ardemment défendue par Emmanuel Macron. Rien que pour cela, elle est l’héritière, quoiqu’elle puisse dire, du discours d’extrême droite, dont notre pays est affligé depuis la fin du 19ie siècle. Elle a donc tel Janus deux faces : repoussante pour ces victimes futures, héroïque pour ses soutiens (3).

On aura garde de ne pas exagérer les différences dans les motivations de nos trois hérauts de la peste inégalitaire. François Fillon est très proche de Marine Le Pen quand il martèle ses obsessions sur le « récit national », interprété non pas comme le cheminement incertain, jamais rectiligne et souvent douloureux vers l’émancipation décrit par les historiens républicains, mais comme l’affirmation de permanences mythifiées (4). Leur invraisemblable défense des « bienfaits » de la colonisation relève également d’une même thématique identitaire. Enfin, on ne sous-estimera pas la proximité de leur sensibilité catholique et traditionaliste, d’où proviennent leurs obsessions communes contre le « totalitarisme islamique » (sic) voire les immigrés ou sur les questions de société relatives à la filiation ou au genre.

De son côté, Emmanuel Macron, s’il paraît intellectuellement à peu près dégagé de la fange « racialiste » dans laquelle se complaisent ses rivaux en inégalité, est en réalité très proche de François Fillon sur le terrain économique. On peut caresser l’idée d’un marché fonctionnant dans le cadre d’une économie socialiste planifiée, comme le proposait l’économiste polonais Oskar Lange dans les années 1950, mais, rassurons nos bons électeurs de droite, le marché défendu par Emmanuel Macron fonctionnera dans le cadre d’une appropriation privée qui a vocation à s’étendre à toutes les composantes de l’activité humaine.

Si les intentions anti-égalitaires des trois candidats sont claires, quel est en pratique le plus dangereux pour notre civilisation sociale ? Certainement, celui qui disposera une fois élu de tous les leviers du pouvoir. Dans la constitution de la Ve république, cela passe par une victoire aux élections législatives, car la responsabilité de l’action gouvernementale incombe, dans la constitution de la Ve République, au Premier ministre responsable devant l’Assemblée nationale.

À cet aune, François Fillon apparaît comme un véritable fléau. À la tête d’un parti vainqueur de toutes les élections depuis 2012 et donc solidement implanté dans les circonscriptions législatives, il aurait toutes les chances d’obtenir une majorité de député. Dès lors, contrôlant l’Assemblée nationale après le Sénat, il disposerait de tous les leviers institutionnels pour mener à bien son projet de restauration réactionnaire. Il sera notamment en mesure de contourner les éventuelles censures du Conseil constitutionnel en modifiant la Constitution par la voie parlementaire.

Marine Le Pen aurait la tâche beaucoup plus difficile. En l’état actuel des rapports de force politique, elle éprouvera beaucoup de difficultés à se constituer une majorité parlementaire. On ne peut pas exclure cependant qu’une fraction de la droite, frustrée d’une alternance qu’elle estime lui être due, ne se rallie à elle.

Emmanuel Macron pourrait y parvenir un peu plus aisément. Le soutien de François Bayrou puis d’une partie du centre et du parti socialiste lui donne d’ores et déjà une base réelle qu’un succès à l’élection présidentielle souderait. Sa majorité serait certes composite, mais cela pourrait rassurer les électeurs qui ne voudraient pas d’un bloc monolithique complètement soumis à la volonté du monarque, comme ils ont dû le supporter depuis 2012.

Mais, bien évidemment, il ne tient qu’à nous d’arrêter la machine infernale en votant pour un candidat égalitaire comme Jean-Luc Mélenchon.

(1) Cité par Yannick Bosc « la terreur des droits de l’homme » page 235.

(2) Il n’est donc pas surprenant qu’Emmanuel Macron soit jugé comme le candidat le plus crédible par le Financial Times « Emmanuel Macron est le seul candidat (inégalitaire) offrant de l’optimisme sur le plan économique, un mélange de déréglementation et de protections sociales traditionnelles. Les politiques qu’il appliqua quand il était ministre purent apparaître iconoclastes sur le moment, mais apparaissent maintenant civilisées quand on les compare à celles de ces rivaux. » Financial Times du 17 février 2017.

(3) Il est à cet égard fascinant de constater comment la perception de l’image de François Fillon rejoint peu à peu celle de Marine Le Pen au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans le déni de ses fautes.

(4) Cf. le début de son discours de candidature à Sablé-sur-Sarthe : 

« À l’école, j’ai appris que la France était grande, que son Histoire était millénaire. Qu’elle était la plus vieille nation européenne.
C’est là, la première raison de ma candidature.
Je vois, depuis des années, nos dirigeants ignorer l’Histoire de France ou n’en retenir que les évènements qui renforcent leurs convictions partisanes.
Non, la France n’est pas née en 1789 et elle n’est pas passée de l’ombre à la lumière en 1981 !
Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord.
Non, la France n’a pas inventé l’esclavage.
La France c’est 15 siècles d’Histoire depuis le baptême de Clovis à Reims.
La France c’est Saint Louis, Louis XI, Louis XIV, les révolutionnaires de 1789, Bonaparte, Napoléon III, la Troisième République, Gambetta, Thiers, Jules Ferry, Clemenceau, Jaurès, Poincaré, De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac. »

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